Levy Marc - Un sentiment plus fort que la peur

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– Je vous jure que Knopf n'y est pour rien.

– Nous verrons. Attrapez cette corde et finissons-en.

*

Ils retournèrent au ponton. Andrew posa la lampe à pétrole près du cadavre. Il attacha une extrémité de la corde à la poignée de la caisse à outils et noua l'autre autour du torse de l'homme.

– Aidez-moi, dit-il.

Suzie grimaça de dégoût en soulevant les jambes du mort tandis qu'Andrew l'attrapait par les épaules. Ils déposèrent le corps au fond de la barque et Andrew s'installa à côté du moteur.

– Restez ici avec cette lampe, ça me guidera au retour.

Suzie la plaça au bout du ponton et sauta dans l'embarcation.

– Je viens avec vous !

– Je vois ça, soupira Andrew en lançant le moteur.

Ils s'éloignèrent vers le large.

– Si elle s'éteint, nous ne retrouverons jamais l'embarcadère, protesta-t-il en se retournant.

La lueur de la lampe à pétrole devenait de plus en plus discrète. Andrew coupa les gaz, la barque glissa silencieusement et finit par s'immobiliser.

Ils firent basculer l'homme et la caisse à outils par-dessus bord. Son corps s'enfonça lentement dans l'eau noire.

– On aurait dû l'attacher par les pieds, dit Suzie en regardant les derniers remous disparaître de la surface.

– Pourquoi ?

– Parce qu'en arrivant au fond ce con va se retrouver la tête en bas. Quel malheur, faut être tordu pour avoir fait ça ! ajouta Suzie en imitant encore la serveuse Anita.

– Votre cynisme m'horripile.

– C'est moi qui l'ai tué et c'est vous qui faites une tête d'enterrement. Allez, rentrons avant que le vent n'éteigne votre lampe.

La traversée se fit sans un mot. Le vent froid griffait leurs visages, mais il charriait une odeur de neige et de résineux, un bouquet d'hiver qu'exhalaient les bois et qui les ramenait tous deux à la vie.

– Le fils Broody ne nous aura jamais apporté de vivres, dit Suzie en entrant dans la maison.

Andrew souffla la lampe, la remit en place et se dirigea vers la cuisine.

– Parce que vous avez faim, en plus ? dit-il en se lavant les mains.

– Pas vous ?

– Non, vraiment pas.

– Alors je ne vous propose pas de partager ? dit-elle en sortant une barre de céréales de la poche de son manteau.

Elle la croqua à pleines dents, regarda Andrew en mastiquant, et en sortit une autre qu'elle lui tendit.

– Je crois que la seule chose qui nous reste à faire est d'aller nous coucher. Et puis si cela peut soulager votre conscience, demain, nous irons chez les flics.

Elle monta à l'étage et entra dans la chambre.

Andrew la rejoignit quelques instants plus tard. Suzie était allongée sur le lit, dans une nudité complète. Il se dévêtit et se coucha sur elle, ardent et malhabile. La chaleur de son corps réveilla le désir, elle sentit son sexe pressé sur son bas-ventre. Suzie prit Andrew dans ses bras, sa langue parcourut son cou.

Andrew promenait ses lèvres sur sa peau, il embrassa ses seins, ses épaules et sa bouche. Elle resserra ses jambes autour de lui et de sa main le guida en elle. Et tandis qu'il la pénétrait, elle le repoussait pour le retenir aussitôt. Leurs souffles se confondaient, pleins d'ardeur et de vie, chassant pour un temps le souvenir macabre qu'ils partageaient. Elle roula pour se dresser sur lui, reins cambrés, mains en arrière accrochées à ses cuisses qu'elle serrait fermement. Son ventre dansait pendant que ses seins se dressaient et retombaient lourdement. Elle poussa un long cri quand Andrew vint en elle.

Elle s'allongea à son côté, il lui prit la main et voulut l'embrasser. Mais Suzie se leva sans rien dire et disparut dans la salle de bains.

Quand elle revint dans la chambre, Andrew avait quitté la pièce. Elle entendit ses pas dans le salon. Elle se glissa sous les draps, éteignit la lumière et mordit l'oreiller pour qu'il ne l'entende pas sangloter.

*

On frappait, frappait et frappait encore. Elle ouvrit les yeux et se rendit compte qu'elle s'était endormie dans un lit. Le vacarme se poursuivait, elle enfila ses vêtements et descendit.

Andrew avait la tête passée dans le conduit de la cheminée, elle ne voyait que ses jambes et le bas de son torse.

– Vous ne dormez jamais ? dit-elle en bâillant.

– Je dors peu, mais je dors vite, grommela-t-il en continuant à marteler le mortier.

– Je peux savoir ce que vous faites ?

– Je n'arrive pas à fermer l'œil, alors je m'occupe, et je n'y vois rien, ce qui ne me facilite pas la tâche.

Elle se rendit dans l'entrée, décrocha la lampe à pétrole, alluma la mèche et la posa sur l'âtre.

– C'est mieux comme ça ?

– Oui, beaucoup mieux, répondit Andrew, en lui tendant une brique, vierge de suie, qu'il venait de desceller.

– Vous comptez démonter toute la cheminée ?

Elle l'entendit râler, une autre brique tomba et se brisa au sol.

– Soulevez la lampe, dit-il d'un ton autoritaire.

Suzie fit de son mieux pour le satisfaire.

Andrew lui fit signe de se pousser, il se courba pour repasser sous le linteau et croisa le regard de Suzie qui l'observait.

– Quoi ?

– Rien, je partage ma nuit avec un type qui a choisi de passer la sienne dans une cheminée. Mais à part ça, rien.

– Tenez, grommela Andrew en lui tendant un petit paquet enveloppé de papier kraft.

– Qu'est-ce que c'est ? s'exclama Suzie, stupéfaite.

– Je vais chercher un couteau et nous le saurons bientôt.

Suzie le suivit jusque dans la cuisine. Ils s'installèrent autour de la table.

Le colis renfermait des photographies de Liliane, certainement prises par l'homme qu'elle avait aimé en secret sur cette île perdue des Adirondacks, une partition musicale et une enveloppe sur laquelle était écrit à la main le prénom de Mathilde.

Suzie s'empara de l'enveloppe.

– Vous ne voulez pas la remettre à sa destinataire ? demanda Andrew.

– Un an après son plongeon dans le port de Boston, maman a recommencé. Cette fois, il n'y avait pas de patrouille de police.

Suzie décacheta l'enveloppe et déplia la lettre.

Mathilde,

Sur cette île d'où je t'écris se promenait une femme autre que ta mère. Cette femme aimait un homme qui l'aimait bien moins qu'elle. Il s'en est allé à midi et ne reviendra pas.

Ne crois pas que je trahissais ton père. Il m'a fait le plus beau des cadeaux que je pouvais espérer de la vie, et l'enfant que tu es a comblé la mienne. Tu avais cinq ans quand je l'ai surpris dans notre lit, en autre compagnie que moi. Il m'a fallu du temps, mais je lui ai pardonné. Le jour où j'ai compris en aimant à mon tour que le mur des convenances l'avait fait prisonnier de sa propre existence. Un jour peut-être, le monde sera aussi tolérant que j'ai appris à l'être. Comment méjuger ceux qui aiment ?

Dans cette maison d'où je t'écris cette lettre se promenait un homme qui n'était pas ton père. Un homme qui me disait ce que j'avais toujours rêvé entendre, il me parlait d'avenir, de richesses partagées, d'une politique au service des peuples et non de ceux qui les gouvernent. Au-delà des rivalités de partis, j'ai cru en lui, en sa ferveur, en sa passion et sa sincérité.

L'appétit du pouvoir est incontrôlable et corrompt les plus belles intentions.

J'ai entendu tant de secrets d'alcôves, tant de mensonges que je taisais, jusqu'au jour où mes yeux trop curieux se sont perdus sur ce que je n'aurais peut-être jamais dû lire.

Pour créer une illusion, la première chose dont les hommes de pouvoir ont besoin, c'est d'obtenir votre confiance. L'illusion doit apparaître aussi vraie que la réalité qu'elle cache. La moindre imperfection peut, comme une épingle au contact d'un ballon, faire éclater l'illusion. Et la vérité devient criante.

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