— Tu es donc amoureux de Charlotte ?
— Moi ?… non… mais je vois clair dans le jeu de ce gredin.
— Mon cher, tu te mêles de choses délicates… et… à moins que tu n’aimes Charlotte… ?
— Non… je ne l’aime pas… mais je fais la chasse aux rastaquouères, voilà…
— Puis-je te demander ce que tu comptes faire ?
— Gifler ce gueux.
— Bon, le meilleur moyen de le faire aimer d’elle. Vous vous battrez, et soit qu’il te blesse, soit que tu le blesses, il deviendra pour elle un héros.
— Alors que ferais-tu ?
— À ta place ?
— À ma place.
— Je parlerais à la petite, en ami. Elle a grande confiance en toi. Eh bien, je lui dirais simplement, en quelques mots, ce que sont ces écumeurs de société. Tu sais très bien dire ces choses-là. Tu as de la flamme. Et je lui ferais comprendre : 1º pourquoi il s’est attaché à l’Espagnole ; 2º pourquoi il a essayé le siège de la fille du professeur Cloche ; 3º pourquoi, n’ayant pas réussi dans cette tentative, il s’efforce, en dernier lieu, de conquérir Mlle’ Charlotte Oriol.
— Pourquoi ne fais-tu pas cela, toi, qui seras son beau-frère ?
— Parce que… parce que… à cause de ce qui s’est passé entre nous… voyons… je ne peux pas.
— C’est juste. Je vais lui parler.
— Veux-tu que je te ménage un tête-à-tête tout de suite ?
— Mais oui, parbleu.
— Bon, promène-toi dix minutes, je vais enlever Louise et le Mazelli, et tu trouveras l’autre toute seule en revenant.
Paul Brétigny s’éloigna du côté des gorges d’Enval, cherchant comment il allait commencer cette conversation difficile.
Il retrouva Charlotte Oriol seule, en effet, dans le froid salon, peint à la chaux, de la demeure paternelle ; et il lui dit, en s’asseyant près d’elle :
— C’est moi, Mademoiselle, qui ai prié Gontran de me procurer cette entrevue avec vous.
Elle le regarda de ses yeux clairs :
— Pourquoi donc ?
— Oh ! Ce n’est pas pour vous conter des fadeurs à l’italienne, c’est pour vous parler en ami, en ami très dévoué qui vous doit un conseil.
— Dites.
Il prit la chose de loin, s’appuya sur son expérience à lui et sur son inexpérience à elle, pour amener tout doucement des phrases discrètes mais nettes sur les aventuriers qui cherchent partout fortune, exploitant, avec leur habileté professionnelle, tous les êtres naïfs et bons, hommes ou femmes, dont ils exploraient les bourses et les cœurs.
Elle était devenue un peu pâle et l’écoutait, sérieuse, de toutes ses oreilles.
Elle demanda :
— Je comprends et je ne comprends pas. Vous parlez de quelqu’un, de qui ?
— Je parle du Docteur Mazelli.
Alors elle baissa les yeux et demeura quelques instants sans répondre, puis d’une voix qui hésitait :
— Vous êtes si franc, que je ferai comme vous. Depuis… depuis le… depuis le mariage de ma sœur, je suis devenue un peu moins… un peu moins bête ! Eh bien, je me doutais déjà de ce que vous me dites… et je m’amusais toute seule à le voir venir.
Elle avait relevé son visage, et, dans son sourire, dans son regard fin, dans son petit nez retroussé, dans l’éclat humide et luisant de ses dents apparues entre ses lèvres, tant de grâce sincère, de malice gaie, d’espièglerie charmante apparaissaient, que Brétigny se sentit emporté vers elle par un de ces élans tumultueux qui le jetaient éperdu de passion aux pieds de la dernière aimée. Et son cœur exultait de joie, puisque Mazelli n’était point préféré. Il avait donc triomphé, lui !
Il demanda :
— Alors, vous ne l’aimez pas ?
— Qui ? Mazelli ?
— Oui.
Elle le regarda avec des yeux si chagrins qu’il se sentit bouleversé, il balbutia d’une voix suppliante :
— Eh… vous n’aimez… personne ?
Elle répondit, le regard baissé :
— Je ne sais pas… J’aime les gens qui m’aiment.
Il saisit soudain les deux mains de la jeune fille et, les baisant avec frénésie, dans une de ces secondes d’entraînement où la tête s’affole, où les mots qui sortent des lèvres viennent de la chair soulevée plus que de l’esprit égaré, il balbutia :
— Moi ! Je vous aime, ma petite Charlotte, moi, je vous aime !
Elle dégagea bien vite une de ses mains et la lui posa sur la bouche en murmurant :
— Taisez-vous… Je vous en prie, taisez-vous !… Cela me ferait trop de mal si c’était encore un mensonge.
Elle s’était dressée ; il se leva, la saisit dans ses bras, et l’embrassa avec emportement.
Un bruit subit les sépara ; le père Oriol venait d’entrer et il les regardait effaré. Puis il cria :
— Ah bougrrre ! ah bougrrre !… ah bougrrre !… de chauvage… !
Charlotte s’était sauvée ; et les deux hommes restèrent face à face.
Paul, après quelques instants de détresse, essaya de s’expliquer.
— Mon Dieu… Monsieur… je me suis conduit… il est vrai… comme un…
Mais le vieux n’écoutait pas ; la colère, une colère furieuse, le gagnait et il avançait sur Brétigny, les poings fermés, en répétant :
— Ah ! bougrrre de chauvage…
Puis, quand ils furent nez à nez, il le saisit au collet de ses deux mains noueuses de paysan. Mais l’autre, aussi grand, et fort de cette force supérieure que donne la pratique des sports, se débarrassa par une seule poussée de l’étreinte de l’Auvergnat, et le collant au mur :
— Écoutez, père Oriol, il ne s’agit pas de nous battre, mais de nous entendre. J’ai embrassé votre fille, c’est vrai… Je vous jure que c’est la première fois… et je vous jure aussi que je veux l’épouser.
Le vieux, dont la fureur physique était tombée sous le choc de son adversaire, mais dont la colère ne se calmait point, bredouillait :
— Ah ! Ch’est cha ! On vient voler cha fille, on veut chon argent… Bougrrre de trompeur…
Alors, tout ce qu’il avait sur le cœur s’échappa en paroles nombreuses et désolées. Il ne se consolait pas de la dot promise à l’aînée, de ses vignes allant aux mains de ces Parigiens. Il soupçonnait à présent la misère de Gontran, l’astuce d’Andermatt et, oubliant la fortune inespérée que le banquier lui apportait, il répandait sa bile et toute sa rancune secrète contre ces malfaisants qui ne le laissaient plus dormir en paix.
On eût dit qu’Andermatt, sa famille et ses amis, venaient chaque nuit le dévaliser, lui voler quelque chose, ses terres, ses sources et ses filles.
Et il jetait ses reproches dans la figure de Paul, l’accusant aussi d’en vouloir à son bien, d’être un fripon, de prendre Charlotte pour avoir ses champs.
L’autre, impatienté bientôt, lui cria sous le nez :
— Mais je suis plus riche que vous, nom d’un chien de vieille bourrique. Je vous en donnerais, de l’argent…
Le vieux se tut, incrédule mais attentif, et d’une voix apaisée, il recommença ses récriminations.
Paul, à présent, répondait, s’expliquait ; et, se croyant lié par cette surprise dont il était seul coupable, proposait d’épouser, sans réclamer la moindre dot.
Le père Oriol secouait sa tête et ses oreilles, faisait répéter, ne comprenait pas. Pour lui, Paul était encore un sans-le-sou, un cache-misère.
Et, comme Brétigny exaspéré lui hurlait dans le nez :
— Mais j’ai plus de cent vingt mille francs de rentes, vieux crétin. Entendez-vous ?… trois millions !
L’autre demanda tout à coup :
— L’écririez-vous, cha, chur un papier ?
— Mais oui, je l’écrirais !
— Et vous le chigneriez ?
— Mais oui, je le signerais !
— Chur un papier de notaire ?
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