– Je ferai de mon mieux.
– Ah! écoutez encore. Choisissez un poignard dont la coquille soit solide; cela est fort utile pour parer. Voyez-vous cette cicatrice à ma main gauche? c’est pour être sorti un jour sans poignard. Le jeune Tallard et moi nous eûmes querelle, et, faute de poignard, je pensai perdre la main gauche.
– Et fut-il blessé? demanda Mergy d’un air distrait.
– Je le tuai, grâce à un vœu que je fis à monseigneur saint Maurice, mon patron. Ayez aussi du linge et de la charpie sur vous, cela ne peut pas nuire. On n’est pas toujours tué tout roide. Vous ferez bien aussi de faire mettre votre épée sur l’autel pendant la messe… Mais vous êtes protestant… Encore un mot. Ne vous faites pas un point d’honneur de ne pas rompre; au contraire, faites-le marcher; il manque d’haleine, essoufflez-le, et, quand vous trouverez votre belle, une bonne estocade dans la poitrine et votre homme est à bas.
Il aurait continué encore longtemps à donner d’aussi bons conseils, si un grand bruit de cors qui se fit entendre n’eût annoncé que le roi allait monter à cheval. La porte de l’appartement de la reine s’ouvrit, et Leurs Majestés, en costume de chasse, se dirigèrent vers le perron.
Le capitaine George, qui venait de quitter sa dame, revint à son frère, et, lui frappant sur l’épaule, lui dit d’un air joyeux:
– Par la messe, tu es un heureux vaurien! Voyez-vous ce beau fils avec sa moustache de chat? il n’a qu’à se montrer, et voilà toutes les femmes folles de lui. Sais-tu que la belle comtesse vient de me parler de toi pendant un quart d’heure? Allons, courage! Pendant la chasse, galope toujours à côté d’elle, et sois le plus galant que tu pourras. Mais que diable as-tu? on dirait que tu es malade; tu as la mine plus longue qu’un ministre qu’on va brûler. Allons, morbleu, de la gaieté!
– Je n’ai pas grande envie d’aller à la chasse, et je voudrais…
– Si vous ne suivez pas la chasse, dit tout bas le baron de Vaudreuil, Comminges croira que vous avez peur de le rencontrer.
– Allons, dit Mergy en passant la main sur son front brûlant.
Il jugea qu’il valait mieux attendre la fin de la chasse pour confier son aventure à son frère.
– Quelle honte! pensa-t-il, si madame de Turgis croyait que j’ai peur… si elle pensait que l’idée d’un duel prochain m’empêche de prendre plaisir à la chasse!
Un grand nombre de dames et de gentilshommes richement habillés, montés sur des chevaux superbes, s’agitaient en tout sens dans la cour du château. Le son des trompes, les cris des chiens, les bruyantes plaisanteries des cavaliers, formaient un vacarme délicieux pour les oreilles d’un chasseur, et exécrable pour toute autre oreille humaine.
Mergy suivit machinalement son frère dans la cour, et, sans savoir comment, il se trouva près de la belle comtesse, déjà masquée et montée sur un andalous fougueux qui frappait la terre du pied et mâchait son mors avec impatience; mais, sur ce cheval qui aurait occupé toute l’attention d’un cavalier ordinaire, elle semblait aussi à son aise qu’assise sur un fauteuil dans son appartement.
Le capitaine s’approcha, sous prétexte de resserrer la gourmette de l’andalous.
– Voici mon frère, dit-il à l’amazone à demi-voix, mais assez haut cependant pour être entendu de Mergy. Traitez doucement le pauvre garçon; il en a dans l’aile depuis un certain jour qu’il vous a vue au Louvre.
– J’ai déjà oublié son nom, répondit-elle assez brusquement. Comment s’appelle-t-il?
– Bernard. Remarquez-vous, Madame, que son écharpe est de la même couleur que vos rubans?
– Sait-il monter à cheval?
– Vous en jugerez.
Il la salua, et courut auprès d’une fille d’honneur de la reine, à laquelle il rendait des soins depuis quelque temps. À demi penché sur l’arçon de sa selle, et la main sur la bride du cheval de la dame, il oublia bientôt son frère et sa belle et fière compagne.
– Vous connaissez donc Comminges, monsieur de Mergy? demanda madame de Turgis.
– Moi, Madame?… fort peu, répondit-il en balbutiant.
– Mais vous lui parliez tout à l’heure!
– C’était pour la première fois.
– Je crois avoir deviné ce que vous lui avez dit.
Et sous son masque, ses yeux semblaient vouloir lire jusqu’au fond de l’âme de Mergy.
Une dame, en abordant la comtesse, interrompit leur entretien, à la grande satisfaction de Mergy, qu’il embarrassait prodigieusement. Toutefois il continua de suivre la comtesse sans trop savoir pourquoi; peut-être espérait-il causer ainsi quelque peine à Comminges, qui l’observait de loin.
On sortit du château. Un cerf fut lancé, et s’enfonça dans les bois; toute la chasse le suivit, et Mergy observa, non sans quelque étonnement, l’adresse de madame de Turgis à manier son cheval, et l’intrépidité avec laquelle elle lui faisait franchir tous les obstacles qui se présentaient sur son passage. Mergy dut à la bonté du barbe qu’il montait de ne pas se séparer d’elle; mais, à sa grande mortification, le comte de Comminges, aussi bien monté que lui, l’accompagnait aussi, et malgré la rapidité d’un galop impétueux, malgré l’attention toute particulière qu’il mettait à la chasse, il parlait souvent à l’amazone, tandis que Mergy enviait en silence sa légèreté, son insouciance, et surtout, son talent de dire des riens agréables, qui, à en juger par le déplaisir qu’il en ressentait, devaient amuser la comtesse. Au reste, les deux rivaux, animés d’une noble émulation, ne trouvaient pas de palissades assez hautes, pas de fossés assez larges pour les arrêter, et vingt fois ils risquèrent de se rompre le cou.
Tout d’un coup la comtesse, se séparant du gros de la chasse, entra dans une allée du bois faisant un angle avec celle où le roi et sa suite s’étaient engagés.
– Que faites-vous? s’écria Comminges; vous perdez la voie; n’entendez-vous point de ce côté les cors et les chiens?
– Eh bien! prenez l’autre allée; qui vous arrête?
Comminges ne répondit rien et la suivit. Mergy fit de même, et, quand ils se furent enfoncés dans l’allée de quelque cent pas, la comtesse ralentit l’allure de son cheval. Comminges à sa droite et Mergy à sa gauche l’imitèrent aussitôt.
– Vous avez là un bon cheval de bataille, monsieur de Mergy, dit Comminges; on ne lui voit pas une goutte de sueur.
– C’est un barbe qu’un Espagnol a vendu à mon frère. Voici la marque d’un coup d’épée qu’il a reçu à Moncontour.
– Avez-vous fait la guerre? demanda la comtesse à Mergy.
– Non, Madame.
– Ainsi, vous n’avez jamais reçu d’arquebusade?
– Non, Madame.
– Ni de coup d’épée?
– Non plus.
Mergy crut s’apercevoir qu’elle souriait. Comminges relevait sa moustache d’un air goguenard.
– Rien ne sied mieux à un jeune gentilhomme, dit-il, qu’une belle blessure; qu’en dites-vous, Madame?
– Oui, si elle est bien gagnée.
– Qu’entendez-vous par bien gagnée?
– Oui, une blessure est glorieuse, gagnée sur un champ de bataille; mais dans un duel ce n’est plus de même; je ne connais rien de plus méprisable.
– Mr de Mergy, je le présume, vous a parlé avant de monter à cheval?
– Non, dit sèchement la comtesse.
Mergy conduisit son cheval auprès de Comminges:
– Monsieur, lui dit-il tout bas, aussitôt que nous aurons rejoint la chasse nous pourrons entrer dans un haut taillis, et là je prouverai, j’espère, que je ne voudrais rien faire pour éviter votre rencontre.
Comminges le regarda d’un air où se peignait un mélange de pitié et de plaisir.
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