Il eut à signer, il signa; il eut à écouter, il écouta en fermant les yeux avec tant de naturel, qu'il fut impossible de savoir s'il écoutait ou s'il dormait.
Enfin trois heures de l'après-midi sonnèrent.
Le roi fit appeler M. d'Épernon.
On lui répondit que le duc passait la revue des chevau-légers.
Il demanda Loignac.
On lui répondit que Loignac essayait des chevaux limousins.
On s'attendait à voir le roi contrarié de ce double échec que venait de subir sa volonté; pas du tout: contre l'attente générale, le roi, de l'air le plus dégagé du monde, se mit à siffloter une fanfare de chasse, distraction à laquelle il ne se livrait que lorsqu'il était parfaitement satisfait de lui.
Il était évident que toute l'envie que le roi avait eue de se taire depuis le matin se changeait en une démangeaison croissante de parler.
Cette démangeaison finit par devenir un besoin irrésistible; mais le roi, n'ayant personne, fut obligé de parler tout seul.
Il demanda son goûter, et, pendant qu'il goûtait, se fit faire une lecture édifiante, qu'il interrompit pour dire au lecteur:
– C'est Plutarque, n'est-ce pas, qui a écrit la vie de Sylla?
Le lecteur, qui lisait du sacré, et que l'on interrompait par une question profane, se retourna avec étonnement du côté du roi.
Le roi répéta sa question.
– Oui, sire, répondit le lecteur.
– Vous souvenez-vous de ce passage où l'historien raconte que le dictateur évita la mort?
Le lecteur hésita.
– Non pas, sire, précisément, dit-il; il y a fort longtemps que je n'ai lu Plutarque.
En ce moment on annonça Son Éminence le cardinal de Joyeuse.
– Ah! justement, s'écria le roi, voici un savant homme, notre ami; il va nous dire cela sans hésiter, lui.
– Sire, dit le cardinal, serais-je assez heureux pour arriver à propos? c'est chose rare en ce monde.
– Ma foi, oui; vous avez entendu ma question?
– Votre Majesté demandait, je crois, de quelle façon et en quelle circonstance le dictateur Sylla échappa à la mort.
– Justement. Pouvez-vous y répondre, cardinal?
– Rien de plus facile, sire.
– Tant mieux.
– Sylla, qui fit tuer tant d'hommes, sire, ne risqua jamais perdre la vie que dans les combats: Votre Majesté faisait-elle allusion à un combat?
– Oui, et dans un des combats qu'il livra, je crois me rappeler qu'il vit la mort de très près.
Ouvrez un Plutarque, s'il vous plaît, cardinal; il doit y en avoir un là, traduit par ce bon Amyot, et lisez-moi ce passage de la vie du Romain où il échappa, grâce à la vitesse de son cheval blanc, aux javelines de ses ennemis.
– Sire, il n'est point besoin d'ouvrir Plutarque pour cela, l'événement eut lieu dans le combat qu'il livra à Teleserius le Samnite, et à Lamponius le Lucanien.
– Vous devez savoir cela mieux que personne, mon cher cardinal, vous êtes si savant.
– Votre Majesté est vraiment trop bonne pour moi, répondit le cardinal en s'inclinant.
– Maintenant, dit le roi après une courte pause, maintenant expliquez-moi comment le lion romain, qui était si cruel, ne fut jamais inquiété par ses ennemis.
– Sire, dit le cardinal, je répondrai à Votre Majesté par un mot de ce même Plutarque.
– Répondez, Joyeuse, répondez.
– Carbon, l'ennemi de Sylla, disait souvent:
«J'ai à combattre tout à la fois un lion et un renard qui habitent dans l'âme de Sylla; mais c'est le renard qui me donne la plus grande peine.»
– Ah! oui-dà, répondit Henri rêveur, c'était le renard!
– Plutarque le dit, sire.
– Et il a raison, fit le roi, il a raison, cardinal. Mais à propos de combat, avez-vous reçu des nouvelles de votre frère?
– Duquel, sire? Votre Majesté sait que j'en ai quatre.
– Du duc d'Arques, de mon ami, enfin.
– Pas encore, sire.
– Pourvu que M. le duc d'Anjou, qui, jusqu'ici, a si bien su faire le renard, sache maintenant faire un peu le lion! dit le roi.
Le cardinal ne répondit point; car, cette fois, Plutarque ne lui était d'aucun secours; il craignait, en adroit courtisan, de répondre désagréablement au roi en répondant agréablement pour le duc d'Anjou.
Henri, voyant que le cardinal gardait le silence, en revint à ses batailles avec maître Love; puis, tout en faisant signe au cardinal de rester, il se leva, s'habilla somptueusement et passa dans son cabinet, où sa cour l'attendait.
C'est surtout à la cour que l'on sent avec le même instinct que l'on retrouve chez les montagnards, c'est surtout à la cour que l'on sent l'approche ou la fin des orages; sans que nul eût parlé, sans que nul eût encore aperçu le roi, tout le monde était disposé selon la circonstance.
Les deux reines étaient visiblement inquiètes.
Catherine, pâle et anxieuse, saluait beaucoup et parlait d'une manière brève et saccadée.
Louise de Vaudémont ne regardait personne et n'écoutait rien.
Il y avait des moments où la pauvre jeune femme avait l'air de perdre la raison.
Le roi entra.
Il avait l'œil vif et le teint rose: on pouvait lire sur son visage une apparence de bonne humeur qui produisit sur tous ces visages mornes qui attendaient l'apparition du sien, l'effet que produit un coup de soleil sur les bosquets jaunis par l'automne.
Tout fut doré, empourpré à l'instant même; en une seconde tout rayonna.
Henri baisa la main de sa mère et celle de sa femme avec la même galanterie que s'il eût encore été duc d'Anjou. Il adressa mille flatteuses politesses aux dames qui n'étaient plus habituées à des retours de cette sorte, et alla même jusqu'à leur offrir des dragées.
– On était inquiet de votre santé, mon fils, dit Catherine regardant le roi avec une attention particulière, comme pour s'assurer que ce teint n'était pas du fard, que cette belle humeur n'était pas un masque.
– Et l'on avait tort, madame, répondit le roi; je ne me suis jamais mieux porté.
Et il accompagna ces paroles d'un sourire qui passa sur toutes les bouches.
– Et à quelle heureuse influence, mon fils, demanda Catherine avec une inquiétude mal déguisée, devez-vous cette amélioration dans votre santé?
– À ce que j'ai beaucoup ri, madame, répondit le roi.
Tout le monde se regarda avec un si profond étonnement, qu'il semblait que le roi venait de dire une énormité.
– Beaucoup ri? Vous pouvez beaucoup rire, mon fils, fit Catherine avec sa mine austère, alors vous êtes bien heureux.
– Voilà cependant comme je suis, madame.
– Et à quel propos vous êtes-vous laissé aller à une pareille hilarité?
– Il faut vous dire, ma mère, qu'hier soir j'étais allé au bois de Vincennes.
– Je l'ai su.
– Ah! vous l'avez su?
– Oui, mon fils: tout ce qui vous touche m'importe; je ne vous apprends rien de nouveau.
– Non, sans doute; j'étais donc allé au bois de Vincennes, lorsqu'au retour mes éclaireurs me signalèrent une armée ennemie dont les mousquets brillaient sur la route.
– Une armée ennemie sur la route de Vincennes?
– Oui, ma mère.
– Et où cela?
– En face la piscine des Jacobins, près de la maison de notre bonne cousine.
– Près de la maison de madame de Montpensier! s'écria Louise de Vaudémont.
– Précisément; oui, madame, près de Bel-Esbat; j'approchai bravement pour livrer bataille, et j'aperçus…
– Mon Dieu! continuez, sire, fit la reine, véritablement inquiète.
– Oh! rassurez-vous, madame.
Catherine attendait avec anxiété; mais ni une parole ni un geste ne trahissaient son inquiétude.
– J'aperçus, continua le roi, un prieuré tout entier de bons moines qui me présentaient les armes avec de belliqueuses acclamations.
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