« Qu'est-ce que c'est ? »
Kracht braque ses lampes les deux… l'inconnu parle… patois encore… je comprends un mot… deux… oh ça se complique !… il est question d'un homme dehors… où ?… à la ferme ?… dans la cour ?… et encore d'un autre !… tout près là !… ils ont profité de notre absence, il me semble !… il faut que Kracht y aille !… pardon ! pardon !… pas sans nous !… on pouvait se méfier de Léonard, le petzouille prêt à tout, sûrement… mais il savait ce Léonard ce qui arriverait si on nous faisait notre affaire, que ça serait le pillage total… à zéro ! qu'il ne resterait rien… ni pour le porcher… ni pour lui… « le quittez jamais ! » avait un sens !… quand les gens s'occupent de vous c'est à eux qu'ils pensent, ils ont leur idée… « le quittez jamais !… » tu parles qu'on allait pas le quitter !… allons voir ce qu'est arrivé ! de quoi il s'agit ? nous voici dehors avec Kracht… bien !… on nous escorte… on nous conduit… ils savent où c'est, eux… côté plaine, dans la mare, sous la fenêtre à Le Vigan, il y couchait plus, je vous ai raconté… une chambre, briques et terre battue, fenêtre à barreaux… plutôt une cellule… la mare est là, très peu d'eau, mais comme algues !… herbue, touffue, bouffie d'herbe… herbes et sable… à la lampe on voit le fond, les ruisselets d'eau vive… et les reflets d'en haut des nuages… l'incendie de loin… les lueurs projetées roses, jaunes… ça serait joli… je dis : ça serait… et puis nous venons voir autre chose… nous voyons… côté plaine profond enfoui sous les algues les gens nous montrent : des bottes… je demande à Kracht : « ja ! ja ! … ça y est ! » on se comprend… quelqu'un au fond !… ce quelqu'un, je pressens… il s'agit de le sortir de l'eau… ça sans doute qu'ils lui avaient dit les « poudrés »… j'avais pas compris… à la sortie du Tanzhalle … Kracht commande : quatre bibelforscher ! … ils viennent, eux pigent tout de suite, ils voient les bottes… ils descendent à l'eau… ils s'embourbent… ils empoignent les bottes, et tirent le corps, l'arrachent de sous les algues… le voici ! c'est lui, sur les algues, sur le dos maintenant, tout de son long… oh, pas de surprise, je me doutais !… le Landrat Simmer … il vit plus, il a bu la tasse et pas que ça !… étranglé qu'ils l'ont, en plus !… on lui dénoue la corde du cou… un gros cordon de soie… où ils ont trouvé cette soie ?… ça c'est une énigme, je vois pas de soie à Zornhof, surtout en cordon !… ni à Berlin ! enfin pas d'erreur c'est de la soie… d'abord, ils l'ont assommé… il a une plaie… profonde, bien saignante encore… en plein crâne… je dirais un coup de pioche… au-dessus de la tempe droite… ils l'ont garrotté, et puis étranglé… mais le coup de pioche d'abord, sans doute… ils enquêteront… ils l'ont mis à l'eau après, sous les algues… d'où il venait ?… d'où il sortait ?… il devait présider la soirée… il avait dîné à la ferme ? sans doute… on ne savait pas, mais presque sûr… en tout cas nous avions bien fait de pas être au manoir… ou dans la cour… j'ordonne ce qu'il faut… qu'ils lui appuient sur le ventre, sur l'estomac… fort !… ils le retournent dans tous les sens, bien ! qu'il vomisse !… rien !… il est très froid… mouillé, forcément… raide comme s'il était mort des heures… ce que je comprends pas bien… l'eau qui dégouline de partout… de ses vêtements, de ses bottes… le visage est calme, pas crispé, jaunâtre… y a pas eu lutte… ça chuchote dur autour de nous… et encore !… ils savent tout !… rien ils savent, menteurs !… je peux pas dire qu'on était prévenus… même le Landrat là dans la mare devait pas se douter… pourtant il avait sa police et les renseignements… non ! un peu de vape il serait pas sorti !… alors ?… alors ?… La Vigue louchait dur…
Juste au moment. vzzzz ! un petit avion pique… de très haut… nous passe par-dessus, pas le temps de faire : ouf ! et nous repasse !… et encore !… en loopings !… je me ressaisis… je le vois… c'est un « Marauder », un escorteur de « forteresses »… c'est déjà arrivé deux fois… il y a un mois… comme ça, qu'ils piquent se rendre compte… là je comprends c'est les torch à Kracht… ils ont tout de même autre chose à faire, je pense !… on dit rien nous aux « forteresses » !… et les revoici !… vrai, ils insistent !… et chaque « piqué » ils illuminent vingt… trente chandelles au phosphore !… et qui se balancent, voguent… d'un nuage l'autre… ils veulent tout voir… les chandelles crépitent, flamboient… on a plus rien à leur cacher !… plus clair que le plein jour… les arbres, les isbas, la roulotte, la mare, tout !… comme au soleil !… et les ménagères, et le Landrat qui attend dans l'herbe, sur le dos… plutôt je dois dire sur une litière de feuilles trempées… les bibel l'ont tiré de la mare, l'ont déposé au bord des algues, les mains jointes, là… je pense ces avions à chandelles vont peut-être se décider nous verser ce qu'il faut ? qu'on en finisse !… un bon coup : broum ! le hameau, l'église et nous !… et le Landrat ! bordel ! vzzz ! broum !
« Dis donc pote, tu crois pas que ça y est ? »
La Vigue est plus béat du tout, il me demande plus si je suis heureux… non !… il est même sûr que ça va mal… il reprend conscience… je veux pas dire comme lui, mais vraiment on a tout fait pour… que les acrobates R.A.F. nous giclent et broum ! ça sera pas volé… surtout Kracht avec ses torch … il voulait plus les éteindre… tout le public de la séance était là, et les gitans, et qui savaient tout ! ils commentaient !… ils ne savaient rien, ils y étaient pas, ils étaient là-bas avec nous, donc ils inventaient !… et avec détails ! quels détails ! comment le Landrat était mort, la façon qu'on l'avait saisi et étranglé !… pour se rendre intéressants les gens inventent n'importe quoi… vous me direz : et vous sale merle ?… moi c'est du vrai, c'est de l'exact, rien de gratuit !… qu'on se le dise !… je minimise plutôt… chroniqueur aimable… ils étaient pas à la ferme, ni dans la cour… alors ? qu'est-ce qu'ils ont pu voir ?… ils savent, c'est tout… la preuve ils nous mènent… où ?… c'est pas assez du Landrat, y a un autre noyé !… qu'ils disent !… qui c'est l'autre ?… je vois la comtesse Tulff-Tcheppe… elle nous évitait depuis huit jours… là elle est là, je profite pour l'interroger… où était le Landrat ?… à la ferme ? oui, elle avait dîné avec lui… donc il sortait juste quand ils l'avaient attaqué et estourbi et noyé… où il allait ?… nous retrouver, pardi !… puisqu'il présidait la séance !… c'est en traversant la cour qu'ils l'avaient abattu d'abord, et puis garrotté… la comtesse hésitait pas, elle accusait, mais qui ?… les assassins l'avaient traîné jusqu'à la mare, et jeté dedans… je le savais comme elle, il était sur un lit d'algues… qu'elle aille y voir !… la R.A.F. nous gâtait, c'était illuminé, une fête !… des bougies maintenant par centaines, plein l'air !… j'ai dit !… plus éclairé que du plein jour !… qu'est-ce qu'il fallait regarder maintenant ? ils nous houspillent tous qu'on se dépêche, qu'on profite qu'il fait si clair !… tout l'hameau est là, et les Kretzer, Monsieur, Madame, et les bibel et les prisonniers… j'avais bien du mal, mais hop !… je remarque, je vois pas Léonard, ni l'autre… Nicolas le colosse est au beau milieu de la cour, à genoux, en train de rendre… trop bouffé ? trop bu ?… il a fini paraît-il toutes les bouteilles de la cuisine… y avait de la réserve… il savait… bon !… pourtant je l'avais jamais vu saoul… une folie, parce qu'on était à la soirée ?… peut-être qu'il faisait seulement semblant ?… et son cul-de-jatte ?… où il l'avait mis ?… il le portait partout… le quittait jamais !… tout le monde lui demande…
Читать дальше