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Noah Gordon: Le Médecin d'Ispahan

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Noah Gordon Le Médecin d'Ispahan

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LE MÉDECIN DISPAHAN Paru dans le livre de poche SHAMAN DR COLE LHÔPITAL DU - фото 1

LE MÉDECIN D’ISPAHAN

Paru dans le livre de poche

SHAMAN

DR COLE

L’HÔPITAL DU SOUPÇON

NOAH GORDON

Le Médecin

D’Ispahan

TRADUIT DE L’AMERICAIN

PAR DOMINIQUE RIST ET SIMONE LAMBLIN

STOCK

Titre original :

THE PHYSICIAN

(Simon and Schuster, new York)

© Noah Gordon, 1986.

© Éditions Stock, 1988, pour la traduction française.

ISBN : 978-2-253-05235-7 – 1 republication - LGF

A Nina,

qui m’a donné Lorraine,

avec mon amour

PREMIERE PARTIE

Le Barbier

1. LE DIABLE À LONDRES

ROB J. vivait ses derniers jours d'insouciance et de sécurité, mais il n'en savait rien et trouvait insupportable d'être obligé de garder la maison avec ses frères et sa sœur. En ce début de printemps, le soleil était encore assez bas pour glisser des rayons sous le bord du toit de chaume et Rob, allongé sur la pierre du seuil, savourait son bien-être. Une femme s'aventurait sur le sol défoncé ; la rue des Charpentiers aurait exigé des travaux, comme la plupart des petites maisons ouvrières que les artisans habiles laissaient à l'abandon : ils gagnaient leur vie à bâtir de solides demeures pour des clients plus riches et plus chanceux.

Rob écossait un panier de petits pois, en tâchant de garder l'œil sur les plus jeunes comme il devait le faire quand Mam sortait. William Stewart, six ans, et Anne Mary, quatre, tripotaient la boue près de la maison, en riant de leurs petits secrets. Jonathan Carter, dix-huit mois, couché sur une peau de mouton, était repu, rotait et commençait à gazouiller. Samuel Edward, qui avait sept ans, s'était échappé ; il se débrouillait toujours pour disparaître quand il y avait des corvées à partager. Son aîné, furieux, le cherchait en vain.

Rob fendait les cosses vertes puis éjectait les pois de leur gousse jaunâtre avec son pouce comme le faisait Mam. Sans s'interrompre, il vit la femme venir à lui.

Les baleines de son corselet sale lui remontaient tellement les seins qu'au moindre mouvement on apercevait un mamelon fardé de rouge, et son visage charnu était outrageusement maquillé. Rob n'avait que neuf ans, mais un enfant de Londres savait reconnaître une prostituée.

« Ah J'y suis ! C'est bien là qu'habite Nathanael Cole ? »

Rob la dévisagea avec irritation car ce n'était pas la première putain qui venait relancer son père.

« Qui ça regarde ? » fit-il durement, soulagé qu'elle ait manqué Pa, sorti chercher du travail, et que Marri, en livraison de broderie, ait évité cette humiliation.

« Sa femme a besoin de lui. C'est elle qui m'envoie.

– Besoin pour quoi ? »

La fille l'observait froidement, consciente de son mépris. « C'est ta mère ? »

Rob hocha la tête.

« Son accouchement est mal parti. Elle est aux écuries d'Egglestan, près du dock de Puddle. Tu ferais bien de chercher ton père pour l'avertir. »

Et elle s'en alla.

Rob regarda autour de lui, désespéré.

« Samuel ! » cria-t-il. Mais ce sacré Samuel était Dieu sait où comme d'habitude et l'aîné alla tirer William et Mary de leurs jeux.

« Occupe-toi des petits, Willum », dit-il, puis il quitta la maison au pas de course.

Cette année 1021, celle de la huitième grossesse d'Agnes Cole, semblait vouée à Satan. Elle avait été marquée par des calamités pour le peuple et la nature avait produit des monstres. L'automne précédent, tout avait gelé ; les rivières aussi. Puis il avait plu à torrents et, avec le dégel, la Tamise en crue avait emporté les ponts et les maisons. Les étoiles tombaient, en traînées lumineuses, du haut en bas du ciel d'hiver ; une comète était passée. En février, la terre trembla, la foudre décapita un crucifix et les gens murmuraient que le Christ et les saints s'étaient endormis. On racontait qu'une source avait charrié du sang trois jours durant, et des voyageurs affirmaient que le diable leur était apparu dans les bois et dans tel ou tel lieu secret.

Agnes avait interdit à son fils aîné d'écouter les commérages, mais, si Rob voyait ou entendait une chose insolite, il fallait faire un signe de croix. Les hommes en voulaient à Dieu, cette année-là, de la mauvaise récolte et des temps difficiles. Nathanael, sans travail depuis plus de quatre mois, ne survivait que grâce au talent de sa femme pour les broderies de qualité. Jeunes mariés, ils s'étaient follement aimés, pleins de confiance en l'avenir. Son idée à lui, c'était de faire fortune comme entrepreneur de bâtiment. Mais la promotion était lente dans la corporation des charpentiers et les commissions examinaient les projets comme si chaque détail devait être digne du roi.

Nathanael était resté six ans apprenti charpentier et douze ans compagnon menuisier. Il aurait dû postuler maintenant la maîtrise, niveau professionnel requis pour devenir entrepreneur, mais c'était trop de temps encore et d'énergie. Il avait perdu courage. Leurs vies dépendaient toujours de la guilde, bien qu'elle semblât les avoir abandonnés car il allait, chaque matin, au siège de la corporation pour apprendre qu'il n'y avait pas de travail. Avec d'autres malheureux, il cherchait l'évasion dans la boisson, une sorte d'hydromel : l'un fournissait le miel, un autre les épices et l'on trouvait toujours un pichet de vin.

Agnes avait appris par des épouses de charpentiers que, souvent, l'un des chômeurs ramenait une femme sur laquelle les autres, plus ou moins ivres, prenaient leur tour. Mais elle ne pouvait pas se passer de son mari, malgré ses faiblesses : elle aimait trop le plaisir. A peine était-elle accouchée qu'il lui faisait un nouvel enfant et, chaque fois qu'elle approchait du terme, il évitait la maison. La vie d'Agnes confirmait à peu de chose près les sinistres prédictions de son père. Quand, déjà enceinte de Rob, elle avait épousé le jeune charpentier, venu de Wartford pour aider à construire la grange des voisins, il lui avait reproché ses années d'école : « L'instruction, disait-il, rend les filles folles de leur corps. »

Son père avait eu une petite ferme, octroyée par Ethelred de Wessex pour payer ses années de service. C'était le premier de la famille à devenir propriétaire, et il avait envoyé sa fille à l'école dans l'espoir de lui trouver un riche parti. Les gros exploitants ont besoin d'une personne de confiance qui sache lire et compter : alors, pourquoi pas une épouse ? Déçu de la voir gâcher ses chances, il n'avait même pas pu la déshériter car, à sa mort, son peu de bien était allé à la Couronne pour payer des impôts en retard.

Mais l'ambition du père avait marqué la fille pour la vie. C'est à l'école des nonnes qu'elle avait vécu ses cinq années les plus heureuses : chaussées d'écarlate, vêtues de violet et de blanc, avec leurs voiles plus légers que nuages, elles lui avaient enseigné à lire et à écrire, un peu de latin de catéchisme, la coupe et la couture à points invisibles, enfin la broderie la plus raffinée, cette broderie anglaise si recherchée des Français. Ainsi les « bêtises » apprises chez les nonnes évitaient-elles aux siens de mourir de faim.

Ce matin-là, elle avait hésité à partir livrer ses broderies. Son accouchement semblait proche, elle se sentait énorme, lourde... Mais les réserves étaient presque épuisées, il fallait acheter de la farine au marché de Billingsgate et elle avait besoin pour cela de l'argent que lui verserait l'exportateur à Southwark, de l'autre côté de la Tamise. Portant son petit ballot, elle se dirigea donc, sans hâte, vers le pont de Londres.

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