Cependant, parmi les expériences faites par des hommes de science et de raison, il en est quelques-unes qui semblent indéniables, et qui présentent un intérêt étrange et puissant. On sait que les magnétiseurs peuvent suggérer à leurs sujets préalablement endormis la vision d’êtres ou d’objets imaginaires quelconques. Rien d’étonnant à cela.
On dit : — « Voici un chat, un chien, un loup, un verre, une montre. » Et l’hypnotisé voit un chat, un chien, un loup, un verre ou une montre.
Je dis voit, et non pas croit voir, car l’examen de l’œil avec un prisme au moment de l’hallucination y montre reflétée sur la rétine l’image de l’objet suggéré — qui n’existe pas ! — Ce fait est affirmé en des ouvrages de médecine fort sérieux ; et il confirme cette théorie que tout est illusion dans la vie. Les conséquences philosophiques de cette bizarre observation sont infinies et déconcertantes.
On est arrivé aussi, au moyen du sommeil hypnotique, à déterminer d’une façon fort curieuse l’indépendance fonctionnelle de chaque hémisphère cérébral, en produisant des illusions et des hallucinations bilatérales simultanées de caractères différents pour chaque côté.
Combien de fois n’avons-nous pas senti obscurément travailler en nous ce double cerveau dont un désaccord fonctionnel presque insensible peut expliquer tant de phénomènes de double volonté, de double croyance, de double jugement, et tant de contradictions dans notre être pensant et raisonnable.
Au point de vue utilitaire, on ne découvre pas encore nettement quels seront les avantages des pratiques hypnotiques introduites dans la vie courante.
Comme il demeure indubitable que certains êtres sous l’influence de cet engourdissement partiel du cerveau, accompagné d’une surexcitation extrême de certaines facultés, deviennent les esclaves du magnétiseur, reçoivent ses ordres pendant le sommeil et les exécutent au réveil, aveuglément, sans aucun souvenir de les avoir reçus, les assassins de l’avenir pourront éviter les dangers de la guillotine en prenant quelques leçons et en se procurant un bon sujet qu’ils exerceront préalablement sur des poulets ou des lapins.
Ne se peut-il que Pranzini ait été l’agent inconscient d’un camarade et que ses négations obstinées soient simplement le résultat du sommeil persistant de sa mémoire ?
Un autre avantage sera la possibilité d’endormir ses domestiques chaque soir et de leur donner des ordres minutieux pour le lendemain. On évitera de cette façon les réponses insolentes, les commentaires désobligeants et surtout les désobéissances. L’art de M. Pickmann n’est pas encore arrivé à cette perfection. Je l’ai vu cependant faire une chose des plus surprenantes que je pourrais appeler un admirable tour de prestidigitation mentale.
Introduit le soir dans une maison où il n’était jamais entré, il a pu deviner un objet auquel a pensé le maître du logis, et, les yeux bandés, courir à l’étage supérieur, à travers des chambres inconnues chercher, trouver et rapporter cet objet. Il m’a paru posséder à un degré plus étonnant que ses confrères ce bizarre flair nerveux que nous a révélé M. Cumberland et que possède aussi très étrangement, paraît-il, M. Garnier, l’architecte de l’Opéra.
Il est d’ailleurs une expérience des plus simples que connaissent bien tous les Parisiens coureurs de rues… et de ruelles, et qui rentre absolument dans le domaine de l’hypnotisme. Quand un homme, qui aime les femmes, aperçoit un peu devant lui, sur l’autre trottoir d’une large rue, une tournure éveillant son désir, il lui suffit de regarder avec persistance, avec volonté, cette taille et cette nuque fuyant à travers la foule, et toujours, après une minute ou deux de cet appel mystérieux, la femme se retourne et le regarde aussi.
Dans une salle de spectacle on peut également, du fond d’une loge, solliciter et attirer un regard qui, surpris, cherche et trouve le vôtre au bout de quelques instants.
Je laisse à d’autres le soin d’expliquer ces phénomènes qui ne m’étonnent aucunement, tant nous ignorons encore les propriétés et les puissances de nos organes.
Nouveau scandale ?
( Gil Blas , 15 novembre 1887)
Une nouvelle très invraisemblable a couru hier dans Paris. Jusqu’à plus amples renseignements nous nous refusons absolument à l’admettre. Cependant, comme elle intéresse le monde des lettres tout entier, il est de notre devoir de la faire connaître aux lecteurs de Gil Blas , tout en les mettant en garde contre une crédulité trop prompte.
On raconte que tous les membres encore vivants de l’Académie française ont été convoqués hier chez un des plus illustres d’entre eux, un des plus vénérés maîtres de la pensée moderne pour recevoir communication d’une révélation des plus graves.
Il ne s’agirait de rien moins que du recommencement du procès de Mmes Limouzin, Rattazzi et de deux autres dames que nous ne nommons point par un sentiment de réserve bien naturel, qui auraient employé pour les dernières nominations académiques les mêmes manœuvres illicites que pour les fournitures de gamelles au Ministère de la guerre et pour les croix accordées aux industriels pressés et riches.
Le fait dénoncé est d’autant plus triste, et, hâtons-nous de le dire, d’autant plus improbable, qu’on sait dans le monde entier combien l’Académie française s’est toujours tenue en dehors des influences et des coteries féminines.
Que certains vieux généraux fatigués par leurs campagnes se laissent troubler, conquérir et même corrompre jusqu’à accorder, sur la sollicitation de regards tentateurs et de bourses sonnantes, une fourniture de bidons, de boutons de guêtres ou de draps pour culottes à des fabricants astucieux, nous l’admettons tout en doutant encore, mais nous ne pouvons croire que les Immortels aient poussé la faiblesse jusqu’à donner leurs voix aux candidats de ces dames.
Voici, en tout cas, ce qu’on raconte
Il y aurait eu, depuis plusieurs années, chez Mmes Limouzin, Rattazzi, D… et S… des dîners et des soirées littéraires destinés uniquement à la conquête d’influences illégitimes au sein de l’illustre assemblée. Dans ces dîners, où assistait, assure-t-on, l’élite de la littérature contemporaine, qui alternait ainsi avec des généraux et des hommes politiques, on traitait, pour sauver les apparences, les plus hautes questions d’art et de science, mais on présentait, en réalité, de jeunes poètes et jeunes romanciers ambitieux aux grands maîtres de la forme écrite.
La maîtresse de céans (nous ne nommons plus personne afin de ne pas désigner trop clairement les convives) profitait du doux moment qui suit le repos, quand l’attendrissement né des vins généreux se mêle à la reconnaissance de la digestion qui va bien, pour s’approcher de l’Immortel ému, et lui dire, avec son plus séduisant sourire :
— Cher maître, permettez-moi de vous présenter M. Roulon des Palmes qui vient de publier Fleurs aurorales, dont je vous ai parlé déjà.
Et ainsi, de semaine en semaine, on faisait le siège du grand homme qui commençait par voter un prix pour Fleurs aurorales ou pour Triple Châtiment, de M. Jehan Larivaudière, romancier de grand talent encore peu connu et presque un débutant dans les lettres, bien qu’âgé de soixante-treize ans. On explique donc aujourd’hui par cette influence fâcheuse de certaines femmes intrigantes les choix si souvent discutés et les récompenses si souvent incompréhensibles accordées par l’Académie.
On attribue même, mais nous nous refusons absolument à le croire, une grande part à Mmes Limouzin et Rattazzi dans les nominations de MM. Léon Say et Ferdinand de Lesseps comme membres de l’Académie, car on assure, à voix basse, qu’on a saisi chez elles, lors de l’enquête faite par M. Gragnon, quatre collections des œuvres complètes de ces deux Immortels, soit cent quatre-vingt-seize volumes qui auraient disparu au cours de l’enquête.
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