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Erik L'Homme: A Comme Association T4 - Le subtil parfum du soufre

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— Qui te lient ?

Coup d’œil sur la porte. Si Erglug fait mine de se lever je peux l’atteindre avant lui, c’est une certitude. Aurais-je en revanche le temps de démarrer ma moto avant qu’il me rattrape ? C’est une autre question.

Erglug secoue sa grosse tête.

— Qui me liaient. Quand Siyah a frôlé la mort, les fils se sont abîmés. Le traitement que vous m’avez infligé quoique fort désagréable…

— Tu l’as cherché !

— Je ne le nie pas. Ce traitement, donc, a fini de me libérer. Du moins je le crois.

— Tu le crois ? Seulement ?

— La Rochefoucauld a écrit fort justement que ce que nous prenons pour notre guérison n’est le plus souvent qu’un relâche ou un changement de mal.

— Ce qui signifie ?

— Que je n’éprouve plus la moindre envie de vous écraser et que je me sens honteux d’avoir un jour éprouvé cette envie. J’arracherais en revanche volontiers la tête de Siyah pour l’offrir à ma belle – nous, les trolls, détestons être victimes d’un sortilège de soumission – mais…

— Mais ?

— Je détesterais encore plus retomber en son pouvoir, ce qui m’incite à la prudence. Cela dit, Francis Bacon, dans ses Essais de politique et de morale , a affirmé que la vengeance était une justice sauvage. Or qu’y a-t-il de plus sauvage qu’un troll ?

Je réprime avec peine un soupir agacé.

— Et à part ça, quelles sont tes intentions ?

Il se lève et fait craquer les muscles monstrueux de ses épaules.

Je recule d’un pas.

— Réfléchir à la façon la plus prudente et la plus sauvage de me venger, déclare-t-il.

Puis il s’incline dans un salut qu’il veut courtois et qui n’est qu’effrayant.

— Je vous prie une fois encore d’excuser mon comportement et je vous réitère mes remerciements pour m’avoir libéré. Je vous suis redevable, demoiselle, et je saurai, le jour venu, vous témoigner ma reconnaissance.

— Euh… d’accord.

Il s’éloigne à grands pas et en atteignant la sortie se tourne vers moi.

— Je n’ai aucune velléité d’ingérence dans vos affaires cependant s’il s’avérait que vous cherchez des hommes au comportement étrange rôdant par ici, sachez que vous les trouverez dans l’entrepôt sis en bout de quai.

Le temps que je comprenne qu’il m’a fourni un renseignement précieux, il disparaît.

L’entrepôt en bout de quai ?

Je n’hésite pas longtemps.

Certes, le retour inattendu de Siyah doit être rapporté au plus vite à Walter mais les hommes qu’a évoqués Erglug – des garous ? – ne passeront pas la nuit à m’attendre. Chaque chose en son temps. J’appellerai le bureau de l’Association lorsque j’en saurai davantage sur ce qui se trame ici.

Je ramasse ma lampe qui, au contraire de mon casque, a eu la bonne idée de ne pas se briser, je l’éteints et je me glisse dans la nuit.

Souvenir…

Souvenir…

J’ai cinq ans.

Ou six.

Sept peut-être.

Je me suis enfuie du centre d’accueil. Trop de contraintes, trop de règles, trop d’obligations. Pas assez du reste.

La nuit est tombée depuis des heures. Je marche sans but dans une forêt sans fin.

Je ne le sais pas encore mais, demain, la police me retrouvera.

— Tu n’as pas eu peur toute seule dans le noir ? me demandera un éducateur quand je serai de retour au centre.

Impossible de répondre. Trop de mots dans la même question.

Le noir ne m’effraie pas. La solitude n’est pas liée à la nuit. Elle ne fait pas peur. Elle est juste triste.

4

Le dernier entrepôt de la zone semble aussi vétuste et désert que les autres.

Semble.

Quelque chose me souffle que ce n’est qu’une apparence.

Bon d’accord, Erglug m’a avertie avant que mon petit doigt m’alerte mais je pense que, s’il ne m’avait rien dit, je m’en serais aperçue seule. Aucune lumière ne filtre par un quelconque interstice, aucun bruit de voix ne s’élève derrière les murs de tôle.

Non, je sens juste que le lieu est… spécial.

Ce n’est pas la première fois que j’éprouve pareille sensation : la certitude que je m’apprête à vivre un événement important. Et comme la vie s’est débrouillée pour que cet événement important se traduise toujours à mon égard par danger, menace, piège et autres réjouissances, chaque fois que je ressens ce petit frisson prémonitoire, je serre les poings.

Je m’approche de la porte rouillée, jumelle de celle que j’ai franchie cinq minutes plus tôt, je pose la main sur la poignée.

Fermée.

Claquement de langue agacé.

Le sortilège permettant de forcer une serrure est réputé accessible au premier apprenti magicien venu. Sauf que je suis incapable de me souvenir si, en guise d’ingrédients, il faut utiliser de l’améthyste, du saphir, de la bourrache brachipodale ou de l’extrait de marguerite, ladite marguerite étant, je crois important de le rappeler en passant, une inflorescence et non une fleur.

Pour ne rien arranger, la formule idoine s’applique à glisser le long de mes neurones mémoriels comme une goutte d’huile sur un carter endommagé.

Pauvre de moi !

Bien sûr, je pourrais enfoncer la porte, en plus d’être incassable, je suis assez… vigoureuse, mais, à part en jouant La Marseillaise au clairon, je vois mal comment me faire davantage remarquer.

Ce qui est drôle, c’est qu’il y a une semaine de cela je ne me serais pas posé la question. J’aurais fracassé la porte d’un coup de pied, au risque d’esquinter mes santiags, j’aurais foncé à l’intérieur et…

C’est là que j’ai changé. Sur le « et… ».

Sans que je sache avec précision quand et pourquoi j’ai changé, il est devenu important pour moi de savoir ce qui se passera après.

Après la porte fracassée.

Après la baffe assénée.

Après le feu rouge grillé.

Après.

Bon, je ne suis pas devenue pour autant une accro à la prudence ou à la réflexion et si je ne trouve pas très vite un moyen de pénétrer dans ce fichu entrepôt, je vais revenir aux bonnes vieilles méthodes.

Peut-être y a-t-il une autre entrée à l’arrière de l’entrepôt. Je me faufile dans un trou du grillage censé clore la zone et entreprends d’en faire le tour.

Il y a une issue à l’arrière, un énorme portail pour camions fermé lui aussi.

Le troisième côté, lui, est vierge de toute ouverture. Quant au quatrième, il donne directement sur la Seine.

Je m’apprête à revenir à la première porte lorsque la curiosité me pousse à me pencher. L’entrepôt a été prévu pour accueillir des camions mais également des bateaux ou, du moins, des barques. Un chenal est creusé dans le quai et pénètre à l’intérieur.

Mieux, le volet roulant permettant de condamner cette issue n’est pas abaissé en totalité.

Mieux encore, l’étroit trottoir qui longe le chenal en contrebas du quai constitue une porte d’entrée parfaite.

Presque trop parfaite, devrais-je me dire, c’est louche. Je n’ai pas l’habitude de me dire des choses pareilles et, les rares fois où cela m’arrive, je ne m’écoute pas.

Je descends en souplesse sur le trottoir, le longe jusqu’au volet roulant et me glisse par l’ouverture. Me voici dans la place.

Je renonce à allumer ma torche. Le plafond est vitré et si les vitres sont crasseuses, elles sont assez nombreuses pour que la clarté de la lune suffise à se repérer. Je constate que le chenal traverse la pièce encombrée de caisses qui s’ouvre devant moi avant de passer sous un deuxième volet roulant.

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