Max Gallo - 1943-Le souffle de la victoire

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C’est par dizaines de milliers que se comptent les « exécutés » ; 20 000, estime-t-on, pour la seule bataille de Stalingrad.

Les Allemands, quand ils fusillent leurs soldats, évoquent la nécessité de maintenir la « discipline virile ».

Les commissaires soviétiques de l’armée Rouge invoquent la « discipline bolchevique ».

Les combats – offensifs ou défensifs – atteignent aussi une violence extrême, une sauvagerie infernale.

Un soldat allemand décrit le champ de bataille après les combats du saillant de Koursk :

« Chaque arbre, chaque buisson a été déchiqueté, un terrain entièrement recouvert d’épaves, de pièces d’artillerie, de chars totalement brûlés, d’avions abattus… Des images de fin du monde qui risquaient fort de désespérer les hommes qui les avaient vues, sauf s’ils avaient des nerfs d’acier. »

Les Russes ont une telle supériorité en hommes et en armes, une telle volonté d’appliquer le « point de vue du boucher » qu’ils percent les lignes allemandes, ce mince rideau d’hommes.

Les colonnes de T34 sont ensuite libres de « naviguer » sur les arrières des unités allemandes qui, séparées les unes des autres, continuent de résister ou cherchent à se replier.

Léon Degrelle, qui est à la tête de la brigade SS Wallonie, essaie ainsi d’échapper à l’encerclement.

« Dans cet affreux combat, écrit-il, les véhicules étaient renversés, projetant à terre, pêle-mêle, des blessés. Une vague de chars soviétiques s’abattit sur les premières voitures et s’en prit à plus de la moitié du convoi ; elle avançait au milieu des fourgons, les détruisant sous nos yeux, un par un, comme des boîtes d’allumettes, écrasant les hommes blessés, les chevaux… Nous n’eûmes un moment de répit que lorsque la colonne de chars finit par se trouver embouteillée et en difficulté pour arriver à s’extraire de l’enchevêtrement de centaines de voitures plus ou moins écrasées sous leurs chenilles. »

Les SS wallons réussissent, sous le feu des chars et des canons russes, à rouler durant une dizaine de kilomètres jusqu’à une rivière de huit mètres de large et deux mètres de profondeur.

« […] Les attelages d’artillerie qui avaient échappé à la destruction plongèrent les premiers dans le courant, au milieu des glaçons flottants. L’autre rive était trop escarpée pour les chevaux, qui ne purent faire demi-tour et se noyèrent. Les hommes se jetèrent à l’eau et traversèrent la rivière en nageant. Mais à peine avaient-ils pris pied de l’autre côté qu’ils se transformaient en blocs de glace, leur uniforme gelé sur leur corps. Quelques-uns tombèrent morts. La plupart préférèrent se débarrasser de leurs vêtements ; ils essayèrent de les jeter sur l’autre rive ; mais sans pouvoir toujours y arriver, et le courant entraînait effets et équipements. Bientôt des centaines de soldats, complètement nus et rouges comme des homards, se pressaient sur l’autre rive. Beaucoup d’hommes ne savaient pas nager. Affolés par l’approche des blindés russes qui descendaient la pente et tiraient sur eux, ils se jetèrent pêle-mêle dans l’eau glacée. Certains échappèrent à la mort en s’accrochant à des arbres qu’ils avaient hâtivement abattus… Mais des centaines se noyèrent. Sous le feu des chars ennemis, des milliers et des milliers de soldats, ruisselants d’eau glacée, à peine vêtus ou bien nus comme au jour de leur naissance, couraient sur la neige vers les premières maisons de Lysianka. »

Bon nombre de ces survivants vont être faits prisonniers, et leur destin, mourir de faim et de froid, est tracé.

Les Russes sont à peine moins inhumains avec leurs compatriotes faits prisonniers par les Allemands qu’ils « libèrent ». Mais le NKVD veille. Tout soldat pris par l’ennemi est soupçonné d’avoir déserté.

La mort au combat absout seule le soldat russe.

Quant aux blessés, aux mutilés, ils sont, en dépit du dévouement des infirmières et des médecins, devenus des « inutiles ».

Le bon soldat est celui qui peut se battre, tuer et mourir.

En fait, les conditions atroces de guerre ne favorisent pas les sentiments et d’abord la compassion ou la reconnaissance de l’humain chez l’ennemi.

Quand les Russes libèrent une région, une ville, un village, ils constatent d’abord les destructions systématiques.

Les Allemands ne laissent derrière eux que la « dévastation ». Parfois, surpris par la rapidité de l’avance des tanks russes, les Allemands s’enfuient sans avoir eu le temps de détruire.

Un officier russe découvre ainsi, dans la petite ville qu’il libère, des véhicules abandonnés dont la provenance raconte l’histoire de la guerre depuis 1939.

« On aurait dit un garage. Des voitures de toutes marques et de tous modèles étaient alignées en rangs serrés, le long des rues, dans les cours et les cerisaies. Il y en avait de tous les pays d’Europe. Depuis les énormes sept tonnes Demag qui abritaient tout un atelier de réparation jusqu’aux petits tricycles Renault, depuis les luxueuses Horch jusqu’aux vieilles Citroën. Toutes étaient camouflées en vue d’un prochain mouvement par voie de terre. Sur les voies de garage, il y avait des rames de wagons de farine, de sel, de munitions, de chars, d’essence. Devant un siloélévateur, un train était chargé, prêt à partir. La destination était marquée sur les wagons : Cologne, Tilsit, Königsberg. »

Mais le plus souvent, la barbarie de l’occupation nazie recouvre une toute autre réalité.

Vassili Grossman, né à Berditchev, en Ukraine, retrouve ainsi les paysages de son enfance, et son pays mis à feu et à sang. Il interroge les survivants, des vieux pour la plupart.

« Celui qui a entendu, écrit-il, le récit véridique de ce qui s’est passé en Ukraine durant les deux ans de domination allemande comprend de toute son âme que désormais cohabitent sur notre terre deux mots sacro-saints. L’un est amour, le second vengeance. »

Il croise dans un village de la région du Dniepr un jeune garçon de treize ou quatorze ans.

« Sa maigreur est extrême, sa peau terreuse est tendue sur ses pommettes, de grosses bosses pointent sur son crâne, il a les lèvres sales, exsangues comme celles d’un mort tombé le visage contre terre. Son regard est las, on n’y lit ni joie ni chagrin. »

Vassili Grossman l’interroge :

« Où est ton père ?

— Ils l’ont tué.

— Et ta mère ?

— Elle est morte.

— Tu as des frères et des sœurs ?

— Une sœur, ils l’ont emmenée en Allemagne.

— Il te reste de la famille ?

— Non, ils les ont brûlés dans un village de partisans. »

Grossman regarde ce jeune garçon se diriger vers un champ de pommes de terre, avançant sur ses pieds nus, noir de boue, tirant sur les lambeaux de sa chemise déchirée.

Grossman n’oubliera pas cette silhouette.

Mais l’émotion, la révolte, l’accablement, le désespoir le submergent quand il rencontre des fugitifs qui arrivent de Kiev, encore tenue par les nazis.

« Ils racontent que les Allemands ont encerclé d’un cordon de troupes une énorme fosse dans laquelle avaient été enfouis les corps des 50 000 Juifs assassinés à Kiev à la fin du mois de septembre 1941. Ils déterrent fiévreusement les cadavres et les chargent sur des camions qui les emmènent vers l’ouest. Ils s’efforcent de brûler sur place une partie de ces cadavres. »

Cette fosse est le ravin de Babi Yar où près de 100 000 personnes – Juifs pour plus de la moitié, tsiganes, partisans, communistes – furent contraintes de donner leurs biens puis de se dévêtir avant d’être abattues.

Quand il rentre à Kiev Grossman écrit à sa femme Hier jétais à Kiev Il - фото 49

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