Thilliez, Franck - Train d’enfer pour ange rouge

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Je serrai les poings. « Je ne peux pas, Élisabeth !

— C’est le seul moyen de la sauver ! Peut-être que quelque chose vous choquera, vous ? Un détail qui nous aurait échappé ? Faites cet effort, Shark, pour l’amour de votre femme ! Pour attraper l’ordure qui bafoue à un tel point la vie et Dieu ! Faites-le, Shark ! Faites-le ! »

Je sortis mon portefeuille, portai un regard triste sur une photo sépia de ma femme. La puissance même de l’amour m’inonda le cœur d’une pluie de chagrin. Je murmurai : « Je vais le faire, Élisabeth… Je vais visualiser ces CD ROM… »

* *

*

La salle de traitement numérique du laboratoire de la police scientifique ressemblait à un studio d’enregistrement, du genre de celui d’Ecully, mais en beaucoup plus petit.

On y retravaillait les différentes vidéos et bandes sonores fournies dans les procédures judiciaires, en quête de vérité. Les possibilités d’analyse des ordinateurs défiaient sans conteste l’imagination…

Je m’installai dans une petite salle où s’empilaient plusieurs magnétoscopes, un téléviseur, un ordinateur et d’autres appareils dont je ne connaissais pas l’usage. Un ingénieur, Pascal Artemis, m’y rejoignit et posa quatre CD ROM au-dessus du poste de télévision. « Monsieur Sharko, vous pourrez regarder les films dans leur intégralité si vous le souhaitez, mais j’ai dupliqué certains passages sur ce cinquième CD, des passages que j’ai retravaillés numériquement pour essayer d’en tirer quelque chose… Des morceaux où l’on constate des changements de lieux, d’attitudes…

— Comment ça ? Je ne comprends pas bien.

— Vous allez voir… »

Il glissa le montage dans un lecteur de CD ROM, puis désigna l’ordinateur.

« Les images vont apparaître sur l’écran de l’ordinateur et non pas sur le téléviseur. Installez-vous face à l’écran. »

Je m’exécutai. Le CD diffusa une première séquence. Suzanne, assise sur une chaise, les mains ligotées dans le dos et les chevilles attachées aux pieds de bois… La porcelaine fragile de son corps se décrochait de l’arrière-plan très sombre. Une lumière aveuglante lui éclairait le visage et la forçait presque à fermer les yeux. Ces images firent couler dans mes veines la sève de l’impuissance, de la désolation et il me prit l’envie de me lever et de m’enfuir. Mais une voix intérieure m’ordonna de rester assis.

Le technicien cala l’appareil sur pause. Il ouvrit un fichier, une reconstitution qu’il avait préalablement enregistrée sur l’ordinateur. « Sur le premier CD, votre femme a été filmée sous plusieurs angles distincts. Nous disposons d’un logiciel d’extrapolation très puissant. À partir des différentes images, d’un algorithme de prédiction et en retravaillant le contraste, la luminosité et d’autres paramètres, nous pouvons reconstruire quasiment la totalité de l’endroit où elle est enfermée. Regardez… »

Il lança l’animation. La salle apparut comme en plein jour. Une sorte de caméra virtuelle donnait un rendu tel que l’on avait l’impression de se retrouver à l’intérieur de la cavité.

« On dirait une espèce de tunnel aménagé », remarquai-je.

« En effet. Au vu des poutres soutenant les parois, de la terre sur le sol et de l’humidité parfois sur l’objectif, on dirait qu’elle se trouve sous terre. Une grotte… »

L’animation tournait toujours sur elle-même, inlassablement, dévoilant un lit, un pot de chambre, une table, une chaise et un petit crucifix accroché au-dessus du lit. Une solide porte de métal cloisonnait l’entrée de la pièce. L’enfer sous terre, le Tartare… « Autre scène », dit Artemis. « … Assez insupportable… Ça va aller ? »

J’opinai de la tête et il cliqua sur un bouton. Suzanne apparut encore une fois les mains entravées, debout dans un coin. Une balle en plastique transpercée par une sangle de cuir empêchait de remuer les lèvres. Son corps croqué par les morsures du froid, fragilisé par les coups répétés, racontait l’histoire écrite de son calvaire. Ses cheveux étaient pourtant propres, les draps de son lit aussi. Une puissante torche l’éclairait et, contrairement à la scène précédente, l’image tremblotait, il devait tenir la caméra en main. De sa voix trafiquée, métallique et froide, il lui ordonna d’avancer. « Avance ! Avance ! Pute ! » Elle obéit, pantelée d’une telle terreur qu’elle s’étouffait derrière son bâillon. Ils franchirent la porte et un boyau sombre à la gueule dévorée par l’obscurité se déploya devant eux. Ils évoluèrent dans le dédale, elle devant, lui derrière à filmer le martyre de mon épouse. L’ingénieur, de la même façon que précédemment, appela une image stockée sur ordinateur qui révéla des détails invisibles à l’œil nu. « Ça va aller, commissaire ?

— Oui. Continuez.

— Bien. Voyez-vous ces encoches le long de la paroi ? Selon d’autres images, elles sont espacées d’environ cinq mètres. Elles servaient probablement, dans l’ancien temps, à fixer des flambeaux afin d’éclairer les voûtes. L’expert en géologie nous affirme que les parois ne sont pas en craie, mais d’une roche d’un étage immédiatement supérieur à la craie, appartenant probablement aux couches des coquilles pétrifiées ou nummulitiques. Sur certains plans où l’éclairage est plus fort, il est presque catégorique. Il se souvient d’un fait intéressant, relaté dans des archives de topographie. Dans le village de Droizelle, pas très loin de Paris, une cave s’est affaissée, provoquant un trou de six mètres de profondeur. Le même jour, une poissonnerie et une maison voisine se fissuraient également. On crut que des nappes souterraines en étaient la cause. Un ingénieur des travaux publics entreprit des fouilles. Les sondes ne donnèrent rien, alors il fut décidé de creuser un puits profond, étayé, cloisonné et, après des semaines, on découvrit, à quatorze mètres de profondeur, un vaste souterrain composé de caves voûtées. Creusées au XII esiècle, révèlent certains écrits. Par des communautés juives pour y stocker leurs objets précieux, parce qu’elles étaient soumises à des restrictions très sévères des pouvoirs publics et qu’il leur était interdit de commercer. Ces souterrains présentent les mêmes caractéristiques que celui où est enfermée votre femme. » D’un coup de reins, je fis rouler ma chaise vers l’arrière de la pièce. « Combien a-t-on recensé de réseaux de galeries ?

— Plus d’une vingtaine éparpillés dans le Bassin parisien. On en découvre de nouveaux tous les ans. Votre divisionnaire a déjà lancé une opération de fouilles en coordination avec les différents services de police. Mais il est fort probable que celui-ci soit encore inconnu, car les galeries recensées sont gardées et protégées.

— Bon sang… Ma femme sous terre… »

Je me remémorai les visions de Doudou Camélia, cette humidité, ce lieu pourrissant où il retenait Suzanne. Depuis le début, les pressentiments de la Guyanaise se vérifiaient…

« Commissaire ?

— Oui.

— Je vais continuer, si vous le permettez. L’analyse phonique n’a rien révélé. Aucun son ou bruit nous permettant de localiser l’endroit. Ce qui confirme la profondeur et l’isolation des galeries. »

Il but un verre d’eau et m’en proposa un que je refusai. Il plia ensuite le gobelet et le jeta dans une corbeille. « Chacun des films dure une demi-heure. D’après les dates au bas de l’écran, les prises de vues sont espacées d’environ un mois, ce, à partir d’avril 2002. Normalement, vous auriez dû découvrir six films, votre femme ayant été enlevée voilà plus de six mois. Soit ce Dulac les dissimulait ailleurs, soit, pour une raison ou une autre, les derniers épisodes ne lui sont pas parvenus.

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