Quelques semaines après, l’auteur de cette lettre, sa femme, ses enfants, sa sœur et sa belle-mère s’embarquaient pour l’Afrique; et si nous ne sommes trompés, le monde aura plus tard de leurs nouvelles.
Nous n’avons rien de particulier à dire des autres personnes dont nous avons entretenu le lecteur. Un mot seulement sur Topsy et miss Ophélia; et un chapitre d’adieu à notre ami George Shelby.
Miss Ophélia emmena Topsy avec elle dans l’État de Vermont, à l’inexprimable surprise du corps réfléchi, solennel, des gens sérieux qui, à la Nouvelle-Angleterre, s’appellent exclusivement notre monde . Cette addition à l’établissement si bien ordonné jusqu’alors de la famille, parut «à notre monde» des plus inopportunes et tout à fait bizarre. Mais les efforts de miss Ophélia pour remplir son devoir envers son élève étaient trop zélés, trop persévérants, pour ne pas devenir efficaces. Bientôt l’enfant, qui croissait rapidement en grâce et en sagesse, se fit bien venir, et dans la maison, et dans les familles du voisinage. Devenue une intelligente jeune fille, elle demanda et obtint le baptême, et, comme membre de l’Église chrétienne, montra tant d’activité, de zèle, d’ardeur, à se rendre utile, de désir de faire un peu de bien en ce monde, qu’enfin, recommandée, choisie, approuvée, elle fut envoyée comme missionnaire à l’une des stations d’Afrique. Là, comme nous l’avons appris, l’activité turbulente, l’intelligence désordonnée qui avaient rendu son enfance à elle-même si fatigante, ne lui sont point inutiles maintenant. Elle applique ces facultés régularisées, de la façon la plus heureuse et la plus salutaire, à l’éducation des enfants de sa race.
P. S, Quelques mères apprendront avec plaisir que les recherches provoquées par madame de Thoux, pour découvrir le fils de Cassy, ont eu un résultat favorable. Ce jeune homme, doué d’une nature énergique, était parvenu, quelques années avant sa mère, à s’échapper; il fut reçu et élevé dans le Nord, par les amis des opprimés, et il est allé rejoindre sa famille en Afrique.
Le libérateur.
George Shelby écrivit quelques lignes à sa mère pour lui annoncer son retour. Il n’y parlait point de la mort de son pauvre vieil ami, car le cœur lui défaillait dès qu’il abordait ce triste sujet. Il s’y était repris à plusieurs fois, mais, étouffé par ses sanglots, il déchirait le papier, s’essuyait les yeux, et courait chercher ailleurs un peu de calme.
Toute la «grande maison» était en rumeur ce jour-là: on attendait massa Georgie. Madame Shelby s’établit au salon, où un pétillant feu de bois dissipait les froides brumes d’un soir d’automne. Le couvert, resplendissant d’argenterie et de cristaux, avait été mis pour le souper sous l’inspection de notre ancienne amie, tante Chloé.
Parée d’une robe de cotonnade neuve, d’un tablier blanc, et d’un haut turban bien empesé, sa face noire et luisante rayonnant de satisfaction, Chloé mettait la dernière main aux arrangements de la table, avec une minutieuse ponctualité, qui lui servait aussi de prétexte pour rester et causer un peu avec «maîtresse.»
«Là! à présent que tout est en place, dit-elle, semblera-t-il pas à massa Géorgie avoir pas bougé? voilà son assiette juste où il la lui faut, – pas loin du feu, massa Géorgie aimer bien toujours une bonne place chaude. Oh! y a qu’à me laisser faire! Pourquoi donc que Sally a pas tiré la belle théière, – la neuve, que massa Georgie a donnée à maîtresse, pour Noël? m’en vais la chercher, moi. – Maîtresse a eu des nouvelles de massa? dit-elle d’un ton interrogateur.
– Oui, Chloé, une ligne ou deux, rien que pour dire qu’il sera ici ce soir, s’il le peut; – c’est tout.
– Et massa pas dire un petit mot de mon vieux? – rien? demanda-t-elle, s’affairant autour des tasses.
– Non, il n’en parle pas, Chloé, et dit seulement qu’il nous racontera tout à son retour.
– Bien pareil à massa Georgie, ça! Petit garçon, lui vouloir toujours dire les choses lui-même. Oh! moi, bien connaître massa Georgie! De fait, je sais pas pourquoi les blancs font comme ça un tas d’écritures; – c’est une façon de besogne si longue et si malaisée!»
Madame Shelby sourit.
«Bien sûr, mon vieux reconnaîtra pas les garçons, ni la petite mignonne non plus. – Seigneur! Polly est une grande fille à présent, et une bonne fille, point trop manchote. Elle est restée à la case pour veiller au gâteau, tout juste le pareil de celui que mon vieux aimait tant! le même que je lui avais fait le jour qu’on l’a emmené! Le Seigneur nous bénisse! je savais pas où j’en étais ce matin-là!»
Madame Shelby soupira: ce souvenir lui tombait comme un poids sur le cœur. Depuis qu’elle avait reçu la lettre de son fils, elle éprouvait une inquiétude vague; elle craignait que son silence ne cachât quelque mauvaise nouvelle.
«Maîtresse a bien les billets? demanda Chloé avec anxiété.
– Oui, Chloé.
– C’est que je voudrais faire voir à mon vieux les vrais billets que ce confesseur de là-bas m’a donnés. «Chloé, qu’i’ m’a dit, je suis fâché que vous restiez pas plus longtemps.» – Merci, maît’, que je lui réponds; c’est pas possib’, parc’ que mon vieux va revenir, et que maîtresse peut pas se passer de moi davantage. Voilà tout juste comme j’ai dit. Un homme bien juste et très comme il faut, M. Jones.»
Chloé avait demandé avec instance que les mêmes billets de banque, qui lui avaient été payés comme gages, fussent conservés pour être montrés à son mari, en preuve de sa capacité, et madame Shelby y avait consenti de grand cœur.
«Oh! il ne pourra jamais reconnaître Polly, mon vieux! il la reconnaîtra pas, c’est sûr. – Seigneur! dire qu’il y a cinq ans qu’ils l’ont emmené! La petiote pouvait quasiment pas se tenir sur ses pieds. Je me rappelle comme il était toujours en sursaut, de peur qu’elle tombât, quand elle commençait à marcher! i semble que ce soit hier.»
Le bruit des roues se fit entendre.
«Massa Georgie!» dit Chloé, se précipitant à la fenêtre.
Madame Shelby courut à la porte d’entrée, où son fils la serra dans ses bras. Tante Chloé demeurait immobile, s’efforçant de toute la puissance de ses yeux de découvrir quelqu’un dans l’obscurité.
«Oh! pauvre tante Chloé! dit George avec émotion, en s’arrêtant près d’elle, et serrant sa main rude et noire entre les siennes, j’aurais donné tout – tout ce que je possède pour le ramener avec moi; mais il est parti, – il est allé dans un meilleur monde.»
Madame Shelby poussa une exclamation de douleur, mais Chloé ne dit rien.
Ils entrèrent au salon. L’argent dont Chloé était si fière était étalé sur la table.
Elle le réunit, le tendit d’une main tremblante à sa maîtresse. «Là, dit-elle, je veux plus jamais le voir, ni en entendre parler. Je savais comment ça finirait: – vendu et assassiné là-bas sur ces abominables plantations!»
Chloé se détourna, et se dirigea orgueilleusement vers la porte. Madame Shelby la suivit, prit une de ses mains, l’attira doucement sur une chaise, et s’assit près d’elle:
«Ma pauvre bonne Chloé!»
La fidèle créature pencha sa tête sur l’épaule de sa maîtresse et sanglota: «Oh! excusez, maîtresse, pauv’ cœur à moi est fendu! – C’est tout!
– Je le sais, dit madame Shelby, dont les larmes tombaient pressées. Je ne puis le guérir, mais Jésus le peut, lui: il cicatrise les cœurs brisés et panse leurs plaies.»
Il y eut un long silence; tous pleuraient ensemble. Enfin, George, assis près de la pauvre affligée, lui conta, avec une émouvante simplicité, la glorieuse mort de son mari, et lui répéta ses tendres et dernières paroles.
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