Le tracé vertical révèle la hauteur atteinte, tandis que la longueur du trait mesure la durée de chaque période de l’ascension. Ce baromètre précieux, construit par MM. Richard frères, est exposé, dès maintenant, dans la salle des dépêches du Figaro .
En outre, les baromètres à déversement de mercure sont des témoins irrécusables de l’élévation ; car le mercure contenu dans un tube à deux branches monte dans l’un et baisse dans l’autre à mesure que diminue la pression atmosphérique. Cet appareil étant réglé à 7000 mètres, le métal liquide parvient alors à l’orifice du tube libre et se répand. La quantité répandue indiquera, par conséquent, de combien on a passé 7000 mètres.
Tous les autres appareils, électroscope, boussole aérienne, instrument des plus précieux inconnu jusqu’à ce jour, seront construits par l’ingénieur Chevalier.
La question des vêtements pour affronter une différence de température qui peut être de cinquante degrés en une heure a été résolue grâce aux conseils du géographe M. Liénard, que ses nombreuses ascensions ont renseigné sur ces dangers. Ils seront en soie et garnis intérieurement d’une fourrure fine et légère. Les propriétaires de la Belle Jardinière , qui sont eux-mêmes des aéronautes, et dont l’un fut, avec moi, parrain du Horla , se sont chargés de les faire confectionner. Enfin, la nouvelle nacelle du ballon, contenant tout le laboratoire aérien nécessaire pour cette montée, sera exposée la semaine prochaine.
Bonne chance aux voyageurs.
La fortune
( Gil Blas , 9 août 1887)
L’architecture se meurt, l’architecture est morte. La disparition de cet art est d’ailleurs facile à constater, mais en y songeant bien, ce n’est pas aux architectes qu’il faut s’en prendre.
Si nous voyons de temps en temps s’élever dans Paris un affreux monument nouveau, songeons que deux ou trois cents projets, sinon plus, ont passé sous les yeux d’une commission présidée par un ministre ou par un membre de l’Institut. C’est donc le membre de l’Institut (à tout seigneur tout honneur), puis le ministre, puis la commission tout entière qu’il faut traiter comme ils le méritent. Si M. Eiffel, marchand de fers, dresse sur Paris l’effroyable corne dont les dessins et les débuts font présager la laideur totale et définitive, il ne, faut assurément pas en vouloir à M. Eiffel qui fait ce qu’il peut avec son fer. Mais quand il nous sera permis de contempler dans toute sa hauteur et toute sa hideur ce monument du mauvais goût contemporain, nous proclamerons bien haut les noms des patrons de cette chaudronnerie, afin qu’on ne songe jamais à eux quand le Ministère des beaux-arts sera vacant.
Les millions employés à construire cette cage-paratonnerre (qui nous fera désirer une Commune déboulonneuse ) n’auraient-ils pas pu servir à favoriser l’effort de l’architecte inconnu qui porte peut-être en sa tête des formes nouvelles d’édifices. Les pauvres jeunes gens qui cherchent aujourd’hui le secret de la beauté des lignes et des ornements de pierre en sont réduits à subir le goût du bourgeois qui commande son château, ou de la commission ministérielle composée de vieux fossiles pétrifiés dans la période grecque, dans celles du Moyen Age ou de la Renaissance.
Donc, si l’impuissance de l’architecture monumentale contemporaine doit être attribuée d’abord au goût rétrograde ou nul de nos gouvernants, il est juste aussi de faire large part à la médiocrité du bourgeois riche.
Et c’est une curieuse étude à faire que celle de l’emploi de la fortune, de nos jours.
Ceux qui étaient autrefois les seigneurs, les grands seigneurs, portaient en leur âme une curiosité, une ardeur, une hardiesse qui les poussaient aux entreprises. Quand ils avaient fini de faire la guerre où se plaisait leur cœur aventureux, ils bâtissaient des châteaux ou des cathédrales. La France n’est-elle pas couverte de merveilleux monuments, tous différents, édifiés de siècle en siècle par des artistes modernes, patients, convaincus, sur l’ordre de princes ignorants et magnifiques ? Nous devons à ces seigneurs entreprenants et à ces grands artistes, demeurés souvent inconnus, l’admirable musée des monuments historiques dont notre sol est peuplé. Il suffit de nommer tous les illustres châteaux français, ceux du Nord et ceux du Centre, ceux de l’Est et ceux de l’Ouest, pour voir surgir devant nos yeux une surprenante galerie de palais où s’est fixé, sous des aspects nombreux, variés et superbes, tout le génie architectural de notre race. Chaque siècle a laissé d’innombrables traces, de merveilleux échantillons de son art toujours renouvelé. Et nous pouvons suivre d’époque en époque toutes les modifications de l’inspiration immortelle. Aujourd’hui plus rien. Manquons-nous donc d’artistes ? Pourquoi les architectes auraient-ils disparu de France puisque nous avons toujours d’admirables sculpteurs et de remarquables peintres ? Certes, il en existe qui, demain, pourraient créer des types de monuments comme ont fait ceux d’autrefois !
Mais ce qui nous manque, par exemple, c’est l’homme généreux et riche pour oser et pour payer ces tentatives.
Certes, la nature de l’homme riche, de l’homme très riche d’aujourd’hui est inférieure à celle de l’homme puissant et riche de jadis.
Cherchons un peu à quoi nos opulents contemporains emploient leur temps, leur argent, et ce qu’ils peuvent avoir d’intelligence.
Leur première ambition, en général, est de faire parler d’eux, de briller et de dominer, par leur fortune. Cette ambition est naturelle, mais les moyens dont ils se servent pour y parvenir sont au moins très discutables.
Le plus employé est le cheval. Cet animal est devenu, en effet, la plus noble conquête de l’homme, comme fa proclamé le prophète évangéliste Buffon, car il donne la gloire et la considération. Je ne veux point parler du cheval utile, de celui qu’on monte et qu’on attelle, mais de l’affreuse bête efflanquée nommée cheval de course, sur le dos de laquelle on met un petit homme maigre dont le génie consiste à cravacher les côtes qui le portent avec plus d’ardeur que le voisin et d’arriver premier dans une course où il ne court pas lui-même.
Ces jeux sont très respectables comme divertissements pour amener le public et comme prétexte à paris, bien que je préfère les petits chevaux des casinos qui peuvent donner les mêmes émotions tout en coûtant beaucoup moins cher à installer.
Peu importe d’ailleurs. Il ne s’agit ni de juger, ni de blâmer, ni de condamner, ni de moraliser, mais de constater que le plus grand effort d’esprit de nos contemporains opulents consiste à faire galoper des bêtes et à découvrir des jockeys incomparables et non des artistes originaux qui attacheraient le nom de leur protecteur à quelque monument impérissable. Quand l’homme riche n’est point un homme de sport par suite des tendances de sa nature morale ou des empêchements de sa nature physique, il devient volontiers amateur d’art et collectionneur.
Cela vaut peut-être un peu moins que s’il était un simple turfiste comme on dit dans le galimatias hippique et moderne, car le propriétaire d’écuries est à peu près sûr de se ruiner, tandis que le collectionneur cache, derrière un goût qui semble noble, une âme rapace de trafiquant. Il n’achète pas pour encourager, pour aider l’artiste, il ne cherche pas à découvrir les talents nouveaux, à les pousser, à leur donner l’or qui leur permettrait de se développer complètement et librement, il achète, après contrôle d’hommes compétents, des objets rares dont la valeur est plus cotée que celle des rentes nationales.
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