Emily Brontë - Les Hauts De Hurle-Vent

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Les Hauts de Hurle-vent sont des terres situées au sommet d'une colline et balayées par les vents du nord. La famille Earnshaw y vivait, heureuse, jusqu'à ce qu'en 1771, M. Earnshaw adopte un jeune bohémien de 6 ans, Heathcliff. Ce dernier va attirer le malheur sur cette famille. Dès le début, Hindley, le fils de Earnshaw éprouve une profonde haine pour cet intrus. À la mort de son vieux bienfaiteur, Heathcliff doit subir la rancoeur de Hindley, devenu maître du domaine. Humilié par sa condition subalterne, Heathcliff, qui pourtant aime passionnément Catherine, la soeur de Hindley, jure de se venger. Sa fureur est décuplée lorsque Catherine, au tempérament aussi passionné que le sien, épouse le riche Edgar Linton…

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– Va-t’en dans ta chambre! dit-il d’une voix que la passion rendait presque inarticulée; sa figure était gonflée de colère. Emmène-là avec toi, puisqu’elle vient pour te voir: tu ne m’empêcheras pas de rester ici. Allez-vous-en tous les deux!

Il nous lança quelques jurons et, sans laisser à Linton le temps de répondre, le jeta presque dans la cuisine; tandis que je le suivais, il me montra le poing, comme s’il avait envie de m’abattre par terre. J’eus peur un instant et laissai tomber un des volumes; il me l’envoya d’un coup de pied et ferma la porte sur nous. J’entendis un rire mauvais et chevrotant du côté de la cheminée et, en me retournant, j’aperçus cet odieux Joseph, debout, frottant ses mains osseuses et tout frissonnant.

– J’étions ben sûr qu’y vous fourrerait dehors! C’t un rude gars! En v’la-z-un qu’a l’esprit juste. Y sait… oui, y sait aussi ben qu’moi, qui c’est qui d’vrait être l’maître ici. Hé! hé! hé! Y vous a fait déguerpir proprement! Hé! hé! hé!

– Où faut-il que nous allions, demandai-je à mon cousin sans faire attention aux railleries du vieux coquin.

Linton était pâle et tremblait. Il n’était pas joli, à ce moment-là, Hélène. Oh! non! il était effrayant à voir: sa figure mince et ses grands yeux étaient tout déformés par une expression de fureur frénétique et impuissante. Il saisit la poignée de la porte et la secoua: elle était fermée en dedans.

– Si vous ne me laissez pas entrer, je vous tuerai!… si vous ne me laissez pas entrer, je vous tuerai! disait-il, ou plutôt hurlait-il. Démon! démon!… je vous tuerai!… je vous tuerai!…

Joseph fit entendre de nouveau son rire croassant.

– Ah! ah! ça c’est l’père, s’écria-t-il. Ça c’est l’père! N’savons toujours en nous quéqu’chose d’chaque côté. T’inquiète pas, Hareton, mon gars… aie pas peur… y n’peut point arriver jusqu’à toi!

Je pris Linton par les mains et essayai de le tirer en arrière; mais il se mit à hurler si affreusement que je n’osai pas continuer. À la fin, ses cris furent étouffés par une terrible quinte de toux; le sang lui sortait de la bouche et il tomba sur le sol. Je courus dans la cour, folle de peur, et appelai Zillah de toutes mes forces. Elle m’entendit bientôt; elle était en train de traire les vaches sous un hangar derrière la grange. Elle accourut et me demanda ce qu’on réclamait d’elle. Je n’avais pas assez de souffle pour lui répondre; je l’entraînai dans la cuisine et je cherchai des yeux Linton. Earnshaw était venu examiner le mal qu’il avait causé et il était occupé à transporter en haut la pauvre victime. Zillah et moi nous montâmes derrière lui; mais il m’arrêta à la dernière marche en disant que je ne devais pas entrer et que je n’avais qu’à retourner chez moi. Je m’écriai qu’il avait tué Linton et que je voulais entrer. Joseph ferma la porte, déclara que je n’en ferais rien et me demanda si je me croyais obligée «d’être aussi folle que lui». Je restai là à pleurer jusqu’à ce que la femme de charge revînt. Elle affirma qu’il serait mieux dans un instant, mais qu’il ne pouvait pas se passer de hurler et de faire du vacarme; elle me prit par le bras et me porta presque dans la salle.

Hélène, j’avais envie de m’arracher les cheveux! Je pleurai, je sanglotai au point de ne presque plus voir clair. Le misérable pour lequel vous avez tant de sympathie se tenait en face de moi, osant de temps en temps me dire «chut!» et nier que ce fût de sa faute. À la fin, effrayé de mes affirmations que je le dirais à papa et qu’il serait emprisonné et pendu, il se mit à pleurer lui-même à chaudes larmes et se sauva dehors pour cacher sa lâche émotion. Pourtant, je n’étais pas débarrassée de lui. Quand enfin ils m’eurent forcée de partir et que j’eus fait quelques centaines de mètres hors de la propriété, je le vis tout à coup surgir de l’ombre dans laquelle se trouvait le bord de la route. Il arrêta Minny et posa la main sur mon bras.

– Miss Catherine, je suis bien fâché, commença-t-il; mais vraiment c’est trop mal…

Je le cinglai avec ma cravache, pensant qu’il voulait peut-être m’assassiner. Il me lâcha, en proférant un de ses horribles jurons, et je rentrai au galop, la tête à moitié égarée.

Je ne vins pas vous souhaiter bonne nuit ce soir-là, et je n’allai pas à Hurle-Vent le lendemain. J’avais bien grande envie d’y aller, mais j’étais dans une étrange excitation: par moments je redoutais d’apprendre que Linton était mort, et par moments je frissonnais à la pensée de rencontrer Hareton. Le troisième jour, je rassemblai mon courage; je ne pouvais plus supporter cette incertitude et, une fois de plus, je m’enfuis. Je partis à cinq heures, à pied, me figurant que je pourrais arriver à me glisser dans la maison et jusqu’à la chambre de Linton sans être vue. Mais les chiens donnèrent l’alarme à mon approche. Zillah me reçut, me dit que «le gars se rétablissait gentiment», et me conduisit dans une petite pièce propre, avec un tapis où, à mon inexprimable joie, j’aperçus Linton couché sur un petit sofa, et occupé à lire un de mes livres. Mais il ne voulut ni me parler ni me regarder pendant une heure entière, Hélène: il a un si malheureux caractère! Et ce qui me confondit tout à fait, c’est que, quand il ouvrit la bouche, ce fut pour proférer un mensonge: c’était moi, paraît-il, qui étais cause de toute l’affaire et Hareton ne méritait aucun blâme! Incapable de répliquer autrement qu’avec indignation, je me levai et quittai la chambre. Il me lança un faible «Catherine!» Il ne s’attendait pas que je lui répondisse de la sorte; mais je ne voulus pas me retourner. Le lendemain, pour la seconde fois, je restai à la maison, presque résolue à ne plus lui rendre visite. Pourtant, c’était si triste de me coucher, de me lever, sans jamais avoir de ses nouvelles, que ma résolution s’évanouit avant d’être bien formée. J’avais eu le sentiment que c’était mal d’avoir commencé d’y aller; j’avais maintenant le sentiment que ce serait mal de n’y plus aller. Michel vint me demander s’il devait seller Minny; je lui répondis que oui, et je considérais que je remplissais un devoir pendant que la bête m’emportait sur les hauteurs. Je fus forcée de passer devant les fenêtres de la façade pour arriver dans la cour: il était inutile d’essayer de dissimuler ma présence.

– Le jeune maître est dans la salle, me dit Zillah en me voyant me diriger vers le petit salon.

J’entrai. Earnshaw aussi était là, mais il sortit aussitôt. Linton était dans le grand fauteuil, à moitié endormi. Je m’approchai du feu et commençai d’un ton sérieux, avec la conviction que ce que je disais était en partie vrai:

– Puisque je vous déplais, Linton, puisque vous croyez que je ne viens que pour vous faire du mal, puisque vous prétendez que je vous en fais chaque fois, ceci est notre dernière entrevue. Disons-nous adieu; et dites à Mr Heathcliff que vous ne désirez pas de me voir et qu’il est inutile qu’il invente de nouveaux mensonges à ce sujet.

– Asseyez-vous et enlevez votre chapeau, Catherine, répondit-il. Vous êtes tellement plus heureuse que moi que vous devriez être meilleure. Papa parle assez de mes défauts et montre assez le mépris qu’il a pour moi pour qu’il soit naturel que je doute de moi-même. Je me demande souvent si vraiment je ne suis pas aussi indigne qu’il le dit; alors je me sens si irrité et si plein d’amertume que je hais tout le monde. Oui, je suis indigne, et de méchante humeur, et de méchant esprit, presque toujours. Si vous le voulez, vous pouvez me dire adieu: vous serez débarrassée d’un ennui. Seulement, Catherine, rendez-moi cette justice: croyez que, si je pouvais être aussi doux, aussi aimable, aussi bon que vous, je le serais. J’aimerais autant cela, et même plus, que d’avoir votre santé et votre bonheur. Croyez aussi que votre bonté m’a fait vous aimer plus profondément que si je méritais votre amour; et, quoique je n’aie pas pu et que je ne puisse pas m’empêcher de vous laisser voir ma nature, je le regrette et je m’en repens, je le regretterai et je m’en repentirai jusqu’à ma mort.

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