– Comment, me réhabiliter? Moi, un innocent?
– Est-ce convenu?
– Jamais de la vie! Un innocent n’a pas à se réhabiliter!
– Si vous ne suivez pas mon conseil, Blaireau, je ne réponds pas de ce qui arrivera.
– Qu’est-ce qui arrivera?
– Vous le verrez bien, et peut-être alors il sera trop tard, entêté!
– Diable, diable, me voilà bien embarrassé.
Blaireau se mit à gratter son pauvre crâne perplexe. Un gardien annonça la présence d’un monsieur qui souhaitait obtenir de M. le directeur l’autorisation de visiter M. Blaireau.
Ce monsieur n’était autre que notre vieille connaissance, le baron de Hautpertuis, qui venait voir la malheureuse victime et s’entendre avec elle sur les détails de la fête en son honneur et à son profit.
– Un baron, fit Blaireau, mazette!
– Faites entrer ce monsieur, commanda le directeur.
– Est-ce qu’il n’aurait pas renoncé à cette idée saugrenue? grommelait Dubenoît. Car ce n’est pas assez des révolutionnaires, il faut que les nobles s’en mêlent maintenant, de troubler l’ordre. Quelle époque, mon Dieu, quelle époque!
En tenue élégante, mais sobre, sans fleur à la boutonnière (on ne doit pas porter de fleurs dans les visites aux détenus),
M. le baron de Hautpertuis se présenta et salua d’un style aisé mais sévère, ainsi que le comportaient les circonstances.
Dans lequel, de glorieuse qu’elle était déjà, la situation de Blaireau s’annonce, ce qui ne gâte rien, comme des plus rémunératrices.
En quelques mots, Blaireau fut au courant des choses.
De concert avec la plus brillante jeunesse de Montpaillard,
M. le baron de Hautpertuis préparait une splendide fête au bénéfice de l’infortuné Blaireau, une fête qui serait l’événement de la saison.
– Une fête pour moi!
– Oui, une fête pour vous, mon cher monsieur… comment déjà?
– Blaireau… je m’appelle Blaireau. vous savez bien: l’Affaire Blaireau!
– Parfaitement, je me souviens. Oui, monsieur Blaireau, nous sommes en train de vous organiser quelque chose de soigné, une splendide fête dont vous serez le héros!
– Le héros! je serai le héros!
Blaireau se redressait: il y a un quart d’heure, il était promu porte-drapeau des persécutés et voici qu’il devenait héros, maintenant! Héros d’une fête organisée par un baron!
Allons, les choses prenaient une bonne tournure!
Après la gloire, l’argent!
M. Dubenoît, lui, s’attristait de plus en plus, en voyant l’ordre à Montpaillard décidément compromis.
Il fit une dernière tentative:
– Ne croyez-vous pas, monsieur le baron, qu’une bonne place de jardinier ne serait pas préférable pour ce garçon-là?
Blaireau eut une grimace:
– Euh! Une bonne place de jardinier Elles sont bien rares, vous savez, les bonnes places de jardinier
– Et puis, ajouta le baron, il sera toujours temps de lui chercher une place après la fête, quand ce malheureux aura touché le produit de cette belle manifestation de la charité publique.
Blaireau ouvrait des yeux énormes et des oreilles non moindres:
– Alors c’est moi qui toucherai, monsieur le baron? Je toucherai… tout?
– Oui, mon ami, vous toucherez tout, moins les frais insignifiants et quelques menues dépenses de la fête.
– Bien entendu… Et à combien croyez-vous que ça puisse se monter, la recette, à peu près?
– Oui, ricana M. le maire, à combien croyez-vous que ça puisse se monter?
– Dame.., je ne sais pas trop, moi.
– Eh bien! mon cher baron, permettez-moi de vous dire qu’une fête dans le genre de celle-là ne rapporterait pas vingt francs, à Montpaillard.
– Vingt francs? vous badinez!
– C’est que Montpaillard n’est pas une ville riche, monsieur le baron.
– Vous disiez hier qu’il n’y avait pas de pauvres dans votre commune?
– Il n’y a pas de pauvres, c’est vrai, mais il n’y a pas de riches non plus. Montpaillard, monsieur le baron, est composé de gens aisés (s’animant), tranquilles! (se promenant avec agitation), paisibles! (faisant des gestes). Des gens qui repousseront avec la dernière violence les innovations parisiennes dont la capitale cherche à empoisonner la province, soit dit sans vous offenser, monsieur le baron!
– Je ne m’offense pas, monsieur le maire, je m’étonne simplement.
– Tenez, je vous parie cinq cents francs que votre fête n’en rapportera pas deux cents.
– Je les tiens. voilà vingt-cinq louis de plus dans la caisse de Blaireau. Blaireau, vous pouvez remercier M. Dubenoît.
– C’est la première fois, dit Blaireau, que M, le maire est tant soit peu gentil pour moi. Merci bien, monsieur le maire!
– Il n’y a pas de quoi, mon garçon, vous le verrez bientôt, car cette fameuse fête sera une immense veste.
M, de Hautpertuis fut piqué au vif.
– Mon cher monsieur Dubenoît, j’ai organisé dans ma vie soixante et onze fêtes de charité à la suite de catastrophes diverses. J’ai sauvé de la misère des Péruviens, des Turcs, des Portugais, des Chinois, des Moldo-Valaques, des Égyptiens… Il serait plaisant que je ne réussisse pas, la première fois que j’organise une fête au bénéfice d’un compatriote.
– Si vous connaissiez Montpaillard, vous ne parleriez pas ainsi.
– Je réponds de tout!
– Nous en recauserons… Messieurs, je vous quitte, on m’attend à la mairie.
Il était temps que M. Dubenoît sortît, il allait éclater.
Dans lequel un bout de conversation entre le baron de Hautpertuis et le sympathique M. Bluette nous fixera sur les antécédents de ce dernier.
– Votre prison, monsieur le directeur est beaucoup plus gaie que je me le figurais. Une vue superbe, un beau jardin… Il y a longtemps que vous êtes ici?
– Trois mois, exactement trois mois. J’y suis entré le même jour que cet excellent Blaireau. C’est pourquoi j’éprouve tant de sympathie pour lui.
– Je comprends cela. Et avant d’être à Montpaillard…
– J’ai commencé ma carrière par cet établissement. Auparavant, j’habitais Paris. Ah! si on m’avait dit, il y a seulement trois ans, que je deviendrais directeur de prison, j’aurais bien ri.
– Vous vous destiniez, sans doute, à d’autres fonctions?
– Je ne me destinais à rien.., je m’amusais. Ma foi, je ne regrette rien, car, vraiment, je me suis bien amusé.
– Tout est là! Les femmes sans doute?…
– Les femmes, oui, surtout une!
– À la bonne heure!
– Oui, c’est à une femme que je dois mon entrée dans la carrière administrative. Elle s’appelait Alice. Nous nous adorions… Tel que vous me voyez, baron, j’étais un simple rentier Alice eut bientôt fait cesser cette situation anormale. Elle jetait l’argent par les fenêtres et moi je le regardais tomber…
– C’était très gai. Ruiné par les femmes! Permettez-moi de vous serrer la main.
– Pas par les femmes, par une femme.
– Ce n’en est donc que plus flatteur
– Alors, complètement décavé, je sollicitai une place du gouvernement. À cette époque, j’étais cousin du ministre…
– Vous n’êtes plus son cousin?
– C’est lui qui n’est plus ministre. Il eut juste le temps de me nommer à Montpaillard. Heureusement, car mes moyens ne me permettaient plus que d’être prisonnier moi-même, ou directeur de prison. Je n’hésitai pas une minute.
– Je n’ai pas de peine à le croire. Et Mlle Alice?
– Alice, de son côté, fit connaissance d’un monsieur âgé fort riche; mais la chère petite ne m’a pas oublié, j’en ai actuellement la preuve.
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