– Oh! soyez tranquille, comtesse, je ne regarde que par les portes ouvertes.
– Et, en regardant par les portes ouvertes, vous avez vu que je pensais à vous?
– Certes, et à bonne intention même.
– Oh! vous avez raison, cher comte; j’ai pour vous les meilleures intentions du monde; mais avouez que vous méritez plus que des intentions, vous si bon, si utile; vous qui paraissez destiné à jouer dans ma vie le rôle de tuteur, c’est-à-dire le rôle le plus difficile que je connaisse.
– En vérité, madame, vous me rendez bien heureux; j’ai donc pu vous être de quelque utilité?
– Comment!… vous êtes devin, et vous ne devinez pas?
– Laissez-moi au moins le mérite d’être modeste.
– Soit, mon cher comte; je vais, en conséquence, vous parler d’abord de ce que j’ai fait pour vous.
– Je ne le souffrirai pas, madame; parlons de vous, au contraire, je vous en supplie.
– Eh bien, mon cher comte, commencez par me prêter cette pierre qui rend invisible; car il m’a semblé reconnaître dans mon voyage, si rapide qu’il fût, un des grisons de M. de Richelieu.
– Et ce grison, madame?…
– Suivait ma voiture avec un coureur.
– Que pensez-vous de cette circonstance, et dans quel but le duc vous faisait-il suivre?
– Dans le but de me jouer quelque méchant tour de sa façon. Si modeste que vous soyez, monsieur le comte de Fœnix, croyez que Dieu vous a doué d’assez d’avantages personnels pour rendre un roi jaloux… de mes visites chez vous, ou de vos visites chez moi.
– M. de Richelieu, madame, répondit Balsamo, ne peut être dangereux pour vous en aucune rencontre.
– Mais il l’était, cher comte, il l’était cependant avant l’événement.
Balsamo comprit qu’il y avait là un secret que Lorenza ne lui avait point encore révélé. Il ne se hasarda point, en conséquence, sur le terrain de l’inconnu, et se contenta de répondre par un sourire.
– Il l’était, répéta la comtesse, et j’ai failli être la victime de la trame la mieux ourdie, dans laquelle vous étiez pour quelque chose, comte.
– Moi! dans une trame contre vous? Jamais, madame!
– N’était-ce donc pas vous qui aviez donné à M. de Richelieu le philtre?
– Quel philtre?
– Un philtre qui fait aimer éperdument.
– Non, madame; ces philtres-là, M. de Richelieu les compose lui-même, car il en connaît dès longtemps la recette; je ne lui ai remis, moi, qu’un simple narcotique.
– Ah! vraiment?
– Sur l’honneur.
– Et M. le duc, attendez donc, M. le duc est venu vous demander ce narcotique, quel jour? Rappelez-vous bien la date, monsieur, c’est important.
– Madame, ce fut samedi dernier. La veille du jour où j’eus l’honneur de vous adresser par Fritz ce petit billet qui vous priait de venir me retrouver chez M. de Sartine.
– La veille de ce jour, s’écria la comtesse, la veille du jour où le roi fut vu se rendant chez la petite Taverney? Oh! tout m’est expliqué maintenant.
– Alors, si tout vous est expliqué, vous voyez que je n’y suis que pour le narcotique.
– Oui, c’est le narcotique qui nous a sauvés.
Balsamo attendit cette fois, il ignorait tout.
– Je suis heureux, madame, répondit-il, de vous être bon à quelque chose, même sans intention.
– Oh! vous m’êtes excellent toujours. Mais vous pouvez plus encore pour moi que vous n’avez fait jusqu’à présent. Oh! docteur, j’ai été bien malade, politiquement parlant, et, à l’heure qu’il est, c’est à peine si je crois à ma convalescence.
– Madame, dit Balsamo, le docteur, puisque docteur il y a, demande toujours des détails sur la maladie qu’il a à traiter. Veuillez me donner les détails les plus exacts sur ce que vous avez éprouvé, et, s’il est possible, n’oubliez aucun symptôme.
– Rien de plus simple, cher docteur, ou cher sorcier, comme vous voudrez. La veille du jour où ce narcotique fut employé, Sa Majesté avait refusé de m’accompagner à Luciennes. Elle était restée, sous prétexte de fatigue, à Trianon, cette menteuse Majesté, et cela pour souper, je l’ai su depuis, entre le duc de Richelieu et le baron de Taverney.
– Ah! ah!
– Vous comprenez, à votre tour. Ce fut pendant ce souper que le philtre d’amour fut versé au roi. Il en tenait déjà pour mademoiselle Andrée; on savait qu’il ne me verrait pas le lendemain. C’était donc à l’endroit de cette petite qu’il devait opérer.
– Eh bien?
– Eh bien, il opéra, voilà tout.
– Qu’est-il arrivé alors?
– Voilà ce qui est difficile à savoir positivement. Des gens bien informés ont vu Sa Majesté se dirigeant vers les communs, c’est-à-dire vers l’appartement de mademoiselle Andrée.
– Je sais où elle demeure; mais ensuite?
– Ah! ensuite, peste! comme vous y allez, comte! On ne suit pas sans danger un roi qui se cache.
– Mais enfin?
– Enfin, tout ce que je puis vous dire, c’est que Sa Majesté, par une affreuse nuit d’orage, revint à Trianon, pâle, tremblante, et avec une fièvre qui tenait du délire.
– Et vous croyez, demanda Balsamo en souriant, que ce n’était pas de l’orage seulement que le roi avait eu peur?
– Non; car le valet de chambre l’entendit s’écrier plusieurs fois: «Morte! morte! morte!»
– Oh! fit Balsamo.
– C’était le narcotique, continua madame du Barry; rien ne fait peur au roi comme les morts, et, après les morts, comme l’image de la mort. Il a trouvé mademoiselle de Taverney endormie d’un sommeil étrange, il l’aura crue morte.
– Oui, oui, morte en effet, dit Balsamo, qui se rappelait avoir fui sans réveiller Andrée, morte ou du moins présentant toutes les apparences de la mort. C’est cela! c’est cela! Après, madame, après?
– Nul ne sut donc ce qui se passa dans cette nuit, ou plutôt dans le commencement de cette nuit. À sa rentrée chez lui seulement, le roi fut pris d’une fièvre violente et de tressaillements nerveux qui ne se passèrent que le lendemain, lorsque madame la dauphine eut l’idée de faire ouvrir chez le roi, et de montrer à Sa Majesté un beau soleil éclairant des figures riantes. Alors toutes ces visions inconnues disparurent avec la nuit qui les avait enfantées.
«À midi, le roi allait mieux, prenait un bouillon et mangeait une aile de perdrix, et le soir…
La comtesse s’arrêta, regardant Balsamo avec ce sourire qui n’appartenait qu’à elle.
– Et le soir? répéta Balsamo.
– Eh bien, le soir, répéta madame du Barry, Sa Majesté, qui sans doute ne voulait pas rester à Trianon après sa terreur de la veille, le soir, Sa Majesté venait me trouver à Luciennes, où, cher comte, je m’aperçus, ma foi, que M. de Richelieu était presque aussi grand sorcier que vous.
La figure triomphante de la comtesse, son geste plein de grâce et de coquetterie achevèrent sa pensée et rassurèrent complètement Balsamo à l’endroit de la puissance qu’exerçait encore la favorite sur le roi.
– Alors, dit-il, vous êtes contente de moi, madame?
– Enthousiasmée, je vous jure, comte; car vous m’avez, en me parlant des impossibilités que vous aviez créées, dit l’exacte vérité.
Et elle lui tendit en preuve de remerciement, cette main si blanche, si douce, si parfumée, qui n’était pas fraîche comme celle de Lorenza, mais dont la tiédeur avait aussi son éloquence.
– Et maintenant, à vous, comte, dit-elle.
Balsamo s’inclina en homme prêt à écouter.
– Si vous m’avez préservée d’un grand danger, continua madame du Barry, je crois vous avoir sauvé à mon tour d’un péril qui n’était pas mince.
– Moi, dit Balsamo, cachant son émotion, je n’ai point besoin de cela pour vous être reconnaissant; cependant veuillez me dire…
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