Joseph Bédier - Le Roman de Tristan et Yseut
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- Название:Le Roman de Tristan et Yseut
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Le Roman de Tristan et Yseut: краткое содержание, описание и аннотация
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Iseut a vu l'anneau. Elle ouvre ses bras tout grands :
« Me voici ! Prends-moi, Tristan ! »
Alors Tristan cessa de contrefaire sa voix :
« Amie, comment m'as-tu si longtemps pu méconnaître, plus longtemps que ce chien ? Qu'importe cet anneau ? Ne sens-tu pas qu'il m'aurait été plus doux d'être reconnu au seul rappel de nos amours passées ? Qu'importe le son de ma voix ? C'est le son de mon cœur que tu devais entendre.
– Ami, dit Iseut, peut-être l'ai-je entendu plus tôt que tu ne penses ; mais nous sommes enveloppés de ruses : devais-je, comme ce chien, suivre mon désir, au risque de te faire prendre et tuer sous mes yeux ? Je me gardais et je te gardais. Ni le rappel de ta vie passée, ni le son de ta voix, ni cet anneau même ne me prouvent rien, car ce peuvent être les jeux méchants d'un enchanteur. Je me rends pourtant, à la vue de l'anneau : n'ai-je pas juré que, sitôt que je le reverrais, dussé-je me perdre, je ferais toujours ce que tu me manderais, que ce fût sagesse ou folie ? Sagesse ou folie, me voici ; prends-moi, Tristan ! »
Elle tomba pâmée sur la poitrine de son ami. Quand elle revint à elle, Tristan la tenait embrassée et baisait ses yeux et sa face. II entre avec elle sous la courtine. Entre ses bras il tient la reine.
Pour s'amuser du fou, les valets l'hébergèrent sous les degrés de la salle, comme un chien dans un chenil. Il endurait doucement leurs railleries et leurs coups, car parfois, reprennent sa forme et sa beauté, il passait de son taudis à la chambre de la reine.
Mais, après quelques jours écoulés, deux chambrières soupçonnèrent la fraude ; elles avertirent Andret, qui aposta devant les chambres des femmes trois espions bien armés. Quand Tristan voulut franchir la porte :
« Arrière, fou, crièrent-ils, retourne te coucher sur ta botte de paille !
– Eh quoi ! beaux seigneurs, dit le fou, faut-il pas que j'aille ce soir embrasser la reine ? Ne savez-vous pas qu'elle m'aime et qu'elle m'attend ? »
Tristan brandit sa massue ; ils eurent peur et le laissèrent entrer. Il prit Iseut entre ses bras :
« Amie, il me faut fuir déjà, car bientôt je serais découvert. Il me faut fuir et jamais sans doute je ne reviendrai. Ma mort est prochaine : loin de vous, je mourrai de mon désir.
– Ami, ferme tes bras et accole-moi si étroitement que, dans cet embrassement, nos deux cœurs se rompent et nos âmes s'en aillent ! Emmène-moi au pays fortuné dont tu parlais jadis : au pays dont nul ne retourne, où des musiciens insignes chantent des chants sans fin. Emmène-moi !
– Oui, je t'emmènerai au pays fortuné des Vivants. Le temps approche ; n'avons-nous pas bu déjà toute misère et toute joie ? Le temps approche ; quand il sera tout accompli, si je t'appelle, Iseut, viendras-tu ?
– Ami, appelle-moi, tu le sais bien que je viendrai !
– Amie ! que Dieu t'en récompense ! »
Lorsqu'il franchit le seuil, les espions se jetèrent contre lui. Mais le fou éclata de rire, fit tourner sa massue et dit :
« Vous me chassez, beaux seigneurs ; à quoi bon ? Je n'ai plus que faire céans, puisque ma dame m'envoie au loin préparer la maison claire que je lui ai promise, la maison de cristal, fleurie de roses, lumineuse au matin quand reluit le soleil !
– Va-t'en donc, fou, à la male heure !
Les valets s'écartèrent, et le fou, sans se hâter, s'en fut en dansant.
Chapitre 19 LA MORT
À peine était-il revenu en Petite-Bretagne, à Carhaix, il advint que Tristan, pour porter aide à son cher compagnon Kaherdin, guerroya un baron nommé Bedalis. Il tomba dans une embuscade dressée par Bedalis et ses frères. Tristan tua les sept frères. Mais lui-même fut blessé d'un coup de lance, et la lance était empoisonnée.
Il revint à grand'peine jusqu'au château de Carhaix et fit appareiller ses plaies. Les médecins vinrent en nombre, mais nul ne sut le guérir du venin, car ils ne le découvrirent même pas. Ils ne surent faire aucun emplâtre pour attirer le poison au dehors ; vainement ils battent et broient leurs racines, cueillent des herbes, composent des breuvages : Tristan ne fait qu'empirer, le venin s'épand par son corps ; il blêmit et ses os commencent à se découvrir.
Il sentit que sa vie se perdait, il comprit qu'il fallait mourir. Alors il voulut revoir Iseut la Blonde. Mais comment aller vers elle ? Il est si faible que la mer le tuerait ; et si même il parvenait en Cornouailles, comment y échapper à ses ennemis ? Il se lamente, le venin l'angoisse, il attend la mort.
Il manda Kaherdin en secret pour lui découvrir sa douleur, car tous deux s'aimaient d'un loyal amour. Il voulut que personne ne restât dans sa chambre, hormis Kaherdin et même que nul ne se tînt dans les salles voisines. Iseut, sa femme, s'émerveilla en son cœur de cette étrange volonté. Elle en fut tout effrayée et voulut entendre l'entretien. Elle vint s'appuyer en dehors de la chambre, contre la paroi qui touchait au lit de Tristan. Elle écoute ; un de ses fidèles, pour que nul ne la surprenne, guette au dehors.
Tristan rassemble ses forces, se redresse, s'appuie contre la muraille ; Kaherdin s'assied près de lui, et tous deux pleurent ensemble tendrement. Ils pleurent le bon compagnonnage d'armes, si tôt rompu, leur grande amitié et leurs amours ; et l'un se lamente sur l'autre.
« Beau doux ami, dit Tristan, je suis sur une terre étrangère, où je n'ai ni parent, ni ami, vous seul excepté ; vous seul, en cette contrée, m'avez donné joie et consolation. Je perds ma vie, je voudrais revoir Iseut la Blonde. Mais comment, par quelle ruse lui faire connaître mon besoin ? Ah ! si je savais un messager qui voulût aller vers elle, elle viendrait, tant elle m'aime ! Kaherdin, beau compagnon, par notre amitié, par la noblesse de votre cœur, par notre compagnonnage, je vous en requiers : tentez pour moi cette aventure, et si vous emportez mon message, je deviendrai votre homme lige et vous aimerai par-dessus tous les hommes. »
Kaherdin voit Tristan pleurer, se déconforter, se plaindre ; son cœur s'amollit de tendresse ; il répond doucement, par amour :
« Beau compagnon, ne pleurez plus, je ferai tout votre désir. Certes, ami, pour l'amour de vous je me mettrais en aventure de mort. Nulle détresse, nulle angoisse ne m'empêchera de faire selon mon pouvoir. Dites ce que vous voulez mander à la reine, et je fais mes apprêts. »
Tristan répondit :
« Ami, soyez remercié ! Or, écoutez ma prière. Prenez cet anneau : c'est une enseigne entre elle et moi. Et quand vous arriverez en sa terre, faites-vous passer à la cour pour un marchand. Présentez-lui des étoffes de soie, faites qu'elle voie cet anneau : aussitôt elle cherchera une ruse pour vous parler en secret. Alors, dites-lui que mon cœur la salue ; que, seule, elle peut me porter réconfort ; dites-lui que, si elle ne vient pas, je meurs ; dites-lui qu'il lui souvienne de nos plaisirs passés, et des grandes peines, et des grandes tristesses, et des joies, et des douleurs de notre amour loyal et tendre ; qu'il lui souvienne du breuvage que nous bûmes ensemble sur la mer ; ah ! c'est notre mort que nous avons bue ! Qu'il lui souvienne du serment que je lui fis de n'aimer jamais qu'elle : j'ai tenu cette promesse ! »
Derrière la paroi, Iseut aux Blanches Mains entendit ces paroles ; elle défaillit presque.
« Hâtez-vous, compagnon, et revenez bientôt vers moi ; si vous tardez, vous ne me reverrez plus. Prenez un terme de quarante jours et ramenez Iseut la Blonde. Cachez votre départ à votre sœur, ou dites que vous allez quérir un médecin. Vous emmènerez ma belle nef ; prenez avec vous deux voiles, l'une blanche, l'autre noire. Si vous ramenez la reine Iseut, dressez au retour la voile blanche ; et, si vous ne la ramenez pas, cinglez avec la voile noire. Ami, je n'ai plus rien à vous dire : que Dieu vous guide et vous ramène sain et sauf ! »
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