D’Artagnan ne s’amusa point à relire la lettre, il savait ce qu’elle contenait, il courut à l’adresse.
L’adresse était: au château du Vallon.
Porthos avait oublié tout autre renseignement. Dans son orgueil il croyait que tout le monde devait connaître le château auquel il avait donné son nom.
– Au diable le vaniteux! dit d’Artagnan, toujours le même! Il m’allait cependant bien de commencer par lui, attendu qu’il ne devait pas avoir besoin d’argent, lui qui a hérité des huit cent mille livres de M. Coquenard. Allons, voilà le meilleur qui me manque. Athos sera devenu idiot à force de boire. Quant à Aramis, il doit être plongé dans ses pratiques de dévotion.
D’Artagnan jeta encore une fois les yeux sur la lettre de Porthos. Il y avait un post-scriptum , et ce post-scriptum contenait cette phrase:
«J’écris par le même courrier à notre digne ami Aramis en son couvent.»
– En son couvent! oui; mais quel couvent? Il y en a deux cents à Paris et trois mille en France. Et puis peut-être en se mettant au couvent a-t-il changé une troisième fois de nom. Ah! si j’étais savant en théologie et que je me souvinsse seulement du sujet de ses thèses qu’il discutait si bien à Crèvecœur avec le curé de Montdidier et le supérieur des jésuites, je verrais quelle doctrine il affectionne et je déduirais de là à quel saint il a pu se vouer, voyons, si j’allais trouver le cardinal et que je lui demandasse un sauf-conduit pour entrer dans tous les couvents possibles, même dans ceux des religieuses? Ce serait une idée et peut-être le trouverais-je là comme Achille… Oui, mais c’est avouer dès le début mon impuissance, et au premier coup je suis perdu dans l’esprit du cardinal. Les grands ne sont reconnaissants que lorsque l’on fait pour eux l’impossible.»Si c’eût été possible, nous disent-ils, je l’eusse fait moi-même. Et les grands ont raison. Mais attendons un peu et voyons. J’ai reçu une lettre de lui aussi, le cher ami, à telle enseigne qu’il me demandait même un petit service que je lui ai rendu. Ah! oui; mais où ai-je mis cette lettre à présent?
D’Artagnan réfléchit un instant et s’avança vers le porte-manteau où étaient pendus ses vieux habits; il y chercha son pourpoint de l’année 1648, et, comme c’était un garçon d’ordre que d’Artagnan, il le trouva accroché à son clou. Il fouilla dans la poche et en tira un papier: c’était justement la lettre d’Aramis.
«Monsieur d’Artagnan, lui disait-il, vous saurez que j’ai eu querelle avec un certain gentilhomme qui m’a donné rendez-vous pour ce soir, place Royale; comme je suis d’Église et que l’affaire pourrait me nuire si j’en faisais part à un autre qu’à un ami aussi sûr que vous, je vous écris pour que vous me serviez de second.
«Vous entrerez par la rue Neuve-Sainte-Catherine; sous le second réverbère à droite vous trouverez votre adversaire. Je serai avec le mien sous le troisième.
«Tout à vous,
«ARAMIS.»
Cette fois il n’y avait pas même d’adieux. D’Artagnan essaya de rappeler ses souvenirs; il était allé au rendez-vous, y avait rencontré l’adversaire indiqué, dont il n’avait jamais su le nom, lui avait fourni un joli coup d’épée dans le bras, puis il s’était approché d’Aramis, qui venait de son côté au-devant de lui, ayant déjà fini son affaire.
– C’est terminé, avait dit Aramis. Je crois que j’ai tué l’insolent. Mais, cher ami, si vous avez besoin de moi, vous savez que je vous suis tout dévoué.
Sur quoi Aramis lui avait donné une poignée de main et avait disparu sous les arcades.
Il ne savait donc pas plus où était Aramis qu’où étaient Athos et Porthos, et la chose commençait à devenir assez embarrassante, lorsqu’il crut entendre le bruit d’une vitre qu’on brisait dans sa chambre. Il pensa aussitôt à son sac qui était dans le secrétaire et s’élança du cabinet. Il ne s’était pas trompé, au moment où il entrait par la porte, un homme entrait par la fenêtre.
– Ah! misérable! s’écria d’Artagnan, prenant cet homme pour un larron et mettant l’épée à la main.
– Monsieur, s’écria l’homme, au nom du ciel, remettez votre épée au fourreau et ne me tuez pas sans m’entendre! Je ne suis pas un voleur, tant s’en faut! je suis un honnête bourgeois bien établi, ayant pignon sur rue. Je me nomme…
Eh! mais, je ne me trompe pas, vous êtes monsieur d’Artagnan!
– Et toi Planchet! s’écria le lieutenant.
– Pour vous servir, monsieur, dit Planchet au comble du ravissement, si j’en étais encore capable.
– Peut-être, dit d’Artagnan; mais que diable fais-tu à courir sur les toits à sept heures du matin dans le mois de janvier?
– Monsieur, dit Planchet, il faut que vous sachiez… Mais, au fait, vous ne devez peut-être pas le savoir.
– Voyons, quoi? dit d’Artagnan. Mais d’abord mets une serviette devant la vitre et tire les rideaux.
Planchet obéit, puis quand il eut fini:
– Eh bien? dit d’Artagnan.
– Monsieur, avant toute chose, dit le prudent Planchet, comment êtes-vous avec M. de Rochefort?
– Mais à merveille. Comment donc! Rochefort, mais tu sais bien que c’est maintenant un de mes meilleurs amis?
– Ah! tant mieux.
– Mais qu’a de commun Rochefort avec cette manière d’entrer dans ma chambre?
– Ah! voilà, monsieur! il faut vous dire d’abord que M. de Rochefort est…
Planchet hésita.
– Pardieu, dit d’Artagnan, je le sais bien, il est à la Bastille.
– C’est-à-dire qu’il y était, répondit Planchet.
– Comment, il y était! s’écria d’Artagnan; aurait-il eu le bonheur de se sauver?
– Ah! monsieur, s’écria à son tour Planchet, si vous appelez cela du bonheur, tout va bien; il faut donc vous dire qu’il paraît qu’hier on avait envoyé prendre M. de Rochefort à la Bastille.
– Et pardieu! je le sais bien, puisque c’est moi qui suis allé l’y chercher!
– Mais ce n’est pas vous qui l’y avez reconduit, heureusement pour lui; car si je vous eusse reconnu parmi l’escorte, croyez, monsieur, que j’ai toujours trop de respect pour vous…
– Achève donc, animal! voyons, qu’est-il donc arrivé?
– Eh bien! il est arrivé qu’au milieu de la rue de la Ferronnerie, comme le carrosse de M. de Rochefort traversait un groupe de peuple, et que les gens de l’escorte rudoyaient les bourgeois, il s’est élevé des murmures; le prisonnier a pensé que l’occasion était belle, il s’est nommé et a crié à l’aide. Moi j’étais là, j’ai reconnu le nom du comte de Rochefort; je me suis souvenu que c’était lui qui m’avait fait sergent dans le régiment de Piémont; j’ai dit tout haut que c’était un prisonnier, ami de M. le duc de Beaufort. On s’est émeuté, on a arrêté les chevaux, on a culbuté l’escorte. Pendant ce temps-là j’ai ouvert la portière, M. de Rochefort a sauté à terre et s’est perdu dans la foule. Malheureusement en ce moment-là une patrouille passait, elle s’est réunie aux gardes et nous a chargés. J’ai battu en retraite du côté de la rue Tiquetonne, j’étais suivi de près, je me suis réfugié dans la maison à côté de celle-ci; on l’a cernée, fouillée, mais inutilement; j’avais trouvé au cinquième une personne compatissante qui m’a fait cacher sous deux matelas. Je suis resté dans ma cachette, ou à peu près, jusqu’au jour, et, pensant qu’au soir on allait peut-être recommencer les perquisitions, je me suis aventuré sur les gouttières, cherchant une entrée d’abord, puis ensuite une sortie dans une maison quelconque, mais qui ne fût point gardée. Voilà mon histoire, et sur l’honneur, monsieur, je serais désespéré qu’elle vous fût désagréable.
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