Honoré de Balzac - Gobseck
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Lors d'une soirée, l'avoué Derville surprend une conversation entre la vicomtesse de Grandlieu et sa fille éprise d'un prétendant sans fortune. Afin de prévenir celle-ci d'une mauvaise aventure, l'avoué Derville raconte une histoire de jeunesse où, simple clerc, il fut témoin d'une transaction entre Gobseck, usurier hors du commun, et la comtesse de Restaud… Jean-Esther Gobseck est un virtuose dans son domaine, il pratique l'usure comme on pratique un art. Dans ce portrait d'un de ses plus puissants personnages, Balzac écrit, là, son premier chef d'oeuvre.
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– J’ai remarqué, madame, dit Derville à la vicomtesse de Grandlieu en prenant le ton d’une confidence, qu’il existe certains phénomènes moraux auxquels nous ne faisons pas assez attention dans le monde. Naturellement observateur, j’ai porté dans les affaires d’intérêt que je traite et où les passions sont si vivement mises en jeu, un esprit d’analyse involontaire. Or, j’ai toujours admiré avec une surprise nouvelle que les intentions secrètes et les idées que portent en eux deux adversaires, sont presque toujours réciproquement devinées. Il se rencontre parfois entre deux ennemis la même lucidité de raison, la même puissance de vue intellectuelle qu’entre deux amants qui lisent dans l’âme l’un de l’autre. Ainsi, quand nous fûmes tous deux en présence la comtesse et moi, je compris tout à coup la cause de l’antipathie qu’elle avait pour moi, quoiqu’elle déguisât ses sentiments sous les formes les plus gracieuses de la politesse et de l’aménité. J’étais un confident imposé, et il est impossible qu’une femme ne haïsse pas un homme devant qui elle est obligée de rougir. Quant à elle, elle devina que si j’étais l’homme en qui son mari plaçait sa confiance, il ne m’avait pas encore remis sa fortune. Notre conversation, dont je vous fais grâce, est restée dans mon souvenir comme une des luttes les plus dangereuses que j’ai subies. La comtesse, douée par la nature des qualités nécessaires pour exercer d’irrésistibles séductions, se montra tour à tour, souple, fière, caressante, confiante; elle alla même jusqu’à tenter d’allumer ma curiosité, d’éveiller l’amour dans mon cœur afin de me dominer: elle échoua. Quand je pris congé d’elle, je surpris dans ses yeux une expression de haine et de fureur qui me fit trembler. Nous nous séparâmes ennemis. Elle aurait voulu pouvoir m’anéantir, et moi je me sentais de la pitié pour elle, sentiment qui, pour certains caractères, équivaut à la plus cruelle injure. Ce sentiment perça dans les dernières considérations que je lui présentai. Je lui laissai, je crois, une profonde terreur dans l’âme en lui déclarant que, de quelque manière qu’elle pût s’y prendre, elle serait nécessairement ruinée. – Si je voyais monsieur le comte, au moins le bien de vos enfants… – Je serais à votre merci, dit-elle en m’interrompant par un geste de dégoût. Une fois les questions posées entre nous d’une manière si franche, je résolus de sauver cette famille de la misère qui l’attendait. Déterminé à commettre des illégalités judiciaires, si elles étaient nécessaires pour parvenir à mon but, voici quels furent mes préparatifs. Je fis poursuivre monsieur le comte de Restaud pour une somme due fictivement à Gobseck et j’obtins des condamnations. La comtesse cacha nécessairement cette procédure, mais j’acquérais ainsi le droit de faire apposer les scellés à la mort du comte. Je corrompis alors un des gens de la maison, et j’obtins de lui la promesse qu’au moment même où son maître serait sur le point d’expirer, il viendrait me prévenir, fût-ce au milieu de la nuit, afin que je pusse intervenir tout à coup, effrayer la comtesse en la menaçant d’une subite apposition de scellés, et sauver ainsi les contre-lettres. J’appris plus tard que cette femme étudiait le code en entendant les plaintes de son mari mourant. Quels effroyables tableaux ne présenteraient pas les âmes de ceux qui environnent les lits funèbres, si l’on pouvait en peindre les idées? Et toujours la fortune est le mobile des intrigues qui s’élaborent, des plans qui se forment, des trames qui s’ourdissent! Laissons maintenant de côté ces détails assez fastidieux de leur nature, mais qui ont pu vous permettre de deviner les douleurs de cette femme, celles de son mari, et qui vous dévoilent les secrets de quelques intérieurs semblables à celui-ci. Depuis deux mois le comte de Restaud, résigné à son sort, demeurait couché, seul, dans sa chambre. Une maladie mortelle avait lentement affaibli son corps et son esprit. En proie à ces fantaisies de malade dont la bizarrerie semble inexplicable, il s’opposait à ce qu’on appropriât son appartement, il se refusait à toute espèce de soin, et même à ce qu’on fît son lit. Cette extrême apathie s’était empreinte autour de lui: les meubles de sa chambre restaient en désordre. La poussière, les toiles d’araignées couvraient les objets les plus délicats. Jadis riche et recherché dans ses goûts, il se complaisait alors dans le triste spectacle que lui offrait cette pièce où la cheminée, le secrétaire et les chaises étaient encombrés des objets que nécessite une maladie: des fioles vides ou pleines, presque toutes sales; du linge épars, des assiettes brisées, une bassinoire ouverte devant le feu, une baignoire encore pleine d’eau minérale. Le sentiment de la destruction était exprimé dans chaque détail de ce chaos disgracieux. La mort apparaissait dans les choses avant d’envahir la personne. Le comte avait horreur du jour, les persiennes des fenêtres étaient fermées, et l’obscurité ajoutait encore à la sombre physionomie de ce triste lieu. Le malade avait considérablement maigri. Ses yeux, où la vie semblait s’être réfugiée, étaient restés brillants. La blancheur livide de son visage avait quelque chose d’horrible, que rehaussait encore la longueur extraordinaire de ses cheveux qu’il n’avait jamais voulu laisser couper, et qui descendaient en longues mèches plates le long de ses joues. Il ressemblait aux fanatiques habitants du désert. Le chagrin éteignait tous les sentiments humains en cet homme à peine âgé de cinquante ans, que tout Paris avait connu si brillant et si heureux. Au commencement du mois de décembre de l’année 1824, un matin, il regarda son fils Ernest qui était assis au pied de son lit, et qui le contemplait douloureusement. – Souffrez-vous? lui avait demandé le jeune vicomte. – Non! dit-il avec un effrayant sourire, tout est ici et autour du cœur! Et après avoir montré sa tête, il pressa ses doigts décharnés sur sa poitrine creuse, par un geste qui fit pleurer Ernest. – Pourquoi donc ne vois-je pas venir monsieur Derville? demanda-t-il à son valet de chambre qu’il croyait lui être très-attaché, mais qui était tout à fait dans les intérêts de la comtesse. – Comment, Maurice, s’écria le moribond qui se mit sur son séant et parut avoir recouvré toute sa présence d’esprit, voici sept ou huit fois que je vous envoie chez mon avoué, depuis quinze jours, et il n’est pas venu? Croyez-vous que l’on puisse se jouer de moi? Allez le chercher sur-le-champ, à l’instant, et ramenez-le. Si vous n’exécutez pas mes ordres, je me lèverai moi-même et j’irai… – Madame, dit le valet de chambre en sortant, vous avez entendu monsieur le comte, que dois-je faire? – Vous feindrez d’aller chez l’avoué, et vous reviendrez dire à monsieur que son homme d’affaires est allé à quarante lieues d’ici pour un procès important. Vous ajouterez qu’on l’attend à la fin de la semaine. – Les malades s’abusent toujours sur leur sort, pensa la comtesse, et il attendra le retour de cet homme. Le médecin avait déclaré la veille qu’il était difficile que le comte passât la journée. Quand deux heures après, le valet de chambre vint faire à son maître cette réponse désespérante, le moribond parut très-agité. – Mon Dieu! mon Dieu! répéta-t-il à plusieurs reprises, je n’ai confiance qu’en vous. Il regarda son fils pendant long-temps, et lui dit enfin d’une voix affaiblie: – Ernest, mon enfant, tu es bien jeune; mais tu as bon cœur et tu comprends sans doute la sainteté d’une promesse faite à un mourant, à un père. Te sens-tu capable de garder un secret, de l’ensevelir en toi-même de manière à ce que ta mère elle-même ne s’en doute pas? Aujourd’hui, mon fils, il ne reste que toi dans cette maison à qui je puisse me fier. Tu ne trahiras pas ma confiance? – Non, mon père. – Eh! bien, Ernest, je te remettrai, dans quelques moments, un paquet cacheté qui appartient à monsieur Derville, tu le conserveras de manière à ce que personne ne sache que tu le possèdes, tu t’échapperas de l’hôtel et tu le jetteras à la petite poste qui est au bout de la rue. – Oui, mon père. – Je puis compter sur toi? – Oui, mon père. – Viens m’embrasser. Tu me rends ainsi la mort moins amère, mon cher enfant. Dans six ou sept années, tu comprendras l’importance de ce secret, et alors, tu seras bien récompensé de ton adresse et de ta fidélité, alors tu sauras combien je t’aime. Laisse-moi seul un moment et empêche qui que ce soit d’entrer ici. Ernest sortit, et vit sa mère debout dans le salon. – Ernest, lui dit-t-elle, viens ici. Elle s’assit en prenant son fils entre ses deux genoux, et le pressant avec force sur son cœur, elle l’embrassa. – Ernest, ton père vient de te parler. – Oui, maman. – Que t’a-t-il dit? – Je ne puis pas le répéter, maman. – Oh! mon cher enfant, s’écria la comtesse en l’embrassant avec enthousiasme, combien de plaisir me fait ta discrétion! Ne jamais mentir et rester fidèle à sa parole, sont deux principes qu’il ne faut jamais oublier. – Oh! que tu es belle, maman! Tu n’as jamais menti, toi! j’en suis bien sûr. – Quelquefois, mon cher Ernest, j’ai menti. Oui, j’ai manqué à ma parole en des circonstances devant lesquelles cèdent toutes les lois. Écoute mon Ernest, tu es assez grand, assez raisonnable pour t’apercevoir que ton père me repousse, ne veut pas de mes soins, et cela n’est pas naturel, car tu sais combien je l’aime. – Oui, maman. – Mon pauvre enfant, dit la comtesse en pleurant, ce malheur est le résultat d’insinuations perfides. De méchantes gens ont cherché à me séparer de ton père, dans le but de satisfaire leur avidité. Ils veulent nous priver de notre fortune et se l’approprier. Si ton père était bien portant, la division qui existe entre nous cesserait bientôt, il m’écouterait; et comme il est bon, aimant, il reconnaîtrait son erreur; mais sa raison s’est altérée, et les préventions qu’il avait contre moi sont devenues une idée fixe, une espèce de folie, l’effet de sa maladie. La prédilection que ton père a pour toi est une nouvelle preuve du dérangement de ses facultés. Tu ne t’es jamais aperçu qu’avant sa maladie il aimât moins Pauline et Georges que toi. Tout est caprice chez lui. La tendresse qu’il te porte pourrait lui suggérer l’idée de te donner des ordres à exécuter. Si tu ne veux pas ruiner ta famille, mon cher ange, et ne pas voir ta mère mendiant son pain un jour comme une pauvresse, il faut tout lui dire… – Ah! ah! s’écria le comte, qui, ayant ouvert la porte, se montra tout à coup presque nu, déjà même aussi sec, aussi décharné qu’un squelette. Ce cri sourd produisit un effet terrible sur la comtesse, qui resta immobile et comme frappée de stupeur. Son mari était si frêle et si pâle, qu’il semblait sortir de la tombe. – Vous avez abreuvé ma vie de chagrins, et vous voulez troubler ma mort, pervertir la raison de mon fils, en faire un homme vicieux, cria-t-il d’une voix rauque. La comtesse alla se jeter au pied de ce mourant que les dernières émotions de la vie rendaient presque hideux et y versa un torrent de larmes. – Grâce! grâce! s’écria-t-elle. – Avez-vous eu de la pitié pour moi? demanda-t-il. Je vous ai laissée dévorer votre fortune, voulez-vous maintenant dévorer la mienne, ruiner mon fils! – Eh! bien, oui, pas de pitié pour moi, soyez inflexible, dit-elle, mais les enfants! Condamnez votre veuve à vivre dans un couvent, j’obéirai; je ferai pour expier mes fautes envers vous, tout ce qu’il vous plaira de m’ordonner; mais que les enfants soient heureux! Oh! les enfants! les enfants! – Je n’ai qu’un enfant, répondit le comte en tendant, par un geste désespéré, son bras décharné vers son fils. – Pardon! repentie, repentie!… criait la comtesse en embrassant les pieds humides de son mari. Les sanglots l’empêchaient de parler et des mots vagues, incohérents sortaient de son gosier brûlant. – Après ce que vous disiez à Ernest, vous osez parler de repentir! dit le moribond qui renversa la comtesse en agitant le pied. – Vous me glacez! ajouta-t-il avec une indifférence qui eut quelque chose d’effrayant. Vous avez été mauvaise fille, vous avez été mauvaise femme, vous serez mauvaise mère. La malheureuse femme tomba évanouie. Le mourant regagna son lit, s’y coucha, et perdit connaissance quelques heures après. Les prêtres vinrent lui administrer les sacrements. Il était minuit quand il expira. La scène du matin avait épuisé le reste de ses forces. J’arrivai à minuit avec le papa Gobseck. À la faveur du désordre qui régnait, nous nous introduisîmes jusque dans le petit salon qui précédait la chambre mortuaire, et où nous trouvâmes les trois enfants en pleurs, entre deux prêtres qui devaient passer la nuit près du corps. Ernest vint à moi et me dit que sa mère voulait être seule dans la chambre du comte. – N’y entrez pas, dit-il avec une expression admirable dans l’accent et le geste, elle y prie! Gobseck se mit à rire, de ce rire muet qui lui était particulier. Je me sentais trop ému par le sentiment qui éclatait sur la jeune figure d’Ernest, pour partager l’ironie de l’avare. Quand l’enfant vit que nous marchions vers la porte, il alla s’y coller en criant: – Maman, voilà des messieurs noirs qui te cherchent! Gobseck enleva l’enfant comme si c’eût été une plume, et ouvrit la porte. Quel spectacle s’offrit à nos regards! Un affreux désordre régnait dans cette chambre. Échevelée par le désespoir, les yeux étincelants, la comtesse demeura debout, interdite, au milieu de hardes, de papiers, de chiffons bouleversés. Confusion horrible à voir en présence de ce mort. À peine le comte était-il expiré, que sa femme avait forcé tous les tiroirs et le secrétaire, autour d’elle le tapis était couvert de débris, quelques meubles et plusieurs portefeuilles avaient été brisés, tout portait l’empreinte de ses mains hardies. Si d’abord ses recherches avaient été vaines, son attitude et son agitation me firent supposer qu’elle avait fini par découvrir les mystérieux papiers. Je jetai un coup-d’œil sur le lit, et avec l’instinct que nous donne l’habitude des affaires, je devinai ce qui s’était passé. Le cadavre du comte se trouvait dans la ruelle du lit, presque en travers, le nez tourné vers les matelas, dédaigneusement jeté comme une des enveloppes de papier qui étaient à terre; lui aussi n’était plus qu’une enveloppe. Ses membres raidis et inflexibles lui donnaient quelque chose de grotesquement horrible. Le mourant avait sans doute caché la contre-lettre sous son oreiller, comme pour la préserver de toute atteinte jusqu’à sa mort. La comtesse avait deviné la pensée de son mari, qui d’ailleurs semblait être écrite dans le dernier geste, dans la convulsion des doigts crochus. L’oreiller avait été jeté en bas du lit, le pied de la comtesse y était encore imprimé; à ses pieds, devant elle, je vis un papier cacheté en plusieurs endroits aux armes du comte, je le ramassai vivement et j’y lus une suscription indiquant que le contenu devait m’être remis. Je regardai fixement la comtesse avec la perspicace sévérité d’un juge qui interroge un coupable. La flamme du foyer dévorait les papiers. En nous entendant venir, la comtesse les y avait lancés en croyant, à la lecture des premières dispositions que j’avais provoquées en faveur de ses enfants, anéantir un testament qui les privait de leur fortune. Une conscience bourrelée et l’effroi involontaire inspiré par un crime à ceux qui le commettent lui avaient ôté l’usage de la réflexion. En se voyant surprise, elle voyait peut-être l’échafaud et sentait le fer rouge du bourreau. Cette femme attendait nos premiers mots en haletant, et nous regardait avec des yeux hagards. – Ah! madame, dis-je en retirant de la cheminée un fragment que le feu n’avait pas atteint, vous avez ruiné vos enfants! ces papiers étaient leurs titres de propriété. Sa bouche se remua, comme si elle allait avoir une attaque de paralysie. – Hé! hé! s’écria Gobseck dont l’exclamation nous fit l’effet du grincement produit par un flambeau de cuivre quand on le pousse sur un marbre. Après une pause, le vieillard me dit d’un ton calme: – Voudriez-vous donc faire croire à madame la comtesse que je ne suis pas le légitime propriétaire des biens que m’a vendus monsieur le comte? Cette maison m’appartient depuis un moment. Un coup de massue appliqué soudain sur ma tête m’aurait moins causé de douleur et de surprise. La comtesse remarqua le regard indécis que je jetai sur l’usurier. – Monsieur, monsieur! lui dit-elle sans trouver d’autres paroles. – Vous avez un fidéicommis? lui demandai-je. – Possible. – Abuseriez-vous donc du crime commis par madame? – Juste. Je sortis, laissant la comtesse assise auprès du lit de son mari et pleurant à chaudes larmes. Gobseck me suivit. Quand nous nous trouvâmes dans la rue, je me séparai de lui, mais il vint à moi, me lança un de ces regards profonds par lesquels il sonde les cœurs, et me dit de sa voix flûtée qui prit des tons aigus: – Tu te mêles de me juger? Depuis ce temps-là, nous nous sommes peu vus. Gobseck a loué l’hôtel du comte, il va passer les étés dans les terres, fait le seigneur, construit les fermes, répare les moulins, les chemins, et plante des arbres. Un jour je le rencontrai dans une allée aux Tuileries. – La comtesse mène une vie héroïque, lui dis-je. Elle s’est consacrée à l’éducation de ses enfants qu’elle a parfaitement élevés L’aîné est un charmant sujet… – Possible. – Mais, repris-je, ne devriez-vous pas aider Ernest? – Aider Ernest! s’écria Gobseck, non, non. Le malheur est notre plus grand maître, le malheur lui apprendra la valeur de l’argent, celle des hommes et celle des femmes. Qu’il navigue sur la mer parisienne! quand il sera devenu bon pilote, nous lui donnerons un bâtiment. Je le quittai sans vouloir m’expliquer le sens de ses paroles. Quoique monsieur de Restaud, auquel sa mère a donné de la répugnance pour moi, soit bien éloigné de me prendre pour conseil, je suis allé la semaine dernière chez Gobseck pour l’instruire de l’amour qu’Ernest porte à mademoiselle Camille en le pressant d’accomplir son mandat, puisque le jeune comte arrive à sa majorité. Le vieil escompteur était depuis long-temps au lit et souffrait de la maladie qui devait l’emporter. Il ajourna sa réponse au moment où il pourrait se lever et s’occuper d’affaires, il ne voulait sans doute ne se défaire de rien tant qu’il aurait un souffle de vie; sa réponse dilatoire n’avait pas d’autres motifs. En le trouvant beaucoup plus malade qu’il ne croyait l’être, je restai près de lui pendant assez de temps pour reconnaître les progrès d’une passion que l’âge avait convertie en une sorte de folie. Afin de n’avoir personne dans la maison qu’il habitait, il s’en était fait le principal locataire et il en laissait toutes les chambres inoccupées. Il n’y avait rien de changé dans celle où il demeurait. Les meubles, que je connaissais si bien depuis seize ans, semblaient avoir été conservés sous verre, tant ils étaient exactement les mêmes. Sa vieille et fidèle portière, mariée à un invalide qui gardait la loge quand elle montait auprès du maître, était toujours sa ménagère, sa femme de confiance, l’introducteur de quiconque le venait voir, et remplissait auprès de lui les fonctions de garde-malade. Malgré son état de faiblesse, Gobseck recevait encore lui-même ses pratiques, ses revenus, et avait si bien simplifié ses affaires qu’il lui suffisait de faire faire quelques commissions par son invalide pour les gérer au dehors. Lors du traité par lequel la France reconnut la république d’Haïti, les connaissances que possédait Gobseck sur l’état des anciennes fortunes à Saint-Domingue et sur les colons ou les ayant-cause auxquels étaient dévolues les indemnités, le firent nommer membre de la commission instituée pour liquider leurs droits et répartir les versements dus par Haïti. Le génie de Gobseck lui fit inventer une agence pour escompter les créances des colons ou de leurs héritiers, sous les noms de Werbrust et Gigonnet avec lesquels il partageait les bénéfices sans avoir besoin d’avancer son argent, car ses lumières avaient constitué sa mise de fonds. Cette agence était comme une distillerie où s’exprimaient les créances des ignorants, des incrédules, ou de ceux dont les droits pouvaient être contestés. Comme liquidateur, Gobseck savait parlementer avec les gros propriétaires qui, soit pour faire évaluer leurs droits à un taux élevé, soit pour les faire promptement admettre, lui offraient des présents proportionnés à l’importance de leurs fortunes. Ainsi les cadeaux constituaient une espèce d’escompte sur les sommes dont il lui était impossible de se rendre maître; puis, son agence lui livrait à vil prix les petites, les douteuses, et celles des gens qui préféraient un paiement immédiat, quelque minime qu’il fût, aux chances des versements incertains de la république. Gobseck fut donc l’insatiable boa de cette grande affaire. Chaque matin il recevait ses tributs et les lorgnait comme eût fait le ministre d’un nabab avant de se décider à signer une grâce. Gobseck prenait tout depuis la bourriche du pauvre diable jusqu’aux livres de bougie des gens scrupuleux, depuis la vaisselle des riches jusqu’aux tabatières d’or des spéculateurs. Personne ne savait ce que devenaient ces présents faits au vieil usurier. Tout entrait chez lui, rien n’en sortait. – Foi d’honnête femme, me disait la portière vieille connaissance à moi, je crois qu’il avale tout sans que cela le rende plus gras, car il est sec et maigre comme l’oiseau de mon horloge. Enfin, lundi dernier, Gobseck m’envoya chercher par l’invalide, qui me dit en entrant dans mon cabinet: – Venez vite, monsieur Derville, le patron va rendre ses derniers comptes; il a jauni comme un citron, il est impatient de vous parler, la mort le travaille, et son dernier hoquet lui grouille dans le gosier. Quand j’entrai dans la chambre du moribond, je le surpris à genoux devant sa cheminée où, s’il n’y avait pas de feu, il se trouvait un énorme monceau de cendres. Gobseck s’y était traîné de son lit, mais les forces pour revenir se coucher lui manquaient, aussi bien que la voix pour se plaindre. – Mon vieil ami, lui dis-je en le relevant et l’aidant à regagner son lit, vous aviez froid, comment ne faites-vous pas de feu? – Je n’ai point froid, dit-il, pas de feu! pas de feu! Je vais je ne sais où, garçon, reprit-il en me jetant un dernier regard blanc et sans chaleur, mais je m’en vais d’ici! J’ai la carphologie , dit-il en se servant d’un terme qui annonçait combien son intelligence était encore nette et précise. J’ai cru voir ma chambre pleine d’or vivant et je me suis levé pour en prendre. À qui tout le mien ira-t-il? Je ne le donne pas au gouvernement, j’ai fait un testament, trouve-le, Grotius. La Belle Hollandaise avait une fille que j’ai vue je ne sais où, dans la rue Vivienne, un soir. Je crois qu’elle est surnommée la Torpille , elle est jolie comme un amour, cherche-la, Grotius? Tu es mon exécuteur testamentaire, prends ce que tu voudras, mange: il y a des pâtés de foie gras, des balles de café, des sucres, des cuillers d’or. Donne le service d’Odiot à ta femme. Mais à qui les diamants? Prises-tu, garçon? j’ai des tabacs, vends-les à Hambourg, ils gagnent un demi . Enfin j’ai de tout et il faut tout quitter! Allons, papa Gobseck, se dit-il, pas de faiblesse, sois toi-même. Il se dressa sur son séant, sa figure se dessina nettement sur son oreiller comme si elle eût été de bronze, il étendit son bras sec et sa main osseuse sur sa couverture qu’il serra comme pour se retenir, il regarda son foyer, froid autant que l’était son œil métallique, et il mourut avec toute sa raison, en offrant à la portière, à l’invalide et à moi, l’image de ces vieux Romains attentifs que Lethière a peints derrière les Consuls, dans son tableau de la mort des Enfants de Brutus. – A-t-il du toupet, le vieux Lascar! me dit l’invalide dans son langage soldatesque. Moi j’écoutais encore la fantastique énumération que le moribond avait faite de ses richesses, et mon regard qui avait suivi le sien restait sur le monceau de cendres dont la grosseur me frappa. Je pris les pincettes, et quand je les y plongeai, je frappai sur un amas d’or et d’argent, composé: sans doute des recettes faites pendant sa maladie et que sa faiblesse l’avait empêché de cacher ou que sa défiance ne lui avait pas permis d’envoyer à la Banque. – Courez chez le juge de paix, dis-je au vieil invalide, afin que les scellés soient promptement apposés ici! Frappé des dernières paroles de Gobseck, et de ce que m’avait récemment dit la portière, je pris les clefs des chambres situées au premier et au second étages pour les aller visiter. Dans la première pièce que j’ouvris j’eus l’explication des discours que je croyais insensés, en voyant les effets d’une avarice à laquelle il n’était plus resté que cet instinct illogique dont tant d’exemples nous sont offerts par les avares de province. Dans la chambre voisine de celle où Gobseck était expiré, se trouvaient des pâtés pourris, une foule de comestibles de tout genre et même des coquillages, des poissons qui avaient de la barbe et dont les diverses puanteurs faillirent m’asphyxier. Partout fourmillaient des vers et des insectes. Ces présents récemment faits étaient mêlés à des boîtes de toutes formes, à des caisses de thé, à des balles de café. Sur la cheminée, dans une soupière d’argent étaient des avis d’arrivage de marchandises consignées en son nom au Havre, balles de coton, boucauts de sucre, tonneaux de rhum, cafés, indigos, tabacs, tout un bazar de denrées coloniales! Cette pièce était encombrée de meubles, d’argenterie, de lampes, de tableaux, de vases, de livres, de belles gravures roulées, sans cadres, et de curiosités. Peut-être cette immense quantité de valeurs ne provenait pas entièrement de cadeaux et constituait des gages qui lui étaient restés faute de paiement. Je vis des écrins armoriés ou chiffrés, des services en beau linge, des armes précieuses, mais sans étiquettes. En ouvrant un livre qui me semblait avoir été déplacé, j’y trouvai des billets de mille francs. Je me promis de bien visiter les moindres choses, de sonder les planchers, les plafonds, les corniches et les murs afin de trouver tout cet or dont était si passionnément avide ce Hollandais digne du pinceau de Rembrandt. Je n’ai jamais vu, dans le cours de ma vie judiciaire, pareils effets d’avarice et d’originalité. Quand je revins dans sa chambre, je trouvai sur son bureau la raison du pêle-mêle progressif et de l’entassement de ces richesses. Il y avait sous un serre-papier une correspondance entre Gobseck et les marchands auxquels il vendait sans doute habituellement ses présents. Or, soit que ces gens eussent été victimes de l’habileté de Gobseck, soit que Gobseck voulût un trop grand prix de ses denrées ou de ses valeurs fabriquées, chaque marché se trouvait en suspens. Il n’avait pas vendu les comestibles à Chevet, parce que Chevet ne voulait les reprendre qu’à trente pour cent de perte. Gobseck chicanait pour quelques francs de différence, et pendant la discussion les marchandises s’avariaient. Pour son argenterie, il refusait de payer les frais de la livraison. Pour ses cafés, il ne voulait pas garantir les déchets. Enfin chaque objet donnait lieu à des contestations qui dénotaient en Gobseck les premiers symptômes de cet enfantillage, de cet entêtement incompréhensible auxquels arrivent tous les vieillards chez lesquels une passion forte survit à l’intelligence. Je me dis, comme il se l’était dit à lui-même: – À qui toutes ces richesses iront-elles?… En pensant au bizarre renseignement qu’il m’avait fourni sur sa seule héritière, je me vois obligé de fouiller toutes les maisons suspectes de Paris pour y jeter à quelque mauvaise femme une immense fortune. Avant tout, sachez que, par des actes en bonne forme, le comte Ernest de Restaud sera sous peu de jours mis en possession d’une fortune qui lui permet d’épouser mademoiselle Camille, tout en constituant à la comtesse de Restaud sa mère, à son frère et à sa sœur, des dots et des parts suffisantes.
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