Le malencontreux ambassadeur n'eut pas plus tôt tourné le coin de la rue, qu'il rencontra une patrouille.
Il s'arrêta de lui-même en songeant qu'il aurait l'air suspect en essayant de se dissimuler ou de forcer le passage.
– Eh! bonsoir, monsieur Chicot, lui dit le chef de la patrouille, en le saluant de l'épée, voulez-vous que nous vous reconduisions au palais? vous m'avez tout l'air d'être égaré et de chercher votre chemin.
– Ah ça! tout le monde me connaît donc ici? murmura Chicot. Pardieu! voilà qui est étrange.
Puis tout haut et de l'air le plus dégagé qu'il put prendre:
– Non, cornette, dit-il, vous vous trompez, je ne vais point au palais.
– Vous avez tort, monsieur Chicot, répondit gravement l'officier.
– Et pourquoi cela, monsieur?
– Parce qu'un édit très sévère défend aux habitants de Nérac de sortir la nuit, à moins d'urgente nécessité, sans permission et sans lanterne.
– Excusez-moi, monsieur, dit Chicot, mais l'édit ne peut me regarder, moi.
– Et pourquoi cela?
– Je ne suis point de Nérac.
– Oui, mais vous êtes à Nérac… Habitant ne veut pas dire qui est de… habitant veut dire qui demeure à… Or, vous ne nierez pas que vous ne demeuriez à Nérac, puisque je vous rencontre dans les rues de Nérac.
– Vous êtes logique, monsieur; malheureusement, moi, je suis pressé. Faites donc une petite infraction à votre consigne et laissez-moi passer, je vous prie.
– Vous allez vous perdre, monsieur Chicot; Nérac est une ville tortueuse, vous tomberez dans quelque trou punais, vous avez besoin d'être guidé; permettez que trois de mes hommes vous reconduisent au palais.
– Mais je ne vais pas au palais, vous dis-je.
– Où allez-vous donc, alors?
– Je ne puis dormir la nuit, et alors, je me promène. Nérac est une charmante ville pleine d'accidents, à ce qu'il m'a paru; je veux la voir, l'étudier.
– On vous conduira partout où vous désirerez, monsieur Chicot. Holà! trois hommes! – Je vous en supplie, monsieur, ne m'ôtez pas le pittoresque de ma promenade; j'aime à aller seul.
– Vous serez assassiné par les voleurs.
– J'ai mon épée.
– Ah! c'est vrai, je ne l'avais pas vue; alors vous serez arrêté par le prévôt comme étant armé.
Chicot vit qu'il n'y avait pas moyen de s'en tirer par des subtilités; il prit l'officier à part.
– Voyons, monsieur, dit-il, vous êtes jeune et charmant, vous savez ce que c'est que l'amour, un tyran impérieux.
– Sans doute, monsieur Chicot, sans doute.
– En bien! l'amour me brûle, cornette. J'ai une certaine dame à visiter.
– Où cela?
– Dans un certain quartier.
– Jeune?
– Vingt-trois ans.
– Belle?
– Comme les amours.
– Je vous en fais mon compliment, monsieur Chicot.
– Bien! vous m'allez laisser passer, alors?
– Dame! il y a urgence, à ce qu'il paraît?
– Urgence, c'est le mot, monsieur.
– Passez donc.
– Mais seul, n'est-ce pas? Vous sentez que je ne puis compromettre?…
– Comment donc!… Passez, monsieur Chicot, passez.
– Vous êtes un galant homme, cornette.
– Monsieur!
– Non, ventre de biche! c'est un beau trait. Mais voyons, comment me connaissez-vous?
– Je vous ai vu au palais avec le roi.
– Ce que c'est que les petites villes! pensa Chicot; s'il fallait qu'à Paris je fusse connu comme cela, combien de fois aurais-je eu la peau trouée au lieu du pourpoint!
Et il serra la main du jeune officier qui lui dit:
– À propos, de quel côté allez-vous?
– Du côté de la porte d'Agen.
– Ne vous égarez pas, surtout.
– Ne suis-je pas dans le chemin?
– Si fait, allez tout droit, et pas de mauvaise rencontre; voilà ce que je vous souhaite.
– Merci.
Et Chicot partit plus leste et plus joyeux que jamais.
Il n'avait pas fait cent pas, qu'il se trouva nez à nez avec le guet.
– Mordieu! quelle ville bien gardée! pensa Chicot.
– On ne passe pas! cria le prévôt d'une voix de tonnerre.
– Mais, monsieur, objecta Chicot, je désirerais cependant…
– Ah! monsieur Chicot! c'est vous; comment allez-vous dans les rues par un temps si froid? demanda l'officier magistrat.
– Ah! décidément, c'est une gageure, pensa Chicot fort inquiet.
Et, saluant, il fit un mouvement pour continuer son chemin.
– Monsieur Chicot, prenez garde, dit le prévôt.
– Garde à quoi, monsieur le magistrat?
– Vous vous trompez de route: vous allez du côté des portes.
– Justement.
– Alors, je vous arrêterai, monsieur Chicot.
– Non pas, monsieur le prévôt; peste! vous feriez un beau coup.
– Cependant…
– Approchez, monsieur le prévôt, et que vos soldats n'entendent point ce que nous allons dire.
Le prévôt s'approcha.
– J'écoute, dit-il.
– Le roi m'a donné une commission pour le lieutenant de la porte d'Agen.
– Ah! ah! fit le prévôt d'un air de surprise.
– Cela vous étonne?
– Oui.
– Cela ne devrait pas vous étonner pourtant, puisque vous me connaissez.
– Je vous connais pour vous avoir vu au palais avec le roi.
Chicot frappa du pied: l'impatience commençait à le gagner.
– Cela doit suffire pour vous prouver que j'ai la confiance de Sa Majesté.
– Sans doute, sans doute; allez donc faire la commission du roi, monsieur Chicot, je ne vous arrête plus.
– C'est drôle, mais c'est charmant, pensa Chicot, j'accroche en route, mais je roule toujours. Ventre de biche! voilà une porte, ce doit être celle d'Agen; dans cinq minutes, je serai dehors.
Il arriva effectivement à cette porte gardée par une sentinelle qui se promenait de long en large, le mousquet sur l'épaule.
– Pardon, mon ami, fit Chicot, voulez-vous ordonner que l'on m'ouvre la porte?
– Je n'ordonne pas, monsieur Chicot, répondit la sentinelle avec aménité, attendu que je suis simple soldat.
– Tu me connais, toi aussi! s'écria Chicot, exaspéré.
– J'ai cet honneur, monsieur Chicot; j'étais ce matin de garde au palais, je vous ai vu causer avec le roi.
– Eh bien! mon ami, puisque tu me connais, apprends une chose.
– Laquelle?
– C'est que le roi m'a donné un message très pressé pour Agen, ouvre-moi donc la poterne seulement.
– Ce serait avec grand plaisir, monsieur Chicot; mais je n'ai pas les clefs, moi.
– Et qui les a?
– L'officier de service.
Chicot soupira.
– Et où est l'officier de service? demanda-t-il.
– Oh! ne vous dérangez point pour cela. Le soldat tira une sonnette qui alla réveiller dans son poste l'officier endormi.
– Qu'y a-t-il? demanda ce dernier en passant la tête par sa lucarne.
– Mon lieutenant, c'est un monsieur qui veut qu'on lui ouvre la porte pour sortir en plaine.
– Ah! monsieur Chicot, s'écria l'officier, pardon, désolé de vous faire attendre; excusez-moi, je suis à vous, je descends.
Chicot se rongeait les ongles avec un commencement de rage.
– Mais n'en trouverai-je pas un qui ne me connaisse! c'est donc une lanterne que ce Nérac, et je suis donc la chandelle, moi!
L'officier parut sur la porte.
– Excusez, monsieur Chicot, dit-il en s'avançant en grande hâte, je dormais.
– Comment donc, monsieur, fit Chicot, mais la nuit est faite pour cela; seriez-vous assez bon pour me faire ouvrir la porte? Je ne dors pas, moi, malheureusement. Le roi… vous savez sans doute, vous aussi, que le roi me connaît?
– Je vous ai vu causer aujourd'hui avec Sa Majesté au palais.
– C'est cela, justement, grommela Chicot. Eh bien! soit, si vous m'avez vu causer avec le roi, vous ne m'avez pas entendu causer, au moins.
Читать дальше