— Parbleu! fit-il tout d’un coup…
L’aiguille qui lui servait de sonde avait rencontré un objet qui résistait, qu’elle traversait difficilement.
— Je parie que voici mon affaire!
Vagualame, d’un geste habile, glissait sous le couvre-pied sa main fine et sèche; il retenait mal un cri de satisfaction.
— La petite imbécile! elle n’a même pas caché cela dans l’intérieur du matelas; elle s’est contentée de le glisser entre celui-ci et le sommier… C’est une enfant!..
Sa main ramenait deux enveloppes, dont il regardait avidement les suscriptions.
— Oh! oh! faisait-il, c’est plus grave encore que je ne le pensais… Il va falloir agir… Ah çà! mais est-ce qu’elle se moquerait de moi?… Nichoune! Nichoune! tu viens de jouer un jeu dangereux, un jeu qui, dans quelques minutes, pourrait te coûter cher…
Sur la première des enveloppes que tenait Vagualame, le vieux mendiant avait lu un simple mot:
« Belfort »
C’était le document qu’il avait remis la veille au soir à l’actrice. Il n’était, après tout, que médiocrement étonné de constater que Nichoune ne l’avait point remis au divisionnaire annoncé…
Mais l’autre enveloppe, elle, portait comme adresse ces deux lignes:
M. BONNET
Juge d’instruction .
Vagualame considéra longuement cette suscription:
— Elle nous vend! murmura-t-il, parbleu, c’est certain!.. pas de doute! la petite misérable!.. Ah! elle a des scrupules!.. Je m’en vais lui servir une leçon de catéchisme de ma façon…
Le vieux mendiant tenait toujours l’enveloppe, la tournait dans tous les sens.
— Ce qu’il faudrait, monologuait-il, c’est savoir exactement ce qu’elle a écrit là-dedans?… Mais si je l’ouvre en ce moment, je n’aurai peut-être pas le temps de faire un faux, d’imiter son écriture, de trouver une enveloppe semblable… je risque d’éveiller son attention… Ah! soyons raisonnable, laissons tout en état… Aussi bien, je m’arrangerai pour prendre ce petit papier, dangereux malgré tout, demain matin, lorsque…
Vagualame s’interrompit soudain, prêtant l’oreille:
— Attention! faisait-il, je reconnais sa voix… bigre! j’allais rater mon affaire.
Il remit prestement en place les deux documents qu’il venait d’examiner, puis, rapidement, tirant de sa poche une liasse de lettres écrites à la main et, merveilleux d’habileté, forçant un tiroir de la table, les mêla à d’autres lettres conservées par Nichoune…
— Voilà, ma petite, monologuait-il, de quoi faire honorer ta mémoire!
Nichoune entrait dans la pièce.
— Bonjour! cria-t-elle.
Vagualame feignait de se réveiller en sursaut:
— Ah!.. ah!.. ah!.. bonjour, Nichoune… Dis donc, tu n’as pas vu Belfort, hein?
— Comment le savez-vous? demanda-t-elle.
— Je viens de le rencontrer… il m’a dit qu’il ne t’avait point trouvée au rendez-vous habituel…
Nichoune baissa la tête:
— J’ai cru que j’étais filée…
Vagualame approuva de la tête:
— Bon… bon… ça n’a pas autrement d’importance… Rends-moi toujours mon enveloppe…
— Vous la voulez?
— Bien entendu…
La jeune femme hésita une seconde… mais pouvait-elle résister?
— Par précaution, fit-elle, figurez-vous, Vagualame, que je l’avais cachée entre mon matelas et mon sommier… Tenez, la voici…
Nichoune, naturellement, ne tendait au vieux mendiant qu’une seule enveloppe, ne faisant point allusion à la seconde lettre, celle destinée au juge d’instruction, et qu’elle laissa dans sa cachette…
— Merci, petite…
Vagualame sembla indifférent à la remise du document. Il considérait maintenant la jeune femme si attentivement, que celle-ci lui demandait:
— Mais qu’avez-vous donc à me regarder comme ça?…
— Je te trouve très jolie!..
— Comment! voilà que vous devenez galant!..
— Galant!.. non, tu exagères: je te trouve jolie, Nichoune, mais tu as de vilaines mains…
L’artiste riait et tendait ses deux petites mains.
— Que leur reprochez-vous donc?
— Elles sont rouges… Je m’étonne qu’une femme comme toi ne pense pas à les faire blanchir… Tu ne connais donc pas le moyen?
— Non… Que faut-il faire?…
— Mais, c’est l’enfance de l’art, ripostait le mendiant. Tiens, tu n’as chaque soir qu’à t’attacher les deux mains avec un ruban et à les maintenir levées au-dessus de ta tête.
— Comment ça? Je ne comprends pas!
— Mais si!.. tu mets un clou dans la muraille, n’est-ce pas?… et puis tu t’arranges que toute la nuit tu gardes les mains levées… Tu verras que le lendemain elles seront blanches comme des lis…
Nichoune paraissait vivement intéressée.
— Vrai?… J’essayerai cela ce soir… Il faut dormir les mains attachées en l’air, alors?
Quelques minutes après, Vagualame s’éloignait par les rues de Châlons. L’affreux bonhomme ricanait.
— Les mains en l’air, ma jolie!.. essaye cela ce soir! Avec la petite maladie de cœur que je te connais, j’imagine que le résultat ne se fera pas attendre! Hé… hé… cela servira d’exemple à ceux et à celles qui veulent écrire au juge d’instruction…
Et Vagualame songeait encore:
— Il va falloir que je fasse très attention ce soir, quand je viendrai me cacher chez cette petite imbécile… il faudra de toute façon que je puisse prendre cette lettre compromettante avant que personne dans l’hôtel se soit aperçu du décès… il faudra surtout que personne ne s’aperçoive… oh! cela, il est vrai…
Ceux qui croisaient Vagualame croyaient tout simplement rencontrer un vieux joueur d’accordéon…
9 — CHEZ LE SOUS-SECRÉTAIRE D’ÉTAT
— Entrez! dit, d’un ton excédé Hofferman, fort occupé à écrire.
Un caricatural planton s’introduisit timidement dans le bureau du chef du service des renseignements.
— C’est un huissier du cabinet, dit-il, qui fait demander à mon colonel de bien vouloir descendre tout de suite voir M. le sous-secrétaire d’Etat.
Hofferman leva la tête, étonné.
— Moi? vous êtes sûr que c’est moi?
— Oui, mon colonel.
— C’est bien, j’y vais.
Le planton s’éclipsa. Hofferman resta un instant songeur, puis brusquement se levait, entrouvrait la porte de la pièce voisine et s’adressant au commandant Dumoulin:
— Je descends un instant, le sous-secrétaire d’État me demande…
Le colonel, à pas pressés, parcourut les interminables couloirs qui le séparaient du bâtiment dans lequel étaient aménagés les bureaux du sous-secrétaire d’État.
— Que peut-il donc me vouloir? se demandait le colonel Hofferman en pénétrant dans le cabinet du ministre.
M. Maranjévol n’était pas seul dans son vaste salon: en face de lui, se tenant à contre-jour, se trouvait un homme d’assez haute stature et dont les cheveux rares bouclaient légèrement.
Le sous-secrétaire d’État se leva de son fauteuil et, sans le moindre préambule, fit les présentations:
— M. Juve, inspecteur de la Sûreté… Colonel Hofferman, chef du Deuxième Bureau…
Le policier et le militaire s’étaient salués gravement.
Un peu froids, ils attendaient en silence que M. le sous-secrétaire d’État voulût bien amorcer l’entretien.
M. Maranjévol, en deux mots, expliquait qu’à la suite d’un bref entretien avec Juve, au sujet de la mort du capitaine Brocq, il avait cru nécessaire de le mettre en rapport avec le colonel Hofferman.
— Ma foi, monsieur, déclara-t-il d’une voix sèche, je suis fort heureux de la circonstance qui nous réunit. Je ne vous cacherai pas que je suis étonné, très désagréablement étonné même, de votre attitude depuis quelques jours à propos de ce malheureux drame. J’ai toujours considéré jusqu’à présent que la personnalité privée d’un officier, surtout d’un officier de l’État-Major, était une chose quasi-inviolable. Or, il m’est revenu qu’à la mort du capitaine Brocq vous vous êtes livré, non seulement à des enquêtes minutieuses sur les circonstances ayant accompagné le décès, mais encore que vous aviez perquisitionné au domicile du défunt, sans nous en aviser au préalable. Je ne puis admettre cette façon de procéder, et je me félicite d’avoir l’occasion de vous le dire!
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