Max Gallo - La chambre ardente

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Mme de Thianges était la soeur de la marquise de Montespan, et Mme de Vivonne la belle-soeur de la même, maîtresse du Roi.

Ce sort particulier réservé à celles qui touchaient de près à la marquise de Montespan, qu'elles fussent ses suivantes ou ses parentes, dit assez que le Roi veillait à ce que sa justice ne frappât pas ses proches.

Ou celles qu'il avait aimées.

Il fit avertir par le duc de Bouillon Olympe Mancini, son amour d'autrefois, qu'elle allait être conduite à la Bastille si elle ne quittait pas le Royaume. Et qu'il la laissait libre de choisir entre la prison et l'exil.

Elle remplit sa cassette de bijoux et son portefeuille de plusieurs centaines de milliers de francs, puis elle prévint son amie la marquise d'Alluye, et toutes deux, au milieu de la nuit, quittèrent la France pour Bruxelles.

Les gardes du corps chargés de les poursuivre retinrent leurs chevaux afin de ne point rejoindre le carrosse des fugitives.

Et cependant, l'accusation portée contre Olympe Mancini était celle d'avoir voulu la mort de Mlle de La Vallière, maîtresse du Roi, et peut-être même celle du souverain !

Son mari, le duc de Soissons, était mort après une courte maladie de trois jours et on accusa Olympe de l'avoir aidé, par la poudre d'arsenic, à quitter ce monde.

Vous savez, Illustrissimes Seigneuries, les rumeurs qui, il y a quelques années, ont assuré qu'à Madrid où elle s'était retirée Olympe Mancini, comtesse de Soissons avait, avec son amant le comte de Mansfeld, ambassadeur de Vienne, empoisonné Marie-Louise d'Orléans, reine d'Espagne. Celle-ci se savait menacée et avait écrit au roi de France, son oncle : « Je supplie très humblement Votre Majesté de vouloir bien faire envoyer quelques contre-poisons. »

Ils arrivèrent trop tard.

Et c'est cette Olympe Mancini que Louis XIV avait invitée à fuir afin de lui épargner la Bastille.

La vicomtesse de Polignac, le marquis de Cessac s'enfuirent eux aussi pour éviter la prise de corps.

Quant à la soeur d'Olympe Mancini, la duchesse de Bouillon, née Marie-Anne Mancini, elle se présenta devant la Chambre ardente, accompagnée de son mari, le duc de Bouillon, et de son amant, le duc de Vendôme.

La Voisin et Lesage l'avaient accusée de vouloir empoisonner l'époux pour jouir pleinement de l'amant ! Mais les deux hommes étaient là côte à côte pour la défendre. Et elle avait parlé avec morgue :

– Moi, me défaire de mon mari ? Vous n'avez qu'à lui demander s'il en est persuadé ! Il m'a donné la main jusqu'à cette porte.

– Mais pourquoi alliez-vous si souvent chez cette Voisin ?

– C'est que je voulais voir les sibylles qu'elle m'avait promises. Cette compagnie méritait bien qu'on fît tous les pas.

Elle se moqua des magistrats :

– Je n'eusse jamais cru que des hommes sages pussent demander tant de sottises, leur dit-elle.

Je sais que La Reynie, dont elle se gaussa, fut rempli d'amertume, et c'est à cette occasion qu'il me fit la seule confidence précise concernant le Roi :

– Sa Majesté, me dit-il, n'a pas voulu que la duchesse de Bouillon soit confrontée devant ses juges avec la Voisin et Lesage.

– La justice peut-elle connaître la vérité dans ces conditions ? lui demandai-je.

Pour toute réponse, il se contenta d'écarter les bras en signe de soumission mais aussi d'impuissance.

Les juges ne furent pas plus heureux avec les autres gens de condition appelés à comparaître.

On avait accusé le maréchal de Luxembourg d'avoir conclu un pacte écrit avec le diable. Mais lorsqu'on lui présenta le billet, le maréchal s'aperçut qu'entre la date et sa signature on avait ajouté une phrase qui n'était ni de sa main, ni de son encre, par laquelle il faisait « donation à Satan de sa personne » et s'engageait à faire « toutes les conjurations nécessaires ».

Il ne lui fut pas difficile de démonter la machination. Et l'on soupçonna Louvois d'avoir voulu, par ces accusations, écarter un homme dont la gloire militaire portait ombrage au pouvoir du ministre.

Le maréchal de Luxembourg fut acquitté, ainsi que sa belle-soeur, la princesse de Tingry, que l'accusation avait présentée comme mère de trois bâtards du maréchal que, prétendait-on, la Voisin avait brûlés dans son four.

Ces acquittements, Illustrissimes Seigneuries, me paraissent, à la lecture des copies de documents, conformes à la justice. Mais il en est d'autres qui surprennent.

Mme de Dreux, accusée de plusieurs crimes attestés, ne subit qu'une bienveillante admonestation.

L'épouse Leféron, qui avait empoisonné son époux, président de la première chambre des Requêtes, ne fut condamnée qu'à une amende et au bannissement hors le vicomté de Paris.

Mais on pendait en place de Grève empoisonneurs, devineresses et sorcières. On arrêtait l'abbé Mariette, le complice de Lesage, et l'abbé Guibourg.

Et le 19 janvier 1680 la Voisin fut condamnée à mort.

Elle but et banqueta avec ses gardes. Elle rugit contre ses complices, dont Lesage et ce faux-monnayeur alchimiste de Blessis.

On l'interrogea à nouveau, puisqu'elle semblait, maintenant que son sort était scellé, prête à parler plus abondamment qu'elle ne l'avait fait jusqu'alors.

Les juges voulaient connaître la nature de ses relations avec les femmes de la suite de Mme de Montespan, Mlle des OEillets et Mlle Catau.

Pour l'une d'elles, Mlle Catau, la Voisin l'avait connue au Palais-Royal, lui avait lu les lignes de la main, mais elle ignorait même qu'elle fût entrée au service de Mme de Montespan. Et la Voisin répéta qu'elle n'avait jamais rencontré Mlle des OEillets.

Et elle ne connaissait personne à la Cour qui se livrât au commerce des poisons.

Voulait-on vraiment qu'elle parle ? Qu'elle expliquât pourquoi elle s'était rendue au château de Saint-Germain afin de remettre un placet au Roi ?

– Je n'ai jamais porté de poudre ni à Saint-Germain, ni à Versailles, ressassa-t-elle.

Elle voulait simplement faire libérer Blessis que le marquis de Termes retenait prisonnier.

Les interrogateurs s'en tinrent là. Et on ne fit que le simulacre de lui appliquer la question.

Alors, au château de Vincennes où elle était détenue, elle put chanter, s'enivrer, se moquer de ceux qui l'invitaient à penser à son salut.

Elle refusa même de recevoir un confesseur, répétant, le 22 février 1680, quand on la conduisait en place de Grève, qu'elle n'avait aucune autre déclaration à faire.

La foule était là pour la voir s'agenouiller sur le parvis de Notre-Dame, tenant son cierge de deux livres, mais, d'un mouvement brusque, se redressant, massive dans sa tunique de bure, repoussant le crucifix, se débattant quand le bourreau la poussa dans le tombereau puis l'attacha avec les chaînes au bûcher.

Elle jura.

Elle dit qu'« un grand nombre de personnes de toutes sortes de conditions et de qualité se sont adressées à elle pour demander la mort et les moyens de faire mourir beaucoup de personnes, et que c'est la débauche qui est la première cause de tous ces désordres ».

On ensevelit son corps sous les fagots et les bottes de paille qu'elle tenta de repousser, criant encore, mais ne lançant aucun nom, puis le bourreau plongea sa torche dans la paille et la fumée noire étouffa la Voisin.

Et les flammes firent leur office.

IX.

La beauté extrême

Le corps de la Voisin a donc été réduit à quelques poignées de cendres mêlées à celles des fagots et de la paille. Les aides du bourreau les recueillent et les jettent au vent, depuis les rives de la Seine, dans le fleuve qui les engloutit et les emporte.

Et l'on a pu croire, Illustrissimes Seigneuries, que l'on ne parlerait plus d'affaire des poisons dans le royaume de France.

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