René Boylesve - Le Médecin des Dames de Néans

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Le Médecin des Dames de Néans

AVERTISSEMENT

POUR LA NOUVELLE ÉDITION

À la prière de mes amis, je me décide à donner une nouvelle édition de ce roman, le premier que j'aie écrit, et qui date d'une douzaine d'années. Comme son cadet, SAINTE-MARIE-DES-FLEURS, qui fut, l'année dernière, favorablement accueilli, je republie LE MÉDECIN DES DAMES DE NÉANS sans y changer un mot ni une virgule. Ce n'est pas que je le trouve parfait tel qu'il est!.. Ce livre n'est qu'un essai de jeunesse; en l'écrivant, j'espérais à peine pouvoir le publier. Mais on m'affirme que, selon la règle générale, tous mes autres romans sont annoncés, sinon contenus, dans celui-ci: la remarque en pourra peut-être amuser au moins les curieux.

R. B.

À HUGUES REBELL

Mon cher ami, je vous dédie ce livre où, à défaut de qualités, je souhaite que votre haut et pur jugement découvre mon désir de suivre ici ces bons conteurs français pour qui nous mîmes tant de fois notre prédilection en commun. C'est d'eux que Taine a dit: «Ils effleurent le ridicule; ils se moquent sans éclat… ils ont l'air de n'y point toucher, un mot glissé montre seul le sourire imperceptible. Cela n'a rien de commun avec la franche satire qui est laide parce qu'elle est cruelle; au contraire, cela provoque la bonne humeur; on voit vite que le railleur n'est point méchant… tout son désir est d'entretenir en lui-même et en nous un pétillement d'idées agréables.»

Hélas! que je suis loin de maîtres si charmants! Je ne les rattraperai point! Mais je veux aller sur le beau chemin où ils passèrent; je veux m'exposer au soleil qui leur dora l'humeur et le teint; je cueillerai les fleurs simples qui suffirent à donner à leur bonne grâce un parfum et à leurs alentours cette saveur et cet ornement par quoi sont flattés, à la fois, un sens délicat et le naturel appétit du plaisir; enfin, je veux m'amuser librement des petits incidents invariables et même médiocres qu'ils se gardèrent de dédaigner, sachant de longtemps que rien de ce qui touche les hommes n'est jamais bien nouveau ni tout à fait fameux. Après cela, si, du haut de la côte, quelqu'un de ces aînés me voulait faire l'avantage d'un signe, tel que: «Viens çà, petit!» toute ma fatuité serait à l'aise… – Mais c'est une attitude qui n'est guère à la mode! – Mon ami, ne me dites pas cela, car mes goûts sont si ordinaires que je serais désolé de n'être pas mis comme tout le monde.

Votre

RENÉ BOYLESVE.

LE MÉDECIN DES DAMES DE NÉANS

I

L'abbé entra sans façon, avec son élève Septime, prendre des nouvelles de madame Durosay dont toute la ville s'inquiétait à cause de la troisième visite du grand médecin.

On appelle grand médecin, à Néans, quelque confrère imposant par sa tenue, son âge ou son long exercice dans une sous-préfecture, et que s'adjoint le docteur Grandier quand le cas est grave ou le malade récalcitrant. Le grand médecin se paie fort cher et il inspire la foi qui sauve. Quelques personnes encore le font venir pour un oui ou pour un non, mais c'est par manière de faire largement les choses en face de la ville, ou de piquer M. Grandier dont les façons ne siéent pas à tout le monde.

Ces messieurs étaient déjà couverts et causaient ventre à ventre dans l'étroit corridor, quand l'abbé montra le nez qu'il portait long.

– Je suis importun, peut-être? hasarda-t-il, avec un geste de retrait, tout en refoulant la porte sur le corps fluet de Septime, pincé dans l'entre-bâillement.

– Ah! ce cher abbé!.. comment donc! mais pas le moins du monde! fit souriant, gros, gras et rouge, M. Durosay. Docteur, permettez-moi de vous présenter monsieur l'abbé de Prébendes, un savant et un aimable homme, qui pourrait être évêque et remplit ici, par complaisance et par goût, les fonctions d'auxiliaire de monsieur le curé doyen et de précepteur de ce petit freluquet de Septime de Jallais que voici… Monsieur l'abbé vous dira notre façon de vivre, puisque vous y tenez; il vient tous les soirs que le bon Dieu nous donne, faire avec moi sa partie d'échecs. Ah! c'est un fort joueur!.. Connaissez-vous les échecs, docteur? Moi, une fois devant mes pions, je suis là, comme en toutes choses, tout entier à la besogne; je ne vois plus, je n'entends plus rien; madame Durosay me traite de sauvage parce que je n'écoute pas ce qu'elle me peut dire en ces moments-là: je ne pourrais pas seulement fumer ma pipe, monsieur!.. Eh bien! l'abbé, lui, reste aimable et galant jusqu'au fort de la partie; il me bat à plate couture, et il converse théologie et charité avec madame, tout en citant des vers latins à monsieur Septime quand il nous fait l'honneur d'accompagner son excellent maître.

– Mais n'avez-vous pas à offrir à madame, dit le grand médecin, quelque distraction, comment dirai-je? plus mouvementée, et, au point de vue de sa santé, plus efficace… que ces réunions familiales, excellentes à la vérité, mais, de par leur nature, peu fertiles en éléments de nouveauté?..

– Monsieur, nous allons aux Veulottes, une ou deux fois par semaine. C'est à deux petites lieues d'ici et Bichette nous abat encore ça sans trop rechigner, bien que les côtes soient mauvaises. Nous avons là de braves métayers; madame Durosay prend une tasse de lait au pis de la vache, fait un tour dans le clos; visite ses poiriers, ses groseilles et ses coings; et nous sommes ici pour dîner, après avoir cueilli au passage votre confrère ici présent, monsieur Grandier, que nous appelons communément Esculape.

Le grand médecin, qui s'impatientait, brusqua:

– Pas de soirées, pas de jeunes gens, pas de garnison ici… musique… réunions… promenades? non. Regrettable. Monsieur, j'ai l'honneur de vous saluer.

Le docteur Grandier, plus communément appelé Esculape, alla reconduire au train son illustre confrère. M. Durosay retint l'abbé par la manche et l'entraîna au jardin.

– Monsieur Septime, voulez-vous bien nous excuser une petite minute! Entrez donc au salon, il y a le dernier numéro du Magasin pittoresque .

Le gros dos à jaquette d'alpaga du notaire et les grêles épaules de l'abbé s'enfoncèrent sous une allée de tilleuls.

– Ces sommités de l'art, dit M. Durosay, sont toujours insaisissables; il faut y aller avec eux comme votre charbonnier avec la foi. Ça vous tourne, ça vous retourne, ça vous déshabille, ça vous fait dire Dieu sait quoi à cent lieues de la question… Non, vous n'avez pas idée de ce que cet homme m'a ausculté à propos de ma femme pour qui je le fais venir… Tenez, l'abbé, c'était le cas de l'interroger sur votre affection du cœur, je crois que ça n'aurait pas coûté plus cher!.. Oh! mais je ne peux pas vous rapporter tout ce que ce diable d'homme avait envie de savoir sur ma vie privée, mes mœurs, mes antécédents, que sais-je? Savez-vous bien que j'ai été sur le point de lui taper sur le ventre et de l'appeler gros polisson? Ils vous prennent des airs d'arriver à leur but, quand ils sont embourbés jusqu'au nombril; et d'autres fois, avec l'air d'être embourbés, ils arrivent, n'est-ce pas? Il faut bien qu'ils arrivent à quelque chose, car vous avouerez, l'abbé, que dans le cas contraire, il serait assez godiche de leur allonger, comme je viens de le faire pour la troisième fois, les petits bleus sur la banque. Mais reconnaissons que leurs manières sont de charlatans. J'ai lu Molière, monsieur l'abbé… Voyez-vous, comme dit cet animal de Grandier, les hommes sont géniaux ou stupides, il n'y a presque pas de milieu et la plupart du temps on n'est pas fichu de savoir si c'est l'un ou l'autre qu'ils sont!

– Mais, en somme, qu'a-t-il dit de madame Durosay?

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