Question factorie, j'en ai eu une moi-même comme ça, tout en paillotes, ribambelles d'étagères autour, c'était en 17, chez les Maféas, à Bikomimbo… un édifice, trois étages, entièrement construit par moi-même, et les menuisiers du hameau… anthropophages, paraît-il… je ne les ai pas vus dîner… mais pirates, je suis certain… aussi pillards que mes fifis rue Girardon et que demain les Chinois, ici… j'avais de tout là-bas, autre chose qu'à Zornhof ! cassoulet, riz, filets de morue, pagnes… pas d'eau par exemple !… l'eau du marigot pardonne pas… boyaux la compote, pour toujours… à la première tornade tout part… étagères, camelote, haubans de liane, riz, fûts de tabac !… toutes les livraisons de John Holdt Cie… vous parlez des nuits des tropiques ! il ne vous reste plus que les scorpions, et les serpents, et les puces-chiques… tout le reste s'est envolé, parfait !… comme mon bazar rue Girardon… une fois que vous avez pris le pli… tenez à Copenhague, Danemark, pareil au même… je ne vivrai pas assez longtemps pour connaître la suite… mais ça sera du pareil au même… « Jeunesse oublieuse »… moi, la mienne oublie rien du tout, la preuve que je gagne ma vie avec… vous raconter ceci, cela, et que ça vous servira à rien… cocktails et babils et vacances ! nous n'étions pas là pour rêver… je voyais une étagère de pains… « tickets » ? elle me demande… je suis sûr que c'était entendu entre les Kretzer, les von Leiden, le Landrat, l'S.S. Kracht, et toutes les demoiselles Dienstelle que nous reverrions jamais nos cartes… vingt ménagères discutaient devant les provisions… à réclamer leur pot de moutarde, leur quart de faux brie… absolument comme à Montmartre, rue Girardon, et plus tard plus haut au Danemark.
L'idéal des personnes sérieuses, avoir l'épicière aux tickets… devant la tranche elles se sentent plus… tout d'un coup elles s'aperçoivent qu'on est là, qu'on gafe… panique ! komm ! komm ! ramassent leurs cabas et leurs mômes… komm ! komm ! et si ça décampe ! l'Harras qui cherche pestes et véroles à finir la guerre, moi je crois qu'à nous trois faisons la terreur et le vide, admirablement… toute cette chaumière… « kolonialwaren », ménagères, morveux, ont pas tenu trois secondes à notre vue, tous dehors… le vide !… vous dire notre puissance annihilante ! Harras nous aurait promenés sur le front Est la guerre se serait arrêtée pile, les armées pris le mors !… plus à voir !… la déroute des ménagères, jambes à leur cou, jupes sur la tête, que personne aille les reconnaître…
Certainement, j'admets, Montmartre eût été bien pire, les mêmes en « furie Bibici » se seraient ruées nous découper menu, se chamailler, se battre sur nos rognons… un bout de foie… nous emporter dans leurs filets… oh, ça pouvait venir !… même, certainement ! question de semaines… Zornhof… Montmartre… alignement des épilepsies… je vois encore aujourd'hui même je reçois des lettres de menaces très horribles, vingt ans après, de personnes qui n'étaient pas nées… il va de soi, j'ai bien l'habitude !… je note à propos, que les lettres de menaces les plus agressives ne sont jamais signées… tandis que les lettres de l'autre bord, d'admirateurs tant que ça peut, portent toutes, les noms et adresses… gentils amateurs d'autographes !… rigolo, c'est que peut-être ce sont les mêmes qui vous préviennent qu'ils vont venir vous mettre en pièces et puis l'autre semaine, d'une autre écriture, vous trouvent l'incomparable génie qu'ils se désolent et pleurent nuit et jour à penser combien l'humanité tellement abjecte vous a traité et vous traite… beaucoup plus mal que le dernier des parricides… il faut de tout pour faire un monde, et plus que tout dans le même être… à comprendre, vous avez bonne mine !… là en tout cas une bonne chose, nous étions seuls avec l'épicière !… je dis à La Vigue…
« C'est le moment !… »
Je crois… j'attaque avec un « cent marks », je lui offre…
« Pour le pain ! brot ! »
Cent marks bien repliés… voilà !… c'est fait !… elle me passe la boule… on s'est compris…
« Avez-vous du miel ? »
Je vois les pots…
« Kumthonig ! … miel artificiel ! mais tickets !
— Moorsburg ! »
La vache !… encore cent marks !… ça va, un pot !… elle me prévient…
« Il est pas bon !… le vrai vous le trouverez chez le pasteur ! Rieder !
— Nous le savons !… il est aux ruches !… pas chez lui ! »
Elle sait aussi… les ménagères de Zornhof doivent pas souvent la gâter… moi mes deux cents marks ont bien fait… elle se dit que je suis riche et compte pas… du coup le pasteur, elle me renseigne…
« Il court après les essaims !… il a toutes les ruches de Zornhof… les femmes ont peur des abeilles… il a l'église et les abeilles… mais vous le trouverez le soir et le dimanche… le soir, après huit heures !… »
Bon !… c'est à savoir !… je lui parle de café… encore cent marks ! gi ! à la poigne !… mais là vraiment elle en a pas… que de l'avoine grillée !… le soir après huit heures peut-être ?… si je veux revenir ?… du pain aussi… mais que je tape à sa persienne… quatre fois… elle me montre… que je prévienne… en même temps : franzose ! … elle saura…
Nous ne sommes pas sortis pour rien… une boule… un pot de miel… par exemple on s'est fait remarquer… tant pis !… La Vigue a pas eu besoin de courtiser la dame épicière… les cent marks ont très bien agi… et l'encore cent !… et que c'est le mien pécune, pas du Pape, pas d'Adolf, ni de Juanovici, le mien de mes migraines… quand je pense que je suis encore là à essayer de vous distraire !… que de très vaillants Européens en pourraient plus, poseraient la chique sous tant d'avanies, tels torrents d'outrages…
Mais en somme, récapitulant, nous rapportons un petit quelque chose… nous n'avons pas être si honteux !… certes, nous aurions pu rapporter plus !… une autre gamelle du Tanzhalle ? l'S.S. aussi avec cent marks ?… fichtrement possible !… on aurait peut-être dû risquer… ou un paquet de Navy Cut ? y avait l'armoire et j'avais la clé… Harras était pas près de revenir ! et puis il comprendrait tout de suite… sûrement il était faux derge, mais raisonnable… le cas était majeur ! il m'avait dit : tapez dedans ! je lui expliquerais… maintenant nous étions à notre parc… la grande allée… le péristyle… oh mais du nouveau !… un peu à l'Ouest, une autre isba… ils ont été vite !… je regarde l'heure, l'église… vraiment des charpentiers de choc !… y avait rien quand nous sommes partis !… pourquoi cet autre bâtiment ? je vais aller leur demander… mais ils ne doivent parler à personne, l'S.S. m'a prévenu, et même pas entre eux !… ils nous regardent même pas… nous qu'est-ce qu'on fout à être curieux, avec notre faux miel et notre boule ?… vite, montons ! Lili doit s'en faire… quatre à quatre les marches !… j'exagère !… ça y est !… tout de même !… notre grosse porte… notre rondelle de tour… Lili n'est pas seule… y a réception !… je vois d'abord une petite calebombe, toute petite, dans un haut bougeoir… on se fait les cartes… elles sont combien là ? des femmes ?… trois… quatre… en plus de Lili… je discerne les figures, peu à peu… une des figures parle… dans un français un peu chantant… à moi…
« Docteur, je me suis permis ! M meCéline était seule !… je suis Marie-Thérèse von Leiden… votre servante… et votre amie !… la sœur de celui d'en bas, vous le connaissez ! le comte Hermann von Leiden… l'original ! et la tante de celui d'en face… de la ferme ! l'infirme !… maintenant les présentations sont faites !… je le disais à M meCéline, je ne suis pas aussi impossible que mon neveu en face, et mon frère en bas !… ni que ma nièce, terrible celle-là, Isis ! pas du tout aussi malade et maniaque que les gens qui me veulent du mal ont pu vous faire croire ! sans doute aussi le gros Harras !… jaloux celui-là !… et méchant ! jaloux de mon français !… oui !… vous imaginez, Docteur !… j'ai été élevée à Lausanne ! la belle affaire !… »
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