Je n’en revenais pas :
— Goose Cove appartenait à Elijah Stern ?
— Ben oui. Qu’est-ce qui vous arrive, le New-Yorkais ? Vous êtes tout blême…
*
À New York, le lundi 30 juin 2008 à dix heures trente, au 51 e étage de la tour de Schmid & Hanson sur Lafayette Street, Roy Barnaski débuta sa réunion hebdomadaire avec Marisa, sa secrétaire.
— Marcus Goldman avait jusqu’à aujourd’hui pour vous envoyer son manuscrit, rappela Marisa.
— J’imagine qu’il ne vous a rien fait parvenir…
— Rien, Monsieur Barnaski.
— Je m’en doutais, je lui ai parlé samedi. C’est une vraie tête de mule. Quel gâchis.
— Que dois-je faire ?
— Informez Richardson de la situation. Dites-lui que nous entamons des poursuites.
À cet instant, l’assistante de Marisa se permit d’interrompre la réunion en frappant à la porte du bureau. Elle tenait une feuille de papier dans les mains.
— Je sais que vous êtes en réunion, Monsieur Barnaski, s’excusa-t-elle, mais vous venez de recevoir un e-mail et je crois que c’est très important.
— De qui est-ce ? demanda Barnaski, agacé.
— Marcus Goldman.
— Goldman ? Apportez-moi ça immédiatement !
De : m.goldman@nobooks.com
Date : lundi 30 juin 2008 — 10 :24
Cher Roy,
Ce n’est pas un livre-poubelle qui profite de l’agitation générale pour se trouver un public.
Ce n’est pas un livre parce que vous l’exigez.
Ce n’est pas un livre pour sauver ma peau.
C’est un livre parce que je suis écrivain. C’est un livre qui raconte quelque chose. C’est un livre qui revient sur l’histoire de l’un des hommes à qui je dois tout.
Veuillez trouver ci-joint les premières pages.
Si vous aimez : téléphonez-moi.
Si vous n’aimez pas, appelez directement Richardson et rendez-vous au tribunal.
Bonne réunion avec Marisa, transmettez-lui mes amitiés.
Marcus Goldman
— Vous avez imprimé le document joint ?
— Non, Monsieur Barnaksi.
— Allez me l’imprimer immédiatement !
— Oui, Monsieur Barnaski.
L’AFFAIRE HARRY QUEBERT
(titre provisoire)
Par Marcus Goldman
Au printemps 2008, environ une année après que je fus devenu la nouvelle vedette de la littérature américaine, il se passa un événement que je décidai d’enfouir profondément dans ma mémoire : je découvris que mon professeur d’université, Harry Quebert, soixante-sept ans, l’un des écrivains les plus respectés du pays, avait entretenu une liaison avec une fille de quinze ans alors que lui-même en avait trente-quatre. Cela s’était passé durant l’été 1975.
Je fis cette découverte un jour de mars alors que je séjournais dans sa maison d’Aurora, New Hamsphire. En parcourant sa bibliothèque, je tombai sur une lettre et quelques photos. J’étais loin de me douter que je vivais là le prélude de ce qui allait devenir l’un des plus gros scandales de l’année 2008.
[…]
La piste Elijah Stern m’a été suggérée par une ancienne camarade de classe de Nola, une certaine Nancy Hattaway, qui vit toujours à Aurora. À l’époque Nola lui aurait confié entretenir une liaison avec un homme d’affaires de Concord, Elijah Stern. Celui-ci envoyait son chauffeur, un certain Luther Caleb, à Aurora pour la chercher et la faire conduire chez lui.
Je n’ai aucune information sur Luther Caleb. Quant à Stern, le sergent Gahalowood refuse de l’interroger pour le moment. Il estime qu’à ce stade, rien ne justifie de le mêler à l’enquête. Je vais donc aller lui rendre une petite visite tout seul. J’ai appris via Internet qu’il a étudié à Harvard et qu’il est toujours impliqué dans les sociétés d’anciens étudiants. Il semble passionné par l’art et il est apparemment un mécène reconnu. C’est visiblement un homme bien sous tous rapports. Coïncidence particulièrement troublante : la maison de Goose Cove, où vit Harry, a d’abord été sa propriété.
Ces paragraphes furent les premiers que j’écrivis à propos d’Elijah Stern. Je venais de les terminer lorsque je les avais joints au reste du document envoyé à Roy Barnaski en ce matin du 30 juin 2008. J’étais ensuite directement parti pour Concord, bien décidé à rencontrer ce Stern et à comprendre ce qui le reliait à Nola. Il y avait une demi-heure que j’étais sur la route lorsque mon téléphone sonna.
— Allô ?
— Marcus ? C’est Roy Barnaski.
— Roy ! Tiens donc. Avez-vous reçu mon e-mail ?
— Votre bouquin, Goldman, c’est formidable ! On le fait !
— Vraiment ?
— Absolument ! J’ai aimé ! J’ai aimé, nom d’une pipe ! On veut absolument connaître la fin.
— Je serais moi-même assez intéressé de connaître la fin de cette histoire.
— Écoutez, Goldman, vous écrivez ce livre et on annule le précédent contrat.
— Je fais ce livre, mais à ma façon. Je ne veux pas entendre vos suggestions sordides. Je ne veux pas de vos idées et je ne veux aucune censure.
— Faites ce que bon vous semble, Goldman. Je n’ai qu’une seule condition : que ce livre paraisse en automne. Depuis qu’Obama est devenu le candidat démocrate, mardi, son autobiographie se vend comme des petits pains. Il faut donc sortir un livre sur cette affaire très rapidement, avant d’être noyés par la folie de l’élection présidentielle. Il me faut votre manuscrit pour la fin août.
— Fin août ? Ça me laisse à peine deux mois.
— Exactement.
— C’est très court.
— Démerdez-vous. Je veux faire de vous l’attraction de l’automne. Quebert est au courant ?
— Non. Pas encore.
— Informez-le, conseil d’ami. Et informez-moi de vos avancées.
Je m’apprêtais à raccrocher lorsqu’il me demanda :
— Goldman, attendez !
— Quoi ?
— Qu’est-ce qui vous a fait changer d’idée ?
— J’ai reçu des menaces. À plusieurs reprises. Quelqu’un semble très inquiet de ce que je pourrais découvrir. Je me suis donc dit que la vérité méritait peut-être un livre. Pour Harry, pour Nola. C’est une part du métier d’écrivain, non ?
Barnaski ne m’écoutait plus. Il en était resté aux menaces.
— Des menaces ? dit-il. Mais c’est formidable ! Ça va faire une publicité d’enfer. Imaginez même que vous soyez victime d’une tentative d’assassinat, vous pouvez directement rajouter un zéro au chiffre des ventes. Et carrément deux si vous mourez !
— À condition que je meure après avoir fini le livre.
— Ça va de soi. Où êtes-vous ? La communication n’est pas très bonne.
— Je suis sur l’autoroute. Je me rends chez Elijah Stern.
— Alors vous pensez vraiment qu’il est impliqué dans cette histoire ?
— C’est ce que je compte bien découvrir.
— Vous êtes complètement fou, Goldman. C’est ça que j’aime chez vous.
Elijah Stern habitait un manoir sur les hauteurs de Concord. Le portail d’entrée de la propriété était ouvert et je pénétrai à l’intérieur en voiture. Un chemin pavé menait jusqu’à une maison de maître en pierre, bordée de massifs de fleurs spectaculaires et devant laquelle, sur une place ornée d’une fontaine représentant un lion en bronze, un chauffeur en tenue astiquait la banquette d’une berline de luxe.
Je laissai ma voiture au milieu de la place, saluai le chauffeur de loin comme si je le connaissais bien et m’en allai sonner à la porte principale, plein d’allant. Une employée de maison m’ouvrit. Je donnai mon nom et demandai à voir Monsieur Stern.
— Vous avez rendez-vous ?
— Non.
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