Boris Vian - L'Arrache-Cœur

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L'Arrache-Cœur: краткое содержание, описание и аннотация

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Clémentine met au monde des triplés. Mais la souffrance que lui a infligé cette grossesse et ces naissances la poussent à ne plus adresser la parole à son mari, Angel. Elle l'empêche ensuite de participer à l'éducation des enfants. Clémentine reporte alors sur ses enfants son besoin d'aimer, et est hantée par l'idée qu'il pourrait leur arriver quelque chose. Pour lutter, elle arrache les arbres du jardin, se créant une sorte de 'mur de protection'… Mais nous, qui restons sur la rive, nous voyons que Boris Vian décrit simplement notre monde. En prenant chacun de nos mots habituels au pied de la lettre, il nous révèle le monstrueux pays qui nous entoure, celui de nos désirs les plus implacables, où chaque amour cache une haine, où les hommes rêvent de navires, et les femmes de murailles.

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– C'est que je me faisais belle, expliqua-t-elle.

Elle avait une génuine robe du dimanche en piqué blanc, avec des souliers noirs et un chapeau noir et des gants blancs de filoselle. Elle portait un missel de cuir usé. Sa figure était luisante et ses lèvres mal fardées. Ses gros seins tendaient son corsage et les courbes robustes de ses hanches emplissaient consciencieusement le reste de sa robe.

– Allons-y, dit Jacquemort.

Ils sortirent. Elle semblait intimidée, et, par déférence, tâchait de ne pas faire de bruit en respirant.

– Alors, demanda Jacquemort cent mètres plus loin, quand est-ce que je vous psychanalyse?

Elle rougit et le regarda en dessous. Ils passaient près d'une haie épaisse.

– On peut pas faire ça maintenant, avant d'aller à la messe…, dit-elle pleine d'espoir.

Le psychiatre sentit frémir sa barbe rousse en comprenant ce qu'elle comprenait et la guida d'une main ferme vers le bord du chemin. Ils disparurent derrière la haie par un étroit passage garni de ronces auxquelles Jacquemort érailla son joli complet.

Maintenant, ils étaient dans un champ bien abrité. Avec précaution la bonne retira son chapeau noir.

– Faut pas que je l'abîme, dit-elle. Et puis, dites donc, je vais avoir du vert, si on se met là-dessus…

– Mettez-vous à quatre pattes, dit Jacquemort.

– Bien sûr, dit-elle, comme si elle estimait que c'était la seule façon possible.

Tandis que le psychiatre la besognait, il voyait la nuque courte de la fille se redresser puis se relâcher. Comme elle était mal coiffée, quelques mèches blondes s'agitaient au vent. Elle sentait fort, mais Jacquemort n'avait pas opéré depuis son arrivée à la maison et cette odeur un peu bestiale ne lui déplut point. Par un souci d'humanité bien compréhensible, il évita de lui faire un enfant.

Ils arrivèrent devant l'église à peine dix minutes après le début de la messe. La nef ovoïde devait, à en juger par le nombre des voitures et des carrioles, être pleine de monde.

Jacquemort, avant de monter les marches, regarda la fille encore rouge et un peu honteuse.

– Je viens ce soir? murmura-t-elle.

– Oui, dit-il. Tu me raconteras ta vie.

Etonnée, elle le dévisagea, constata qu'il ne plaisantait pas et acquiesça sans comprendre. Ils entrèrent et se mêlèrent à la foule bien récurée qui se pressait. Jacquemort était serré contre elle et le parfum animal lui emplissait les narines. Sous les bras, elle transpirait en rond.

Le curé terminait son préambule et s'apprêtait à monter en chaire. La chaleur, étouffante, prenait les gens à la gorge, et des femmes dégrafaient leur corsage. Cependant, les hommes gardaient fermés jusqu'en haut leurs vestes noires et leurs cols cassés. Jacquemort regardait les visages autour de lui; ils avaient tous l'air bien vivants, solides, tannés par l'air et le soleil, et sûrs de quelque chose. Le curé monta l'escalier de la chaire blanche dont les volets étaient ouverts. Un curieux modèle de chaire. Jacquemort se rappela le menuisier, le petit apprenti, et frissonna. Quand il pensait à l'apprenti, l'odeur de la boniche le dégoûtait.

Au moment où le curé parut entre les deux montants de chêne clair, un homme monta sur un banc et demanda le silence d'une voix puissante. Les rumeurs s'apaisèrent. Dans la nef, il régnait maintenant un calme attentif. Les yeux de Jacquemort remarquaient les lumières innombrables pendues à la voûte, qui révélaient maintenant le fouillis de corps enchevêtrés, sculptés à même la charpente énorme, et le vitrail bleu de l'autel.

– De la pluie, curé! dit l'homme.

La foule reprit d'une seule voix:

– De la pluie!…

– Le sainfoin est sec! continua l'homme.

– De la pluie! beugla la foule.

Jacquemort, complètement assourdi, vit le prêtre étendre le bras pour réclamer la parole. Les murmures se calmèrent. Le soleil du matin flambait derrière le vitrail bleu. On avait peine à respirer.

– Gens du village! dit le curé.

Sa voix, immense, paraissait venir de partout, et Jacquemort devina qu'un système amplificateur lui permettait d'atteindre ce volume. Les têtes se tournèrent vers la voûte, vers les murs. Pas un appareil n'était visible.

– Gens du village! dit le curé. Vous me demandez de la pluie, vous n'en aurez point. Vous êtes venus aujourd'hui arrogants et fiers comme des leghorns, confiants dans votre vie charnelle. Vous êtes venus en quémandeurs insolents exiger ce que vous ne méritez point. Il ne pleuvra pas. Le sainfoin, Dieu s'en moque! Courbez vos corps, courbez vos têtes, humiliez vos âmes et je vous donnerai la parole de Dieu. Mais ne comptez pas sur une goutte d'eau. C'est une église, ici, et pas un arrosoir!

Il y eut un murmure de protestation dans la foule. Jacquemort trouvait que le curé parlait bien.

– De la pluie! répéta l'homme monté sur un banc. Après la tempête sonore de la voix du curé, son cri parut dérisoire, et les assistants, conscients d'une infériorité temporaire, se turent.

– Vous prétendez croire en Dieu! tonitrua le curé, parce que vous venez à l'église le dimanche, parce que vous traitez durement vos pareils, parce que vous ignorez la honte et parce que votre conscience ne vous tourmente pas…

Lorsque le curé prononça le mot honte, des protestations jaillirent çà et là, se nourrirent d'échos, s'enflèrent en un long hurlement. Les hommes trépignaient sur place, les poings crispés. Les femmes, muettes, pinçaient la bouche et regardaient le curé d'un œil mauvais. Jacquemort commençait à perdre pied. Le tumulte s'apaisant, le curé reprit la parole.

– Que m'importent vos champs! Que m'importent vos bêtes et vos enfants! hurla-t-il. Vous vivez une vie matérielle et sordide. Vous ignorez le luxe!… Ce luxe, je vous l'offre: je vous offre Dieu… Mais Dieu n'aime pas la pluie… Dieu n'aime pas le sainfoin. Dieu se soucie peu de vos plates-bandes et de vos plates aventures. Dieu, c'est un coussin de brocart d'or, c'est un diamant serti dans le soleil, c'est un précieux décor ciselé dans l'amour, c'est Auteuil, Passy, les soutanes de soie, les chaussettes brodées, les colliers et les bagues, l'inutile, le merveilleux, les ostensoirs électriques… Il ne pleuvra pas!

– Qu'il pleuve! hurla l'orateur, soutenu cette fois par la foule qui se mit à tonner comme un ciel d'orage.

– Retournez à vos fermes! mugit la voix multiple du curé. Retournez à vos fermes! Dieu, c'est la volupté du superflu. Vous ne songez qu'au nécessaire. Vous êtes des hommes perdus pour lui.

Le voisin de Jacquemort l'écarta brusquement et, prenant son élan, projeta une lourde pierre dans la direction de la chaire. Mais déjà les volets de chêne se refermaient en claquant et la voix du prêtre continua, tandis que le pavé venait percuter avec un bruit sourd les panneaux massifs.

– Il ne pleuvra pas! Dieu n'est pas utilitaire. Dieu est un cadeau de fête, un don gratuit, un lingot de platine, une image artistique, une friandise légère. Dieu est en plus. Il n'est ni pour ni contre. C'est du rabiot!

Une grêle de cailloux s'abattit sur le couvercle de la chaire.

– La pluie! La pluie! La pluie! scandait maintenant la foule sur un rythme uniforme.

Et Jacquemort, emporté par la passion qui émanait de ces hommes, se surprit à chanter avec eux.

Sous ses yeux, à sa droite, à sa gauche, les paysans marchaient sur place et ce grand bruit de souliers emplissait l'église comme le pas des soldats sur un pont de fer. Une poussée porta en avant les quelques hommes les plus rapprochés de la chaire et ils se mirent à secouer les quatre poteaux massifs qui l'écartaient du sol.

– Il ne pleuvra pas! répétait le curé que l'on devinait derrière ses volets en proie à une transe totale. Il pleuvra des ailes d'ange! Il pleuvra des duvets d'émeraude, des vases d'albâtre, des peintures admirables… mais pas d'eau! Dieu se moque du sainfoin, de l'avoine, du blé, du seigle, de l'orge, du houblon, du sarrasin, du trèfle, de la luzerne, de l'orpin blanc et de la sauge…

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