Question déploiement, en « fourrageurs », je connaissais bien… à l'aile marchante et au centre… mais à cheval !… je voyais aux « écoles à feu » Mourmelon, et un peu plus tard dans les Flandres, sérieusement, les « batteries volantes », restaient prises jusqu'aux moyeux… ni à avancer, ni reculer… pourtant six nerveux chevaux après !… il fallait que le Génie s'en mêle, avec leviers, treuils, les extirper, servants, bourrins, pièces… les coups de reins de gailles, des fers tant que ça peut !… c'était tout creux sous les canons, le sol devenu un trou… et l'aile marchante dropant là-bas !… ta ! ga ! dam ! les quatre escadrons et la clique !… tarata !… ti ! tata ! ti ! … les chevaux connaissent bien la trompette !… tata ! ti !
Nous là c'était pas l'aile marchante, c'était retrouver le dab… je le voyais pas dans un trou !… il était parti droit devant lui, direction Berlin, pas vers l'ouest, à moins d'un crochet qu'est-ce qu'il irait foutre à Kyritz ?… il voulait repousser les Russes, pas les Anglais, ni les Français… les Russes, sa marotte !… allez comprendre !… lui aussi avait une grande carte, et une boussole, il pouvait très bien se diriger… mais nos deux là, Kracht et notre stratège-gendarme paraissaient absolument sûrs qu'il s'était caché à Kyritz… informés par qui ?… enfin, on allait… pas vite, en faisant bien attention… d'abord à pas s'enliser… s'extirper une jambe… une autre… et pas laisser le vieux entre deux betteraves… ça se pouvait !… huit jours qu'on l'avait vu partir… il faisait des zigzags, des façons… voltes et figures de manège… peut-être pour nous, pour nous tromper ?… mais bien vers Berlin !…
Le gendarme commande : halt ! tout le monde !… ils ont aperçu quelque chose ?… non !… c'est une des femmes embourbée !… ils se mettent à trois… à quatre… ils la sortent, et en avant !… halt ! encore !… quelque chose ?… un petit étang il paraît à l'extrémité de notre file… à droite… un petit étang riche, avec des gros osiers au bord… allez les gitans !… qu'ils se grouillent ! la récolte !… nous nous attendrons… je crois qu'on va mettre au moins trois jours à se rendre compte qu'on a hersé la plaine pour rien, pas plus de schnok que de beurre au chose !… ah, une idée du pandore !… encore une !… pendant que les gitans coupent leurs branches, envoyer quatre bibelforscher très en avant, à la découverte !… il dit qu'il voit des fumées, lui le stratège, là-bas vers un bouquet d'arbres, très à gauche… qu'il faut y aller voir !… bon !… il est le seul qui voit des fumées… on est trois cents à pas les voir… on se rassemble pour mieux regarder… non !… non !… rien !… ce gendarme a bu !… et nos quatre bibelforscher au fait ?… on attend qu'ils soient assez loin… oui !… oui !… au moins deux kilomètres de nous… oui !… oui !… « y en a ! »… ils voient quelque chose aussi !… Us font des signes… ils voient des fumées !… par conséquent, nous les footits ! pas le gendarme !… nous les miraux !… et pas loin de Zornhof, cinq… six bornes !… il nous demande de faire l'effort… y aller !… à travers betteraves !… salut !… même avec mes cannes, je pouvais plus… les autres, toute la ligne s'affale, bibelforscher , prisonniers, l'épicière, gisent… je les voyais pas beaucoup courir !… même jusqu'aux bourgerons là-bas, les derrières rayés mauve rouge… pas qu'ils refusaient, ils voulaient bien, mais comment ?… du coup le gendarme se fâche ! « vadrouilles ! alcooliques ! scélérats ! parachutistes ! » qu'il nous appelle… « pourris ! fainéants ! »… qu'ils s'extirpent !… moi aussi !… avec mes cannes !… une guibolle !… oh hiss ! une autre !… ça y est !… peut-être après tout y avait rien ?… une fumée d'un éclat de vieille bombe ?… ou d'une hutte de braconniers ?… enfin ça y est nous repartons en ligne, les mains dans les mains, sa première idée… six romanichels en avant… y a de la tactique !… nous n'avançons pas au hasard… on les voit là-bas ramper… on ramperait bien, nous aussi… leurs derrières rouges mauves, et les six gitans… net, ils s'arrêtent ! ils se penchent… ça doit être un creux… creux de quoi ?… trou de bombe ?… route ?… tunnel ?… Kracht croit pas qu'il y ait quelqu'un… ils restent pourtant au-dessus du creux, tous penchés… ils regardent… et ils nous font signe qu'on s'amène !… vite ! ils hurlent ! « ohé ! Kracht ! »… maintenant y a plus d'hésitation, ils voient quelque chose !… Kracht est pas sûr… si !… si !… je crois qu'on n'aura plus de genoux quand on sera au rebord… un ravin ?… oh, mais y a pas que de la fumée… ça braille !… et fort !… ils sont plein de monde au fond de ce trou… je crois que c'est un ravin… on verra de plus près… ça y est !… nous y sommes !… pas que les genoux, partis… tout le pantalon, par déchirures… et les coudes !… on a fait nos « petit Poucet », on a semé nos loques dans les glaises, loin derrière nous… on pourra nous retrouver facile, à la trace… tout de même ça y est, on regarde aussi… ils sont beaucoup… c'est une crevasse… ils sont combien au fond là-dedans ?… pas ils ! elles ! tout des femmes !… autour d'un feu de bois… elles ont dû amener du bois de loin !… pas un petit feu, un vrai bûcher !… elles ont mis quelque chose à cuire, sur le feu, à même… pas étonnant qu'on voyait rien de loin, cette crevasse est très profonde, avec une petite mare au bout… elles se sont établi un campement… elles se font la cuisine… plutôt elles se font brûler des viandes… que ça sent si fort !… des énormes morceaux !… oh, mais je connais ces rôtisseuses, je crois… elles aussi doivent nous connaître, nos tronches… elles nous regardent d'en bas… tout de suite les insultes ! « traîtres ! espions ! enculés ! voleurs ! »… je vous traduis approximatif, mais c'est le sens… et tout de suite, une crise leur passe, peut-être qu'on les regarde ?… elles se mettent à se battre !… pas un petit peu !… à coups de bâtons !… elles tombent toutes sur deux d'entre elles… et les deux ce qu'elles hurlent ! y a de quoi !… qu'est-ce qu'elles prennent ! qu'est-ce qu'on leur file ! une sauvagerie !… elles vont les tuer !… et vlang ! … et brang ! … pas qu'un bâton, pieds, poings, tout !… à cause de nous !… les malheureuses !… je crois, à cause de nous !… dans la fange du fond… elles beuglent les deux… des bêtes qu'on achève !… et qu'elles braillent vers nous !… d'à même la fange !… du fond !… ces deux qu'on roue nous connaissent !… par nos noms !… hilfe ! hilfe ! Kracht ! Kracht ! … oh, je crois que j'y suis… je saisis !… je comprends !… ces deux qu'elles sonnent sont pas des femmes !… des hommes c'est !… y a qu'à y aller !… déboulinons !… le gendarme veut pas !… c'est trop profond !… il objecte… il doit croire surtout que c'est un piège !… c'est une pente de glaise très glissante… en bas les mégères et c'est tout… Kracht est armé, il peut se risquer !… hilfe ! hilfe ! … je sais pas ce qu'elles font aux deux victimes !… Kracht se lance, dérape, déboule… nous aussi… on se laisse aller bien vingt mètres… en paquets de boue… culbutes… moi j'arrive avant tous les autres, en bas, avec mes cannes… Lili tout de suite après moi avec sa musette et Bébert… et puis La Vigue et le feldgendarme … personne ne s'est rien cassé !… la bonne pente molle, comme autrefois la butte Saint-Vincent, un vrai truc à mômes… mais une chose nous regardons tout de suite, la mare, et le bûcher, et dessus, les bidoches… de ces énormes morceaux de barbaque !… que ça grille et fume ! là presque en dessous, deux formes, des loques, dans la boue… ces formes qu'elles sonnaient !… je vois pas les têtes… je tâte… ah, j'en reconnais un !… tout le monde le reconnaît… ils viennent tous voir !… c'est le Rittmeister , notre Rittmeister ! lui-même !… comment il a fini ici ?… pas parti par ici du tout ! on l'avait vu sur sa Bleuette ! direction Berlin… Sud !… pas Ouest ! et que c'était lui !… pas d'erreur ! il peut plus bouger mais c'est lui !… l'autre non plus peut plus bouger… on lui tourne la tête… qu'on le regarde !… personne le connaît… c'est un homme… tout grisonnant… on lui enlève des paquets de boue… il a bien dérouillé de même… il était temps qu'on arrive !… il est tout plaies et je crois fractures… bosses, bourrelets… il se met un peu à bafouiller… il peut pas articuler il lui vient avec la bave plein de sang, par le nez, la bouche, à gros grommelots… le Rittmeister hoque… hoque… veut nous parler… nous fait signe…
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