– Vous étiez là, monsieur? dit-il avec respect.
– Oui, Raoul, j’étais là, dit le comte.
– Et vous ne m’éveilliez point?
– Je voulais vous laisser encore quelques moments de ce bon sommeil, mon ami; vous devez être fatigué de la journée d’hier, qui s’est prolongée si avant dans la nuit.
– Oh! monsieur, que vous êtes bon! dit Raoul.
Athos sourit.
– Comment vous trouvez-vous? lui dit-il.
– Mais parfaitement bien, monsieur, et tout à fait remis et dispos.
– C’est que vous grandissez encore, continua Athos avec un intérêt paternel et charmant d’homme mûr pour le jeune homme, et que les fatigues sont doubles à votre âge.
– Oh! monsieur, je vous demande bien pardon, dit Raoul honteux de tant de prévenances, mais dans un instant je vais être habillé.
Athos appela Olivain, et en effet au bout de dix minutes, avec cette ponctualité qu’Athos, rompu au service militaire, avait transmise à son pupille, le jeune homme fut prêt.
– Maintenant, dit le jeune homme au laquais, occupez-vous de mon bagage.
– Vos bagages vous attendent, Raoul, dit Athos. J’ai fait faire la valise sous mes yeux, et rien ne vous manquera. Elle doit déjà, ainsi que le portemanteau du laquais, être placée sur les chevaux, si toutefois on a suivi les ordres que j’ai donnés.
– Tout a été fait selon la volonté de monsieur le comte, dit Olivain, et les chevaux attendent.
– Et moi qui dormais, s’écria Raoul, tandis que vous, monsieur, vous aviez la bonté de vous occuper de tous ces détails! Oh! mais, en vérité, monsieur, vous me comblez de bontés.
– Ainsi vous m’aimez un peu, je l’espère du moins? répliqua Athos d’un ton presque attendri.
– Oh! monsieur, s’écria Raoul, qui, pour ne pas manifester son émotion par un élan de tendresse, se domptait presque à suffoquer, oh! Dieu m’est témoin que je vous aime et que je vous vénère.
– Voyez si vous n’oubliez rien, dit Athos en faisant semblant de chercher autour de lui pour cacher son émotion.
– Mais non, monsieur, dit Raoul.
Le laquais s’approcha alors d’Athos avec une certaine hésitation, et lui dit tout bas:
– M. le vicomte n’a pas d’épée, car monsieur le comte m’a fait enlever hier soir celle qu’il a quittée.
– C’est bien, dit Athos, cela me regarde.
Raoul ne parut pas s’apercevoir du colloque. Il descendit, regardant le comte à chaque instant pour voir si le moment des adieux était arrivé; mais Athos ne sourcillait pas.
Arrivé sur le perron, Raoul vit trois chevaux.
– Oh! monsieur, s’écria-t-il tout radieux, vous m’accompagnez donc?
– Je veux vous conduire quelque peu, dit Athos.
La joie brilla dans les yeux de Raoul, et il s’élança légèrement sur son cheval.
Athos monta lentement sur le sien après avoir dit un mot tout bas au laquais, qui, au lieu de suivre immédiatement, remonta au logis. Raoul, enchanté d’être en la compagnie du comte, ne s’aperçut ou feignit de ne s’apercevoir de rien.
Les deux gentilshommes prirent par le Pont-Neuf, suivirent les quais ou plutôt ce qu’on appelait alors l’abreuvoir Pépin, et longèrent les murs du Grand-Châtelet. Ils entraient dans la rue Saint-Denis lorsqu’ils furent rejoints par le laquais.
La route se fit silencieusement. Raoul sentait bien que le moment de la séparation approchait; le comte avait donné la veille différents ordres pour des choses qui le regardaient, dans le courant de la journée. D’ailleurs ses regards redoublaient de tendresse, et les quelques paroles qu’il laissait échapper redoublaient d’affection. De temps en temps une réflexion ou un conseil lui échappait, et ses paroles étaient pleines de sollicitude.
Après avoir passé la porte Saint-Denis, et comme les deux cavaliers étaient arrivés à la hauteur des Récollets, Athos jeta les yeux sur la monture du vicomte.
– Prenez-y garde, Raoul, lui dit-il, je vous l’ai déjà dit souvent; il faudrait ne point oublier cela, car c’est un grand défaut dans un écuyer. Voyez! votre cheval est déjà fatigué; il écume, tandis que le mien semble sortir de l’écurie. Vous lui endurcissez la bouche en lui serrant ainsi le mors; et, faites-y attention, vous ne pouvez plus le faire manœuvrer avec la promptitude nécessaire. Le salut d’un cavalier est parfois dans la prompte obéissance de son cheval. Dans huit jours, songez-y, vous ne manœuvrerez plus dans un manège, mais sur un champ de bataille.
Puis tout à coup, pour ne point donner une trop triste importance à cette observation:
– Voyez donc, Raoul, continua Athos, la belle plaine pour voler la perdrix.
Le jeune homme profitait de la leçon, et admirait surtout avec quelle tendre délicatesse elle était donnée.
– J’ai encore remarqué l’autre jour une chose, disait Athos, c’est qu’en tirant le pistolet vous teniez le bras trop tendu. Cette tension fait perdre la justesse du coup. Aussi, sur douze fois manquâtes-vous trois fois le but.
– Que vous atteignîtes douze fois, vous, monsieur, répondit en souriant Raoul.
– Parce que je pliais la saignée et que je reposais ainsi ma main sur mon coude. Comprenez-vous bien ce que je veux vous dire, Raoul?
– Oui, monsieur; j’ai tiré seul depuis en suivant ce conseil, et j’ai obtenu un succès entier.
– Tenez, reprit Athos, c’est comme en faisant des armes, vous chargez trop votre adversaire. C’est un défaut de votre âge, je le sais bien; mais le mouvement du corps en chargeant dérange toujours l’épée de la ligne; et si vous aviez affaire à un homme de sang-froid, il vous arrêterait au premier pas que vous feriez ainsi par un simple dégagement, ou même par un coup droit.
– Oui, monsieur, comme vous l’avez fait bien souvent, mais tout le monde n’a pas votre adresse et votre courage.
– Que voilà un vent frais! reprit Athos, c’est un souvenir de l’hiver. À propos, dites-moi, si vous allez au feu, et vous irez, car vous êtes recommandé à un jeune général qui aime fort la poudre, souvenez-vous bien dans une lutte particulière, comme cela arrive souvent à nous autres cavaliers surtout, souvenez-vous bien de ne tirer jamais le premier: qui tire le premier touche rarement son homme, car il tire avec la crainte de rester désarmé devant un ennemi armé; puis, lorsqu’il tirera, faites cabrer votre cheval; cette manœuvre m’a sauvé deux ou trois fois la vie.
– Je l’emploierai, ne fût-ce que par reconnaissance.
– Eh! dit Athos, ne sont-ce pas des braconniers qu’on arrête là-bas? Oui, vraiment… Puis encore une chose importante, Raoul: si vous êtes blessé dans une charge, si vous tombez de votre cheval et s’il vous reste encore quelque force, dérangez-vous de la ligne qu’a suivie votre régiment; autrement, il peut être ramené, et vous seriez foulé aux pieds des chevaux. En tout cas, si vous étiez blessé, écrivez-moi à l’instant même, ou faites-moi écrire; nous nous connaissons en blessures, nous autres, ajouta Athos en souriant.
– Merci, monsieur, répondit le jeune homme tout ému.
– Ah! nous voici à Saint-Denis, murmura Athos.
Ils arrivaient effectivement en ce moment à la porte de la ville, gardée par deux sentinelles. L’une dit à l’autre:
– Voici encore un jeune gentilhomme qui m’a l’air de se rendre à l’armée.
Athos se retourna: tout ce qui s’occupait, d’une façon même indirecte, de Raoul prenait aussitôt un intérêt à ses yeux.
– À quoi voyez-vous cela? demanda-t-il.
– À son air, monsieur, dit la sentinelle. D’ailleurs il a l’âge. C’est le second d’aujourd’hui.
– Il est déjà passé ce matin un jeune homme comme moi? demanda Raoul.
Читать дальше