Et de Mouy, dans une attitude respectueuse, mais ferme, fit quelques pas vers la porte par laquelle il était entré. Marguerite l’arrêta.
– Cependant, monsieur, dit-elle, si j’osais vous demander un mot d’explication; ma parole est bonne, ce me semble?
– Madame, répondit de Mouy, je dois me taire, et il faut que ce dernier devoir soit bien réel pour que je n’aie point encore répondu à Votre Majesté.
– Cependant, monsieur…
– Votre Majesté peut me perdre, madame, mais elle ne peut exiger que je trahisse mes nouveaux amis.
– Mais les anciens, monsieur, n’ont-ils pas aussi quelques droits sur vous?
– Ceux qui sont restés fidèles, oui; ceux qui non seulement nous ont abandonnés, mais encore se sont abandonnés eux-mêmes, non.
Marguerite, pensive et inquiète, allait sans doute répondre par une nouvelle interrogation, quand soudain Gillonne s’élança dans l’appartement.
– Le roi de Navarre! cria-t-elle.
– Par où vient-il?
– Par le corridor secret.
– Faites sortir monsieur par l’autre porte.
– Impossible, madame. Entendez-vous?
– On frappe?
– Oui, à la porte par laquelle vous voulez que je fasse sortir monsieur.
– Et qui frappe?
– Je ne sais.
– Allez voir, et me le revenez dire.
– Madame, dit de Mouy, oserais-je faire observer à Votre Majesté que si le roi de Navarre me voit à cette heure et sous ce costume au Louvre je suis perdu?
Marguerite saisit de Mouy, et l’entraînant vers le fameux cabinet:
– Entrez ici, monsieur, dit-elle; vous y êtes aussi bien caché et surtout aussi garanti que dans votre maison même, car vous y êtes sur la foi de ma parole.
de Mouy s’y élança précipitamment, et à peine la porte était-elle refermée derrière lui, que Henri parut. Cette fois, Marguerite n’avait aucun trouble à cacher; elle n’était que sombre, et l’amour était à cent lieues de sa pensée. Quant à Henri, il entra avec cette minutieuse défiance qui, dans les moments les moins dangereux, lui faisait remarquer jusqu’aux plus petits détails; à plus forte raison Henri était-il profondément observateur dans les circonstances où il se trouvait.
Aussi vit-il à l’instant même le nuage qui obscurcissait le front de Marguerite.
– Vous étiez occupée, madame? dit-il.
– Moi, mais, oui, Sire, je rêvais.
– Et vous avez raison, madame; la rêverie vous sied. Moi aussi, je rêvais; mais tout au contraire de vous, qui recherchez la solitude, je suis descendu exprès pour vous faire part de mes rêves.
Marguerite fit au roi un signe de bienvenue, et, lui montrant un fauteuil, elle s’assit elle-même sur une chaise d’ébène sculptée, fine et forte comme de l’acier.
Il se fit entre les deux époux un instant de silence; puis, rompant ce silence le premier:
– Je me suis rappelé, madame, dit Henri, que mes rêves sur l’avenir avaient cela de commun avec les vôtres, que, séparés comme époux, nous désirions cependant l’un et l’autre unir notre fortune.
– C’est vrai, Sire.
– Je crois avoir compris aussi que, dans tous les plans que je pourrai faire d’élévation commune, vous m’avez dit que je trouverais en vous, non seulement une fidèle, mais encore une active alliée.
– Oui, Sire, et je ne demande qu’une chose, c’est qu’en vous mettant le plus vite possible à l’œuvre, vous me donniez bientôt l’occasion de m’y mettre aussi.
– Je suis heureux de vous trouver dans ces dispositions, madame, et je crois que vous n’avez pas douté un instant que je perdisse de vue le plan dont j’ai résolu l’exécution, le jour même où, grâce à votre courageuse intervention, j’ai été à peu près sûr d’avoir la vie sauve.
– Monsieur, je crois qu’en vous l’insouciance n’est qu’un masque et j’ai foi non seulement dans les prédictions des astrologues, mais encore dans votre génie.
– Que diriez-vous donc, madame, si quelqu’un venait se jeter à la traverse de nos plans et nous menaçait de nous réduire, vous et moi, à un état médiocre?
– Je dirais que je suis prête à lutter avec vous, soit dans l’ombre, soit ouvertement, contre ce quelqu’un, quel qu’il fût.
– Madame, continua Henri, il vous est possible d’entrer à toute heure, n’est-ce pas, chez M. d’Alençon, votre frère? vous avez sa confiance et il vous porte une vive amitié. Oserais-je vous prier de vous informer si dans ce moment même il n’est pas en conférence secrète avec quelqu’un?
Marguerite tressaillit.
– Avec qui, monsieur? demanda-t-elle.
– Avec de Mouy.
– Pourquoi cela? demanda Marguerite en réprimant son émotion.
– Parce que s’il en est ainsi, madame, adieu tous nos projets, tous les miens du moins.
– Sire, parlez bas, dit Marguerite en faisant à la fois un signe des yeux et des lèvres, et en désignant du doigt le cabinet.
– Oh! oh! dit Henri; encore quelqu’un? En vérité, ce cabinet est si souvent habité qu’il rend votre chambre inhabitable.
Marguerite sourit.
– Au moins est-ce toujours M. de La Mole? demanda Henri.
– Non, Sire, c’est M. de Mouy.
– Lui? s’écria Henri avec une surprise mêlée de joie; il n’est donc pas chez le duc d’Alençon, alors? oh! faites-le venir, que je lui parle…
Marguerite courut au cabinet, l’ouvrit, et prenant de Mouy par la main l’amena sans préambule devant le roi de Navarre.
– Ah! madame, dit le jeune huguenot avec un accent de reproche plus triste qu’amer, vous me trahissez malgré votre promesse, c’est mal. Que diriez vous si je me vengeais en disant…
– Vous ne vous vengerez pas, de Mouy, interrompit Henri en serrant la main du jeune homme, ou du moins vous m’écouterez auparavant. Madame, continua Henri en s’adressant à la reine, veillez, je vous prie, à ce que personne ne nous écoute.
Henri achevait à peine ces mots, que Gillonne arriva tout effarée et dit à l’oreille de Marguerite quelques mots qui la firent bondir de son siège. Pendant qu’elle courait vers l’antichambre avec Gillonne, Henri, sans s’inquiéter de la cause qui l’appelait hors de l’appartement, visitait le lit, la ruelle, les tapisseries et sondait du doigt les murailles. Quant à M. de Mouy, effarouché de tous ces préambules, il s’assurait préalablement que son épée ne tenait pas au fourreau.
Marguerite, en sortant de sa chambre à coucher, s’était élancée dans l’antichambre et s’était trouvée en face de La Mole, lequel, malgré toutes les prières de Gillonne, voulait à toute force entrer chez Marguerite.
Coconnas se tenait derrière lui, prêt à le pousser en avant ou à soutenir la retraite.
– Ah! c’est vous, monsieur de la Mole, s’écria la reine; mais qu’avez-vous donc, et pourquoi êtes-vous aussi pâle et tremblant?
– Madame, dit Gillonne, M. de La Mole a frappé à la porte de telle sorte que, malgré les ordres de Votre Majesté, j’ai été forcée de lui ouvrir.
– Oh! oh! qu’est-ce donc que cela? dit sévèrement la reine; est-ce vrai ce qu’on me dit là, monsieur de la Mole?
– Madame, c’est que je voulais prévenir Votre Majesté qu’un étranger, un inconnu, un voleur peut-être, s’était introduit chez elle avec mon manteau et mon chapeau.
– Vous êtes fou, monsieur, dit Marguerite, car je vois votre manteau sur vos épaules, et je crois, Dieu me pardonne, que je vois aussi votre chapeau sur votre tête lorsque vous parlez à une reine.
– Oh! pardon, madame, pardon! s’écria La Mole en se découvrant vivement, ce n’est cependant pas, Dieu m’en est témoin, le respect qui me manque.
– Non, c’est la foi, n’est-ce pas? dit la reine.
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