Le mousquetaire porta la main à son chapeau et s’éloigna pour accomplir les ordres qu’il venait de recevoir.
D’Artagnan monta sur le siège.
Il avait une paire de pistolets à sa ceinture, un mousqueton sous ses pieds, son épée nue derrière lui.
La reine parut; derrière elle venaient le roi et M. le duc d’Anjou, son frère.
– Le carrosse de M. le coadjuteur! s’écria-t-elle en reculant d’un pas.
– Oui, madame, dit d’Artagnan, mais montez hardiment; c’est moi qui le conduis.
La reine poussa un cri de surprise et monta dans le carrosse. Le roi et Monsieur montèrent après elle et s’assirent à ses côtés.
– Venez, Laporte, dit la reine.
– Comment, Madame! dit le valet de chambre, dans le même carrosse que Vos Majestés?
– Il ne s’agit pas ce soir de l’étiquette royale, mais du salut du roi. Montez, Laporte!
Laporte obéit.
– Fermez les mantelets, dit d’Artagnan.
– Mais cela n’inspirera-t-il pas de la défiance, monsieur? demanda la reine.
– Que Votre Majesté soit tranquille, dit d’Artagnan, j’ai ma réponse prête.
On ferma les mantelets et on partit au galop par la rue de Richelieu. En arrivant à la porte, le chef du poste s’avança à la tête d’une douzaine d’hommes et tenant une lanterne à la main.
D’Artagnan lui fit signe d’approcher.
– Reconnaissez-vous la voiture? dit-il au sergent.
– Non, répondit celui-ci.
– Regardez les armes.
Le sergent approcha sa lanterne du panneau.
– Ce sont celles de M. le coadjuteur! dit-il.
– Chut! il est en bonne fortune avec madame de Guéménée.
Le sergent se mit à rire.
– Ouvrez la porte, dit-il, je sais ce que c’est.
Puis, s’approchant du mantelet baissé:
– Bien du plaisir, Monseigneur! dit-il.
– Indiscret! cria d’Artagnan, vous me ferez chasser.
La barrière cria sur ses gonds; et d’Artagnan, voyant le chemin ouvert, fouetta vigoureusement ses chevaux qui partirent au grand trot.
Cinq minutes après on avait rejoint le carrosse du cardinal.
– Mousqueton, cria d’Artagnan, relevez les mantelets du carrosse de Sa Majesté.
– C’est lui, dit Porthos.
– En cocher! s’écria Mazarin.
– Et avec le carrosse du coadjuteur! dit la reine.
– Corpo di Dio! monsou d’Artagnan, dit Mazarin, vous valez votre pesant d’or!
LVI. Comment d’Artagnan et Porthos gagnèrent, l’un deux cent dix-neuf, et l’autre deux cent quinze louis, à vendre de la paille
Mazarin voulait partir à l’instant même pour Saint-Germain, mais la reine déclara qu’elle attendrait les personnes auxquelles elle avait donné rendez-vous. Seulement, elle offrit au cardinal la place de Laporte. Le cardinal accepta et passa d’une voiture dans l’autre.
Ce n’était pas sans raison que le bruit s’était répandu que le roi devait quitter Paris dans la nuit: dix ou douze personnes étaient dans le secret de cette fuite depuis six heures du soir, et, si discrètes qu’elles eussent été, elles n’avaient pu donner leurs ordres de départ sans que la chose transpirât quelque peu. D’ailleurs, chacune de ces personnes en avait une ou deux autres auxquelles elle s’intéressait; et comme on ne doutait point que la reine ne quittât Paris avec de terribles projets de vengeance, chacun avait averti ses amis ou ses parents; de sorte que la rumeur de ce départ courut comme une traînée de poudre par les rues de la ville.
Le premier carrosse qui arriva après celui de la reine fut le carrosse de M. le Prince; il contenait M. de Condé, madame la princesse et madame la princesse douairière. Toutes deux avaient été réveillées au milieu de la nuit et ne savaient pas de quoi il était question.
Le second contenait M. le duc d’Orléans, madame la duchesse, la grande Mademoiselle et l’abbé de La Rivière, favori inséparable et conseiller intime du prince.
Le troisième contenait M. de Longueville et M. le prince de Conti, frère et beau-frère de M. le Prince. Ils mirent pied à terre, s’approchèrent du carrosse du roi et de la reine, et présentèrent leurs hommages à Sa Majesté.
La reine plongea son regard jusqu’au fond du carrosse, dont la portière était restée ouverte, et vit qu’il était vide.
– Mais où est donc madame de Longueville? dit-elle.
– En effet, où est donc ma sœur? demanda M. le Prince.
– Madame de Longueville est souffrante, madame, répondit le duc, et elle m’a chargé de l’excuser près de Votre Majesté.
Anne lança un coup d’œil rapide à Mazarin, qui répondit par un signe imperceptible de tête.
– Qu’en dites-vous? demanda la reine.
– Je dis que c’est un otage pour les Parisiens, répondit le cardinal.
– Pourquoi n’est-elle pas venue? demanda tout bas M. le Prince à son frère.
– Silence! répondit celui-ci; sans doute elle a ses raisons.
– Elle nous perd, murmura le prince.
– Elle nous sauve, dit Conti.
Les voitures arrivaient en foule. Le maréchal de La Meilleraie, le maréchal de Villeroy, Guitaut, Villequier, Comminges, vinrent à la file; les deux mousquetaires arrivèrent à leur tour, tenant les chevaux de d’Artagnan et de Porthos en main. D’Artagnan et Porthos se mirent en selle. Le cocher de Porthos remplaça d’Artagnan sur le siège du carrosse royal, Mousqueton remplaça le cocher, conduisant debout, pour raison à lui connue, et pareil à l’Automédon antique.
La reine, bien qu’occupée de mille détails, cherchait des yeux d’Artagnan, mais le Gascon s’était déjà replongé dans la foule avec sa prudence accoutumée.
– Faisons l’avant-garde, dit-il à Porthos, et ménageons-nous de bons logements à Saint-Germain, car personne ne songera à nous. Je me sens fort fatigué.
– Moi, dit Porthos, je tombe véritablement de sommeil. Dire que nous n’avons pas eu la moindre bataille. Décidément les Parisiens sont bien sots.
– Ne serait-ce pas plutôt que nous sommes bien habiles? dit d’Artagnan.
– Peut-être.
– Et votre poignet, comment va-t-il?
– Mieux; mais croyez-vous que nous les tenons cette fois-ci?
– Quoi?
– Vous, votre grade; et moi, mon titre?
– Ma foi! oui, je parierais presque. D’ailleurs, s’ils ne se souviennent pas, je les ferai souvenir.
– On entend la voix de la reine, dit Porthos. Je crois qu’elle demande à monter à cheval.
– Oh! elle le voudrait bien, elle; mais…
– Mais quoi?
– Mais le cardinal ne veut pas, lui. Messieurs, continua d’Artagnan s’adressant aux deux mousquetaires, accompagnez le carrosse de la reine, et ne quittez pas les portières. Nous allons faire préparer les logis.
Et d’Artagnan piqua vers Saint-Germain accompagné de Porthos.
– Partons, messieurs! dit la reine.
Et le carrosse royal se mit en route, suivi de tous les autres carrosses et de plus de cinquante cavaliers.
On arriva à Saint-Germain sans accident; en descendant du marchepied, la reine trouva M. le Prince qui attendait debout et découvert pour lui offrir la main.
– Quel réveil pour les Parisiens! dit Anne d’Autriche radieuse.
– C’est la guerre, dit le prince.
– Eh bien! la guerre, soit. N’avons-nous pas avec nous le vainqueur de Rocroy, de Nordlingen et de Lens?
Le prince s’inclina en signe de remerciement.
Il était trois heures du matin. La reine entra la première dans le château; tout le monde la suivit: deux cents personnes à peu près l’avaient accompagnée dans sa fuite.
– Messieurs, dit la reine en riant, logez-vous dans le château, il est vaste et la place ne vous manquera point; mais, comme on ne comptait pas y venir, on me prévient qu’il n’y a en tout que trois lits, un pour le roi, un pour moi…
Читать дальше