Cécile avait un petit amoureux qui, lui aussi, allait à R… pour son travail, et ils faisaient tous les jours le chemin ensemble, en car ou à pied. Mme Donzert trouvait qu’ils étaient trop jeunes pour se marier, ce qui était vrai. L’amoureux avait dix-huit ans et était compagnon chez un maçon, mais les parents avaient de quoi [47] les parents avaient de quoi — родители были самостоятельными, имели деньги.
, son père était entrepreneur maçon. Le petit devait apprendre le métier pour être patron : c’est indispensable pour savoir ensuite faire faire le travail aux autres. Cécile avait le droit de fréquenter Paul.
Martine n’avait pas d’amoureux, elle pensait à Daniel et continuait à vivre dans l’attente. Elle n’avait pas eu à attendre la reprise de la baignade. Tout d’abord Daniel faisait des visites régulières chez le docteur Foisnel : être condamné à mort à dix-huit ans, cela vous secoue l’organisme. Deux fois par semaine, Daniel venait chez le docteur pour des piqûres et il rencontrait toujours sur son chemin, à l’entrée du village assise sur une borne, Martine-perdue-dans-les-bois. Ce n’était pas sorcier de deviner pourquoi elle était là… Pourtant, Daniel passait sur son vélo, avec un sourire dans sa direction et même pas un bonjour.
Pour le retour il arrivait à Martine de le rater, ou le docteur le gardait à dîner, ou il filait sur Paris… A le voir comme ça sur son vélo, on n’aurait pas cru vraiment qu’il avait besoin de piqûres ! Changé, c’est vrai, un homme, mais toujours robuste, comme il l’avait été gamin. Il était net, luisant et solide, comme sa moto neuve — car bientôt il eut une moto. Martine l’entendait venir de loin sur la route, et c’était merveilleux et effrayant.
En été le promis de Cécile avait beaucoup de travail, toujours sur un chantier ou un autre, et elles allaient à la baignade toutes les deux, sans garçons. Naturellement là-bas, elles en rencontraient, mais on savait qu’elles étaient sérieuses et personne ne leur manquait de respect.
La baignade se trouvait entre R… et le village : c’était un grand étang dans le bois. La municipalité de R… avait fait construire les cabines. Pendant les vacances, surtout le dimanche la baignade était envahie. Des voitures arrêtées, des tentes de campeurs, des gens qui mangeaient sur l’herbe, leurs chiens qui couraient ici et là. Et après leur départ partout des papiers gras, des boîtes de conserves laissés par les pique-niqueurs.
On pouvait aller au bal à R… il y avait un dancing en plein air, mais Mme Donzert ne voulait pas que les petites y allassent seules, elles y allaient seulement quand Mme Donzert les accompagnait elle-même ou la pharmacienne, une femme sérieuse. Depuis l’été 1946 il y avait deux innovations : l’embrasement du château historique [48] l’embrasement du château historique — освещение старого замка, так называемое представление «Звук и Свет» (Son et Lumière), когда с помощью специального освещения и звукового сопровождения (музыки, песен, шумов) воспроизводится история замка.
, un château auquel on était si habitué qu’on ne le remarquait plus et qui devenait dans cette robe de bal qu’on lui mettait pour un soir, beau, solennel, inaccessible derrière sa grille forgée. Les indigènes, les touristes, les estivants, accrochés à cette grille regardaient longuement cette apparition lumineuse. L’autre innovation était l’élection de Miss Vacances au cours du bal : un jury, élu parmi les personnalités de l’assistance, s’était trouvé composé d’un châtelain — pas celui de ce château historique là, mais d’un autre non moins historique — d’une vedette de cinéma, qui avait acheté une ferme aux environs de R… d’un membre du Conseil municipal de R… d’un des députés du département, etc. Les jeunes filles de R… et d’ailleurs ne rêvaient pas de monter sur l’estrade à côté de l’orchestre, alors on allait les pêcher parmi le public. C’est ainsi qu’un soir Martine, traînée de force, se trouva parmi d’autres, auprès du jury souriant, et devant le public riant et applaudissant chaque nouvelle candidate qui apparaissait là-haut… Chaque candidate devait sortir du rang et faire quelques pas sur l’estrade, accompagnée des commentaires du speaker à son micro.
Le public, ravi de la nouveauté du jeu, s’amusait énormément, et les garçons au fond de la salle faisaient un chahut qui couvrait l’orchestre lorsque les filles qu’ils connaissaient depuis toujours apparaissaient l’une après l’autre dans les feux de la rampe. Martine remporta la victoire. Elle avait une robe blanche, une jupe plissée. Sans fards ses traits se dessinaient nettement de loin. Mme Donzert et Cécile dans la salle regardaient Martine, bouleversées, émues, le cœur battant. Cécile n’était ni envieuse, ni jalouse. Mais le comble de cette soirée inoubliable fut la rencontre…
C’était à la sortie, tard, comme Martine seule, à la grille devant le château embrasé, attendait le pharmacien qui devait les ramener au village et cherchait sa voiture, pendant que sa femme et Mme Donzert plus fatiguées de regarder danser les filles que si elles avaient dansé elles-mêmes, s’étaient assises quelque part sur le banc, et que Cécile était ailleurs avec son amoureux. Cela arriva au moment même où l’embrasement s’éteignit : la silhouette de Daniel surgit dans la nuit à côté de Martine… Il avait comme toujours sa moto à la main, il souriait.
— Martine, dit-il tout bas, je me perdrais bien dans les bois avec toi…
Martine ! Martine ! criait-on. Où es-tu ? On t’attend !
Daniel enfourcha sa moto, leva le bras en signe d’adieu… La moto fila dans un bruit de tonnerre.
Martine et Cécile travaillaient beaucoup au salon de coiffure. Le dimanche elles allaient faire un tour du côté de la baignade, après six heures, à la fraîcheur. Martine espérait toujours rencontrer Daniel. Depuis deux ans elle se nourrissait encore de cette rencontre après le bal.) « Martine, j’aimerais me perdre dans les bois avec toi… » Depuis elle l’avait vu quelques fois traverser le pays, s’arrêter chez son ami, le docteur, qui ne lui faisait plus de piqûres. Il n’apparaissait pas plus souvent en hiver qu’en été, il travaillait beaucoup à la pépinière, chez son père, et il avait brillamment passé son concours pour entrer à Ecole d’Horticulture… Il allait donc partir pour Paris tout à fait. Martine avait ses informateurs : a pharmacienne qui savait bien des choses et aussi Henriette, la petite bonne du docteur avec laquelle Martine avait été en classe.
Les jeunes filles sortirent du village. Elles marchaient se lisant qu’elles n’auraient pas dû mettre leurs ballerines neuves, le chemin étant poussiéreux par cette chaleur. Il y avait beaucoup de promeneurs allant tous dans la même direction, celle de la baignade. C’était dimanche.
L’étang brillait à terre comme une coulée de métal chauffée. Des voitures, des caravanes se tenaient entre les arbres, il y avait quelques tentes d’un orange tout neuf. Martine et Cécile s’assirent sur un énorme tronc d’arbre. En face il y avait un petit pré tout vert. Il y était interdit de camper. Là paissaient les vaches du père Malloire.
Soudain, sortant de la baignade, des jeunes gens en slip, des jeunes filles, juste avec un petit quelque chose sur le corps, surgirent dans le pré parmi les vaches. Assises sur leur tronc d’arbre, Martine et Cécile assistèrent à la corrida qui se déroulait de l’autre côté de l’étang…
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