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Thilliez, Franck: Train d’enfer pour ange rouge

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Thilliez, Franck Train d’enfer pour ange rouge

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Il jouait, depuis le début il jouait ! Je l’imaginais encore à mes côtés lorsque je me confiais quant à Suzanne, lorsque je lui livrais mes sentiments sur l’assassin, sur cet Homme sans visage ; à chaque fois, je lui racontais à quel point j’allais mal et il me consolait, me rassurait…

Seigneur ! J’avais serré moi-même le nœud coulant autour du cou de mon épouse et de toutes ces filles…

Aucune réponse de la voiture de faction, postée devant chez Serpetti. J’ordonnai, depuis mon cellulaire, à l’ensemble des équipes de se rendre à sa ferme et me lançai le premier en direction de Boissy-le-Sec.

En route, je passai un coup de téléphone sur le portable d’Élisabeth, mais tombai sur le répondeur. J’appelai alors le policier chargé de la surveillance de la psychologue. Je n’obtins, là encore, que le silence radio. Quelque chose clochait ! Un élan foudroyant d’angoisse me pressa la gorge.

En voulant doubler une voiture par la droite sur la bande d’arrêt d’urgence du périphérique, je percutai des cônes de travaux, me rabattis en catastrophe et raclai l’aile gauche d’un véhicule qui croisait ma trajectoire houleuse.

Je sortis enfin du réseau urbain et pénétrai la campagne comme une boule de feu dans le firmament… À plusieurs reprises, je faillis filer dans un fossé, écraser des passants ou même éjecter des vélos…

Et je déboulai devant la ferme, l’arme sur mes cuisses… Les deux plantons, dans leur voiture, avaient la gorge tranchée.

Je me précipitai dans l’entrée, chassai la porte et me jetai à l’intérieur. Personne…

Prudemment, je grimpai à l’étage, parcourus les pièces d’un bref coup d’œil avant de redescendre et fouiller du regard le rez-de-chaussée. Dans la pièce derrière la salle à manger, les transformateurs bouillaient, les trains tournaient à pleine puissance dans un hurlement métallique, un tumulte de rage. La majeure partie d’entre eux avait déraillé et s’était écrasée contre les murs. Thunder, le grand train noir, dominait le réseau de sa puissance de fonte, doublant, grillant feux et signaux, à la recherche des prochaines victimes à broyer de ses mâchoires de fer…

Arme au poing, je me lançai dans la cour intérieure, défonçai d’un violent coup de pied la porte pourrie de la grange aux pailles. Je me frayai un passage dans l’encombrement de vieilles pièces de métal, de volets cassés, de bois mort où jouaient des aplats de lumière et courus jusqu’au mur du fond. Rien d’anormal, aucune chaleur humaine.

Je me dirigeai alors vers le vieux château d’eau en brique. Un cadenas neuf en interdisait l’entrée et du neuf n’avait pas sa place sur une ruine branlante ! Je le fis sauter d’un coup de feu en me protégeant le visage et pénétrai dans l’obscurité, sans oublier d’allumer une petite torche ramassée dans la grange. Ma semelle percuta un autre cadenas. Les galeries souterraines se déployaient sous mes pieds, sous la ferme…

Je dévalai les escaliers en pierre, tout en prenant garde de ne pas me rompre le cou dans une mauvaise chute. Les ténèbres s’abattirent sur moi comme une lame de guillotine. Ma torche devenait dérisoire.

Je devais récupérer la Maglite dans le coffre de ma voiture…

Sous le trait du puissant faisceau, j’avançai sous les voûtes d’où perlaient parfois des gouttes d’humidité qui mouraient sur la pierre dans un flop percutant. Devant moi, un trou plongea dans le noir saisissant et la galerie se scinda en deux autres branches, en Y. J’avais l’impression d’évoluer dans la panse d’un gigantesque monstre de pierre. La lumière naturelle disparaissait au rythme de ma progression, comme digérée par cette noirceur affamée. Je décidai de suivre avec méthode le mur de droite, afin de reconstituer aisément mon chemin au cas où cet entrelacs d’intestins souterrains me désorienterait. Une petite entrée dans la roche me conduisit dans une sorte de salle et, dans l’éclat jaune des rayons, se découpèrent des ossements humains. Des côtes repliées telles des griffes de chats, des fémurs, des tibias et des crânes, des dizaines de crânes. Je m’approchai du monceau calcifié et compris, à constater les fissures sur les os, que ces squelettes ne dataient pas d’hier. J’éclairai l’arche basse du plafond, les murs suintants, me demandant quels horribles secrets renfermait l’histoire de cet enfer chtonien. Je m’éclipsai, l’arme toujours serrée avec force. J’eus l’impression que l’obscurité me piquait les joues et s’intensifiait autour de moi. Les cinq piles emboîtées dans le manche de ma Maglite commençaient à présenter des signes de faiblesse. J’en avais encore, grand maximum, pour une demi-heure de lumière avant l’extinction complète des feux.

Plus en profondeur, je tombai sur une autre cavité, un nouvel ossuaire, puis me retrouvai pris au piège dans un cul-de-sac.

Je rebroussai chemin, la main ne quittant pas le mur de gauche. Une galerie plus large s’engouffra dans une ouverture béante de la paroi et je m’y enfonçai d’un pas très vif. Les soubresauts d’intensité lumineuse du faisceau démontraient clairement que les ténèbres ne tarderaient pas à reprendre leurs droits.

Le lacis souterrain devait s’étendre sur plusieurs centaines de mètres, voire des kilomètres ; sans cesse, s’ouvraient dans l’inconnu de nouvelles bouches et des tunnels sans fin. Je suivais toutes les voies qui se présentaient à moi, prenant soin, à chaque fois, de noter mentalement l’itinéraire emprunté. J’étais devenu, moi aussi, un jouet de Serpetti, une marionnette, un train électrique piégé dans un réseau grandeur nature…

Au creux de nulle part, j’osai un appel. « Suzanne ! Suzanne ! » Ma voix buta sur de multiples murs avant de disparaître, comme avalée par le néant. Aucune réponse. Juste des échos glaciaux. La Maglite s’éteignit et se ralluma lorsque je tapotai sèchement sur l’arrière. J’avais surestimé la durée de vie des piles. Il me fallait remonter et attendre des renforts censés arriver d’un instant à l’autre. La pulpe des doigts cette fois en contact avec le mur situé à ma gauche, je revins sur mes pas jusqu’à, enfin, atteindre l’escalier, au moment où ma torche s’éteignait définitivement. Des voix extérieures parvinrent jusqu’à mes oreilles. « Ici ! » hurlai-je. J’entendis des haussements de ton puis une cavalerie de pas.

« C’est moi, Sharko ! » J’accourus jusqu’à l’entrée du château d’eau. « Combien êtes-vous ? »

Sibersky répondit. « Nous sommes huit, venus avec quatre voitures. Une voiture est partie chez la criminologue. D’autres équipes vont arriver !

— Allez me chercher des torches ! Des projecteurs, vite ! Et amenez-vous ! Il faut fouiller ces souterrains !

— Vous pensez qu’il tient Williams ?

— Je crois ! Vite !

— Et votre femme ?

— Elle est enfermée là-dedans, j’en ai la certitude ! Des centaines et des centaines de mètres de galeries se déploient sous nos pieds. Appelez d’autres renforts, encore et encore. Je veux le plus de monde possible sur les fouilles ! Contactez tous les commissariats du coin ! Qu’ils rappliquent ! Et surtout, il me le faut vivant ! Vivant ! Cet enfoiré, je le veux vivant !!!

— À vos ordres ! »

Je pris sous le bras l’un des projecteurs à batterie et me lançai dans les boyaux, longeant cette fois la patte gauche du réseau souterrain. « Suivez-moi ! À chaque fois que les tunnels se sépareront, nous nous séparerons de la même façon de sorte à couvrir le maximum de surface. Si vous découvrez quelque chose, criez ! »

Très rapidement, le labyrinthe nous éloigna les uns des autres. Seul Sibersky m’accompagnait encore. Le puissant projecteur nous offrait un spectacle digne d’une série d’angoisse. Des zones d’ombres dues au relief irrégulier se dessinaient au-dessus de nos têtes comme les mains décharnées de spectres. L’eau ruisselait plus fort dans certaines cavités, nous eûmes à traverser de larges flaques qui croupissaient sur le sol très certainement depuis des années. Un nouveau boyau contraignit Sibersky à poursuivre sur la gauche.

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