Жорж Санд - Consuelo
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dire, vous! puisque moi qui lis dans ma propre conscience, je n'y vois
rien qui me donne la clef de ce mystère. Oh! c'est un prodige
inconcevable! Ma mère croyait à la puissance des philtres: cette Corilla
serait-elle une magicienne?
--Pauvre enfant! dit le maestro; il y a bien ici une magicienne, mais
elle s'appelle Vanité; il y a bien un poison, mais il s'appelle Envie.
La Corilla a pu le verser; mais ce n'est pas elle qui a pétri cette âme
si propre à le recevoir. Le venin coulait déjà dans les veines impures
d'Anzoleto. Une dose de plus l'a rendu traître, de fourbe qu'il était;
infidèle, d'ingrat qu'il a toujours été.
--Quelle vanité? quelle envie?
--La vanité de surpasser tous les autres, l'envie de te surpasser, la
rage d'être surpassé par toi.
--Cela est-il croyable? Un homme peut-il être jaloux des avantages d'une
femme? Un amant peut-il haïr le succès de son amante? Il y a donc bien
des choses que je ne sais pas, et que je ne puis pas comprendre!
--Tu ne les comprendras jamais; mais tu les constateras à toute heure de
ta vie. Tu sauras qu'un homme peut être jaloux des avantages d'une
femme, quand cet homme est un artiste vaniteux; et qu'un amant peut haïr
les succès de son amante, quand le théâtre est le milieu où ils vivent.
C'est qu'un comédien n'est pas un homme, Consuelo; c'est une femme. Il
ne vit que de vanité maladive; il ne songe qu'à satisfaire sa vanité; il
ne travaille que pour s'enivrer de vanité. La beauté d'une femme lui
fait du tort. Le talent d'une femme efface ou conteste le sien. Une
femme est son rival, ou plutôt il est la rivale d'une femme; il a toutes
les petitesses, tous les caprices, toutes les exigences, tous les
ridicules d'une coquette. Voilà le caractère de la plupart des hommes de
théâtre. Il y a de grandes exceptions; elles sont si rares, elles sont
si méritoires, qu'il faut se prosterner devant elles; et leur faire plus
d'honneur qu'aux docteurs les plus sages. Anzoleto n'est point une
exception; parmi les vaniteux, c'est un des plus vaniteux: voilà tout le
secret de sa conduite.
--Mais quelle vengeance incompréhensible! mais quels moyens pauvres et
inefficaces! En quoi la Corilla peut-elle le dédommager de ses mécomptes
auprès du public? S'il m'eut dit franchement sa souffrance ... (Ah! il ne
fallait qu'un mot pour cela!) je l'aurais comprise, peut-être; du moins
j'y aurais compati; je me serais effacée pour lui faire place.
--Le propre des âmes envieuses est de haïr les gens en raison du bonheur
qu'ils leur dérobent. Et le propre de l'amour, hélas! n'est-il pas de
détester, dans l'objet qu'on aime, les plaisirs qu'on ne lui procure
pas? Tandis que ton amant abhorre le public qui te comble de gloire, ne
hais-tu pas la rivale qui l'enivre de plaisirs?
--Vous dites là, mon maître, une chose profonde et à laquelle je veux
réfléchir.
--C'est une chose vraie. En même temps qu'Anzoleto te hait pour ton
bonheur sur la scène, tu le hais pour ses voluptés dans le boudoir de la
Corilla.
--Cela n'est pas. Je ne saurais le haïr, et vous me faites comprendre
qu'il serait lâche et honteux de haïr ma rivale. Reste donc ce plaisir
dont elle l'enivre et auquel je ne puis songer sans frémir. Mais
pourquoi? je l'ignore. Si c'est un crime involontaire, Anzoleto n'est
donc pas si coupable de haïr mon triomphe.
--Tu es prompte à interpréter les choses de manière à excuser sa
conduite et ses sentiments. Non, Anzoleto n'est pas innocent et
respectable comme toi dans sa souffrance. Il te trompe, il t'avilit,
tandis que tu t'efforces de le réhabiliter. Au reste, ce n'est pas la
haine et le ressentiment que j'ai voulu t'inspirer; c'est le calme et
l'indifférence. Le caractère de cet homme entraîne les actions de sa
vie. Jamais tu ne le changeras. Prends ton parti, et songe à toi-même.
--A moi-même! c'est-à-dire à moi seule? à moi sans espoir et sans amour?
--Songe à la musique, à l'art divin, Consuelo; oserais-tu dire que tu ne
l'aimes que pour Anzoleto?
--J'ai aimé l'art pour lui-même aussi; mais je n'avais jamais séparé
dans ma pensée ces deux choses indivisibles: ma vie et celle d'Anzoleto.
Et je ne vois pas comment il restera quelque chose de moi pour aimer
quelque chose, quand la moitié nécessaire de ma vie me sera enlevée.
--Anzoleto n'était pour toi qu'une idée, et cette idée te faisait vivre.
Tu la remplaceras par une idée plus grande, plus pure et plus
vivifiante. Ton âme, ton génie, ton être enfin ne sera plus à la merci
d'une forme fragile et trompeuse; tu contempleras l'idéal sublime
dépouillé de ce voile terrestre; tu t'élanceras dans le ciel, et tu
vivras d'un hymen sacré avec Dieu même.
--Voulez-vous dire que je me ferai religieuse, comme vous m'y avez
engagée autrefois?
--Non, ce serait borner l'exercice de tes facultés d'artiste à un seul
genre, et tu dois les embrasser tous. Quoi que tu fasses et où que tu
sois, au théâtre comme dans le cloître, tu peux être une sainte, une
vierge céleste, la fiancée de l'idéal sacré.
--Ce que vous dites présente un sens sublime entouré de figures
mystérieuses. Laissez-moi me retirer, mon maître. J'ai besoin de me
recueillir et de me connaître.
--Tu as dit |e mot, Consuelo, tu as besoin de te connaître. Jusqu'ici tu
t'es méconnue en livrant ton âme et ton avenir à un être inférieur à toi
dans tous les sens. Tu as méconnu ta destinée, en ne voyant pas que tu
es née sans égal, et par conséquent sans associé possible en ce monde.
Il te faut la solitude, la liberté absolue. Je ne te veux ni mari, ni
amant, ni famille, ni passions, ni liens d'aucune sorte. C'est ainsi que
j'ai toujours conçu ton existence et compris ta carrière. Le jour où tu
te donneras à un mortel, tu perdras ta divinité. Ah! si la Minotaure et
la Mollendo, mes illustres élèves, mes puissantes créations, avaient
voulu me croire, elles auraient vécu sans rivales sur la terre. Mais la
femme est faible et curieuse; la vanité l'aveugle, de vains désirs
l'agitent, le caprice l'entraîne. Qu'ont-elles recueilli de leur
inquiétude satisfaite? des orages, de la fatigue, la perte ou
l'altération de leur génie. Ne voudras-tu pas être plus qu'elles,
Consuelo? n'auras-tu pas une ambition supérieure à tous les faux biens
de cette vie? ne voudras-tu pas éteindre les vains besoins de ton coeur
pour saisir la plus belle couronne qui ait jamais servi d'auréole au
génie?»
Le Porpora parla encore longtemps, mais avec une énergie et une
éloquence que je ne saurais vous rendre. Consuelo l'écouta, la tête
penchée et les yeux attachés à la terre. Quand il eut tout dit: «Mon
maître, lui répondit-elle, vous êtes grand; mais je ne le suis pas assez
pour vous comprendre. Il me semble que vous outragez la nature humaine
en proscrivant ses plus nobles passions. Il me semble que vous étouffez
les instincts que Dieu même nous a donnés, pour faire une sorte de
déification d'un égoïsme monstrueux et antihumain. Peut-être vous
comprendrais-je mieux si j'étais plus chrétienne: je tâcherai de le
devenir; voilà ce que je puis vous promettre.»
Elle se retira tranquille en apparence, mais dévorée au fond de l'âme.
Le grand et sauvage artiste la reconduisit jusque chez elle,
l'endoctrinant toujours, sans pouvoir la convaincre. Il lui fit du bien
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