George Gordon Byron - Œuvres complètes de lord Byron, Tome 8

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MARINA

Ne crains rien, l'enfer est réservé à tes oppresseurs.

JACOPO FOSCARI

J'espère que non.

MARINA

Tu l'espères?

JACOPO FOSCARI

Non, je ne puis leur souhaiter tous les maux qu'ils m'ont infligés.

MARINA

Quoi! ces démons incarnés! Ah! puissent-ils mille fois les subir à leur tour; et puissent les vers éternellement rongeurs les dévorer!

JACOPO FOSCARI

Ils peuvent se repentir.

MARINA

Dans ce cas-là même, leurs remords seraient trop tardifs; Dieu n'accepte pas ceux des démons.

(Entrent un officier et des gardes.)
OFFICIER

Signor! la barque est sur le rivage; – le vent est levé: nous n'attendons plus que vous.

JACOPO FOSCARI

Je suis prêt. Mon père, encore votre main.

LE DOGE

La voici. Hélas! comme la tienne tremble!

JACOPO FOSCARI

Non, vous vous trompez: c'est la vôtre, mon père. Adieu.

LE DOGE

Adieu. N'as-tu plus rien à recommander?

JACOPO FOSCARI

Non-rien. (À l'officier.) Donnez-moi votre bras, cher signor.

OFFICIER

Vous devenez pâle, – laissez-moi vous soutenir, – plus pâle! – holà! quelque aide! de l'eau!

MARINA

Il se meurt!

JACOPO FOSCARI

Je suis prêt maintenant. – Un nuage étrange couvre mes yeux; – où est la porte?

MARINA

Éloignez-vous! c'est à moi de le soutenir. – Mon bien-aimé! ô ciel! comme le mouvement de son cœur est faible!

JACOPO FOSCARI

De la lumière! Est-ce là de la lumière? – je me meurs. (L'officier lui présente de l'eau.)

OFFICIER

Peut-être sera-t-il mieux au grand air.

JACOPO FOSCARI

Je n'en doute pas. Vos mains, mon père, ma femme-

MARINA

La mort est dans cette étreinte glacée. Ô ciel! – mon Foscari, comment vous trouvez-vous?

JACOPO FOSCARI

Bien! (Il expire.)

OFFICIER

Il est passé.

LE DOGE

Il est libre.

MARINA

Non, – non, il n'est pas mort; il doit encore y avoir de la vie dans ce cœur: – il n'aurait pu me laisser ainsi.

LE DOGE

Ma fille!

MARINA

Silence, vieillard! je ne suis plus ta fille: – tu n'as plus de fils. Ô Foscari!

OFFICIER

Il nous faut emporter le corps.

MARINA

Ne le touchez pas, odieux bourreau! avec sa vie cessent vos viles fonctions; et vos lois homicides elles-mêmes ne les continuent pas au-delà du meurtre. Laissez sa dépouille mortelle à ceux qui seuls peuvent honorer sa mémoire.

OFFICIER

Je dois prévenir la seigneurie, et attendre sa volonté.

LE DOGE

Informez la seigneurie de ma part, de la part du Doge, qu'ils n'ont plus le moindre droit sur ces cendres. Pendant sa vie, il leur appartenait, comme étant leur sujet: – maintenant il m'appartient. – Mon déplorable fils!

(L'officier sort.)
MARINA

Et je vis encore!

LE DOGE

Marina! vos enfans vivent.

MARINA

Mes enfans! oui-ils vivent, et moi aussi je dois vivre pour leur apprendre à servir l'état, à mourir comme mourut leur père. Combien on doit désirer et bénir dans Venise la stérilité! Pourquoi ma mère m'a-t-elle mis au monde!

LE DOGE

Mes malheureux enfans!

MARINA

Quoi? vous aussi, vous êtes enfin sensible! – vous! Qu'est donc devenu le stoïcisme de l'homme d'état?

LE DOGE, se jetant sur le corps

Là!

MARINA

Vous pleurez! je pensais que vos yeux n'avaient pas de larmes: – vous les réserviez pour l'instant où elles sont superflues. Mais pleurez! lui ne pleurera plus jamais-jamais, ô ciel! jamais!

(Entrent Lorédano et Barbarigo.)
LORÉDANO

Qu'y a-t-il ici?

MARINA

Ah! le démon venant insulter à la mort! Fuis! Satan incarné! cette terre est sainte, les cendres d'un martyr y reposent et en font un autel. Retourne au séjour des tourmens!

BARBARIGO

Madame, nous ignorions ce triste événement; nous allions au conseil, et nous ne faisons que passer.

MARINA

Passez donc!

LORÉDANO

Nous cherchons le Doge.

MARINA, indiquant le Doge, toujours étendu sur le corps de son fils

Il est occupé, vous le voyez, des affaires que vous lui avez préparées. Êtes-vous contens?

BARBARIGO

À Dieu ne plaise que nous troublions la douleur d'un père!

MARINA

Non; il vous a suffi de la causer: votre rôle est fini.

LE DOGE, se levant

Signor, je suis prêt.

BARBARIGO

Non, – pas maintenant.

LORÉDANO

Cependant, il importe beaucoup.

LE DOGE

S'il en est ainsi, je le répète encore, – je suis prêt.

BARBARIGO

Il n'en sera pas ainsi maintenant; dût Venise, comme un frêle vaisseau, s'engloutir dans l'abîme! Je respecte votre douleur.

LE DOGE

Je vous remercie. Mais si les nouvelles que vous apportez sont fâcheuses, parlez, rien ne peut me frapper plus vivement que l'objet que vous avez devant les yeux. Si elles sont bonnes, parlez; vous n'avez pas à craindre qu'elles me consolent .

BARBARIGO

Je voudrais qu'elles le pussent.

LE DOGE

Je ne m'adresse pas à vous , mais à Lorédano. Il me comprend.

MARINA

Je le prévoyais bien.

LE DOGE

Que voulez-vous dire?

MARINA

Voyez! le sang commence à rougir de nouveau les lèvres glacées de Foscari; – le corps saigne à la vue de l'assassin. (À Lorédano.) Vil meurtrier juridique, regarde! la mort elle-même rend témoignage de ton forfait.

LE DOGE

Ma fille! c'est une illusion de la douleur. (Aux suivans.) Emportez le corps. Signor, si vous le désirez, je vous écouterai dans une heure.

(Sortent le Doge, Marina et suivans avec le corps. – Lorédano et Barbarigo demeurent sur la scène.)
BARBARIGO

On ne peut dans ce moment le troubler.

LORÉDANO

Lui-même ne dit-il pas que désormais rien ne pourrait le troubler?

BARBARIGO

Le chagrin aime la solitude, et la rompre est une barbarie.

LORÉDANO

La solitude est l'aliment de tout chagrin; et rien n'est plus capable de dissiper les sombres visions de l'autre monde que le retour des vives impressions de celui-ci. Les affaires ne comportent pas les pleurs.

BARBARIGO

Et c'est pour cela que vous voulez écarter ce vieillard de toutes les affaires?

LORÉDANO

La chose est décrétée. La giunta et les Dix l'ont convertie en loi. Qui oserait braver la loi?

BARBARIGO

L'humanité!

LORÉDANO

Quoi! parce que son fils est mort?

BARBARIGO

Et qu'il n'est pas encore enseveli.

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