« Viens !… on va demander à l'S.S. !… »
L'S.S. nous explique, ils ne manquent de rien !… à leur cuisine, au Tanzhalle , ils ont toujours tout ce qu'il faut… lui mange avec eux… macaroni, céleri, carottes, choux… tant qu'ils veulent !… autre chose que nous notre mahlzeit ! … de temps en temps même, une oie, un poulet, pour le goût, on en trouve… je me renseigne…
« Vous les trouvez sur les routes, écrasés !… »
Bien ! c'est à retenir ! il ne passe rien sur les routes… nous toujours pour le moment nous sommes en quête d'un petit café… on lui dit : on va à la ferme !… le parc avec ses allées si gracieuses est d'un frisquet ! d'une humidité en plus que vous pouvez plus parler… de tremblote… on se dit au revoir avec l'S.S… il m'a rappelé le Passage Choiseul avec ses lessiveuses de nouilles… la seule cuisine tolérée, les nouilles à l'eau, les nouilles qui ne donnent pas d'odeur… la terreur des dentellières, l'odeur de cuisine !… j'ai été élevé je peux dire, toute mon enfance et la jeunesse, dans le labeur et les nouilles à l'eau… aux bibelforscher pour d'autres raisons, même ordinaire… l'S.S. nous avait pas invités mais ça pouvait venir… je dis rien à La Vigue mais il y pensait, certainement… ah, nous voici à la ferme… à la porte de leur cuisine… on frappe ! fort !… rien répond !… comme au manoir… bien, on va voir le fils !… on prend le petit escalier… si on est viré, on verra ! quelque chose à dire, qu'on vient s'excuser pour la veille, qu'ils nous avaient invités, qu'on s'est trompés de jour… une contenance… ça sent le café !… une chose ! et le vrai café !… peut-être ils ont pensé à nous ?… rigolade !… toc ! toc ! … on frappe encore… herein ! on entre dans l'espèce de petit salon… ils sont assis, le fils cul-de-jatte et Isis, à une petite table carrée, ils sont en train de se faire les cartes… Nicolas aussi est là, le géant russe qui porte le fils von Leiden, il est debout contre son fauteuil… ils se font l'avenir.
« Pourquoi venez-vous ? »
D'emblée pas content… je m'attendais.
« Si y a pas un petit frühstück ? petit déjeuner ? »
J'allais dire : quelques petits pains !… j'en voyais plein une grande corbeille… il me laisse pas finir…
« Frau Kretzer est chargée de vous… pas nous !… pas ici ! »
Sa femme Isis est moins brutale… elle nous fait comprendre…
« Excusez-le !… il est à bout !… il a souffert toute la nuit !… j'ai envoyé ma fille en face, Cillie… avec le lait… pour vous… vous le trouverez là-bas… »
Elle nous vire bien sûr, mais moins sec… nous c'est le jus qu'on veut !… le lait, on verra !…
« Alors, les cartes ? »
La Vigue s'agace…
« Quoi les cartes ?
— Qu'est-ce qu'elles disent ?
— Elles disent que vous partiez d'ici !… vite !… »
Décidément le cul-de-jatte est à ressort, foutu tronc ! on redescend, on dit pas « au revoir »… nous revoilà dans la grande cour, pas plus avancés…
« Ils doivent avoir un boulanger quelque part ?… une épicerie ?… un bistrot ?
— On peut essayer !… »
Où ça peut être ?… de la cour on a vu un clocher… ça serait en France, on trouverait autour de l'église… on avance… personne dans cette sorte de rue… que des oies, par troupes… elles se rassemblent, elles foncent à l'attaque, becs en avant… le cou horizontal… couac ! couac ! nous passons… finie leur colère !… elles volettent… vers les grosses mares… profondes, bourbe et sable… je vous dis la rue, la route plutôt… d'une largeur d'avenue… là que vous voyez un pays vaste, les hameaux énormes, les ruelles des avenues… le village imposant, route largeur des Champs-Élysées… les bords en chaumières, mais trois, quatre fois grandes comme les nôtres… vraiment démesurées masures… sûr, plaines qu'ont pas de raison de finir… vous voyez aux vallonnements… un autre !… et un autre !… Harras m'avait fait remarquer pour rire, plaisanterie boche, mais bien exacte…
« Vous voyez cette plaine, ce ciel, cette route, ces gens ?… tout ça triste, n'est-ce pas ?… russe !… triste !… jusqu'à l'Oural !… et après ! »
On n'avait qu'à voir… un hameau… un creux… un autre hameau… des oies… des sillons… nous au moins nous avions un repère, le clocher, le cadran… neuf heures !… on y va !… si un épicier existe ?… il doit être ouvert… deux… trois chiens aboient après nous… je vois, cette route très large fait le tour de Zornhof, mais en deux… elle se sépare aux premières chaumières elle se retrouve au bout du hameau… et puis elle s'en va tout droit… et encore plus loin… c'est des genres de paysages qui sont faits pour les musiques russes, fanfares à clochettes… régiments de cosaques qui s'éloignent… mais nous un petit peu le clocher !… l'église, voilà !… on y est ! pas du tout le genre Felixruhe, pas l'église croulante, en parfait état… et dedans plein de mômes au ménage, tous les bancs… et si ça frotte !… filles et garçons… si ça s'amuse !… nous qu'arrivons ! pas surpris de nous voir ! ils nous font signe qu'on va s'organiser un jeu… eux se mettront d'un côté de la chaire, nous de l'autre… à qui s'enverra le plus de balais !… en avant le ménage !… que ça nous apprendra un peu le russe… j'entends, ils sont russes et boches… polonais aussi… ensemble… ils se font la guerre, mais pas la nôtre… mais ils ont bien l'esprit quand même !… ils voudraient qu'on entre dans la leur… qu'on apprenne aussi leurs cris de guerre… lourcha ! lourcha ! me paraît être pour nous… moi aussi maintenant je leur demande : où est le pasteur ?… je m'adresse à ceux qui parlent allemand… « il est aux abeilles ! » aux abeilles, ça doit être les ruches… on les quitte… on se sauve même… il faut, ils nous visent… tout y passe, balais, seaux, brosses !… ils nous aiment plus, on veut pas jouer… le presbytère est sûrement là, tout près… on regarde, une maison bien propre, repeinte, les fenêtres grand ouvertes… et des petites filles aux croisées… ravies… toutes à rire… on leur demande où est le pasteur ?… elles nous comprennent…
« Où est le pasteur ?
— Aux abeilles !
— Là ?… là ? »
On montre le jardin..
« Non !… non !… loin ! loin ! »
Elles font le ménage du presbytère comme les autres font les bancs de l'église… mais là ici moins brutales… elles nous lancent pas leurs brosses, balais, elles pourraient, on est juste dessous… elles sont au moins quatre par fenêtre… elles nous demandent si nous ne montons pas ? oh, elles sont à se méfier quand même ! plus tard, en prison, j'ai connu des soldats allemands qu'avaient fait la guerre aux Russes dans les forêts, Est de Trodjem, qu'avaient fait des prisonnières, des très très dangereuses fillettes, tireuses d'élite… leur truc, perchées haut des arbres, elles savaient reconnaître l'officier, à plus de deux mille mètres, pourtant vêtu comme ses hommes, tout blanc… elles le rataient pas ! ptaf ! d'une seule balle, rigodon !… l'instinct ! les femelles savent… les chiennes aussi… celui qui commande !… tenez, Jeanne d'Arc à Chinon, Charles VII qui se dissimulait…
Nous en tout cas question du jus, je n'en voyais goutte… on regarde le jardin, poireaux… pommes de terre… pommiers…
« Loin, les abeilles ?…
— Oui !… oui !… ja ! ja ! … loin !… loin !… »
Je crois qu'il y en a pour un moment que ce pasteur revienne… nous ce qu'on voudrait, c'est un petit quelque chose de chaud… je peux dire, surtout pour ramener à Lili… on fait : au revoir, à ces mignonnes… elles sont toutes coiffées pareil… leur mouchoir noué sous le menton… bien riantes mômes !
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