« D'abord Ferdinand tout n'arrive-t-il pas à se valoir en présence d'une intelligence réellement moderne ? Plus de blanc ! Plus de noir non plus ! Tout s'effiloche !… C'est le nouveau genre ! C'est la mode ! Pourquoi dès lors ne pas devenir fous nous-mêmes ?… Tout de suite ! Pour commencer ! Et nous en vanter encore ! Proclamer la grande pagaïe spirituelle ! Nous faire de la réclame avec notre démence ! Qui peut nous retenir ? Je vous le demande Ferdinand ? Quelques suprêmes et superflus scrupules humains ?… Quelles insipides timidités encore ? Hein ?… Tenez, il m'arrive Ferdinand, quand j'écoute certains de nos confrères, et ceux-ci remarquez-le, parmi les plus estimés, les plus recherchés par la clientèle et les Académies, de me demander où ils nous mènent !… C'est infernal en vérité ! Ces forcenés me déroutent, m'angoissent, me diabolisent, et surtout me dégoûtent ! Rien qu'à les entendre nous rapporter au cours d'un de ces congrès modernes les résultats de leurs recherches familières, je suis pris de blême panique Ferdinand ! Ma raison me trahit rien qu'à les écouter… Possédés, vicieux, captieux et retors, ces favoris de la psychiatrie récente, à coups d'analyses superconscientes nous précipitent aux abîmes… Tout simplement aux abîmes ! Un matin, si vous ne réagissez pas, Ferdinand vous les jeunes, nous allons passer, comprenez-moi bien, passer ! À force de nous étirer, de nous sublimer, de nous tracasser l'entendement, de l'autre côté de l'intelligence, du côté infernal, celui-là, du côté dont on ne revient pas !… D'ailleurs on dirait déjà qu'ils y sont enfermés ces supermalins dans la cave aux damnés, à force de se masturber la jugeote jour après nuit !
« Je dis bien jour et nuit parce que vous savez Ferdinand qu'ils n'arrêtent même plus la nuit de se forniquer à longueur de rêves ces salauds-là !… C'est tout dire !… Et je te creuse ! Et je te la dilate la jugeote ! Et je te me la tyrannise !… Et ce n'est plus, autour d'eux, qu'une ragouillasse dégueulasse de débris organiques, une marmelade de symptômes de délires en compote qui leur suintent et leur dégoulinent de partout… On en a plein les mains de ce qui reste de l'esprit, on en est tout englué, grotesque, méprisant, puant. Tout va s'écrouler, Ferdinand, tout s'écroule, je vous le prédis, moi le vieux Baryton, et pour dans pas longtemps encore !… Et vous verrez cela vous Ferdinand, l'immense débandade ! Parce que vous êtes jeune encore ! Vous la verrez !… Ah ! je vous en promets des réjouissances ! Vous y passerez tous chez le voisin ! Hop ! D'un bon coup de délire en plus ! Un de trop ! Et Vrroum ! En avant chez le Fou ! Enfin ! Vous serez libérés comme vous dites ! Ça vous a trop tentés depuis trop longtemps ! Pour une audace, ça en sera une d'audace ! Mais quand vous y serez chez le Fou petits amis ! je vous l'assure que vous y resterez !
« Retenez bien ceci Ferdinand, ce qui est le commencement de la fin de tout c'est le manque de mesure ! La façon dont elle a commencé la grande débandade, je suis bien placé moi pour vous le raconter… Par les fantaisies de la mesure que ça a commencé ! Par les outrances étrangères ! Plus de mesure, plus de force ! C'était écrit ! Alors au néant tout le monde ? Pourquoi pas ? Tous ? C'est entendu ! Nous n'y allons pas d'ailleurs, on y court ! c'est une véritable ruée ! Je l'ai vu moi, l'esprit Ferdinand, céder peu à peu de son équilibre et puis se dissoudre dans la grande entreprise des ambitions apocalyptiques ! Cela commença vers 1900… C'est une date ! À partir de cette époque, ce ne fut plus dans le monde en général et dans la psychiatrie en particulier qu'une course frénétique à qui deviendrait plus pervers, plus salace, plus original, plus dégoûtant, plus créateur, comme ils disent, que le petit copain !… Une belle salade !… Ce fut à qui se vouerait au monstre le plus tôt possible, à la bête sans cœur et sans retenue !… Elle nous bouffera tous la bête, Ferdinand, c'est entendu et c'est bien fait !… La bête ? Une grosse tête qui marche comme elle veut !… Ses guerres et ses baves flamboient déjà vers nous et de toutes parts !… Nous voici en plein déluge ! Tout simplement ! Ah on s'ennuyait paraît-il dans le conscient ! On ne s'ennuiera plus ! On a commencé par s'enculer, pour changer… Et alors on s'est mis du coup à les éprouver les “impressions” et les “intuitions”… Comme des femmes !…
« Est-il d'ailleurs nécessaire encore au point où nous en sommes, de s'encombrer d'un traître mot de logique ?… Bien sûr que non ! Ce serait plutôt une espèce de gêne la logique en présence de savants psychologues infiniment subtils comme notre temps les façonne, réellement progressistes… N'allez point pour cela me faire dire Ferdinand que je méprise les femmes ! Que non ! Vous le savez bien ! Mais je n'aime pas leurs impressions ! Je suis une bête à testicules moi Ferdinand et lorsque je tiens un fait alors j'ai bien du mal à le lâcher… L'autre jour, tenez il m'en est arrivé une belle à ce propos… On me demandait de recevoir un écrivain… Il battait la campagne l'écrivain… Savez-vous ce qu'il gueulait depuis plus d'un mois ? “On liquide !… On liquide !…” Comme ça qu'il vociférait, à travers la maison ! Lui, ça y était… On pouvait le dire… Il y était passé de l'autre côté de l'intelligence !… Mais c'est que précisément il éprouvait encore toutes les peines du monde à liquider… Un vieux rétrécissement l'empoisonnait d'urine, lui barrait la vessie… Je n'en finissais pas de le sonder, de le débarrasser goutte à goutte… La famille insistait pour que ça lui vienne malgré tout de son génie… J'avais beau essayer de lui expliquer à la famille que c'était plutôt la vessie qu'il avait de malade leur écrivain, ils n'en démordaient pas… Pour eux, il avait succombé à un moment d'excès de son génie et voilà tout… Il a bien fallu que je me range à leur avis finalement. Vous savez n'est-ce pas ce que c'est qu'une famille ? Impossible de faire comprendre à une famille qu'un homme, parent ou pas, ce n'est rien après tout que de la pourriture en suspens… Elle refuserait de payer pour de la pourriture en suspens. »
Depuis plus de vingt ans Baryton n'en finissait jamais de les satisfaire dans leurs vanités pointilleuses les familles. Elles lui faisaient la vie dure les familles. Bien patient et bien équilibré tel que je l'ai connu, il gardait cependant sur le cœur un vieux reliquat de haine bien rance à l'égard des familles… Au moment où je vivais à ses côtés, il était excédé et cherchait en secret obstinément à se libérer, à se soustraire une bonne fois pour toutes à la tyrannie des familles, d'une manière ou d'une autre… Chacun possède ses raisons pour s'évader de sa misère intime et chacun de nous pour y parvenir emprunte aux circonstances quelque ingénieux chemin, Heureux ceux auxquels le bordel suffit !
Parapine, en ce qui le concernait semblait heureux d'avoir choisi la route du silence. Baryton lui, je ne le compris que plus tard, se demandait en conscience s'il arriverait jamais à se débarrasser des familles, de leur sujétion, des mille platitudes répugnantes de la psychiatrie alimentaire, de son état en somme. Il avait tellement envie de choses absolument neuves et différentes, qu'il était mûr au fond pour la fuite et l'évasion, d'où sans doute les tirades critiques… Son égoïsme crevait sous les routines. Il ne pouvait plus rien sublimer, il voulait s'en aller seulement, emporter son corps ailleurs. Il n'était pas musicien pour un sou Baryton, il lui fallait donc tout renverser comme un ours, pour en finir.
Il se libéra lui qui se croyait raisonnable au moyen d'un scandale tout à fait regrettable. J'essayerai de raconter plus tard, à loisir, de quelle manière les choses se passèrent.
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