– Que voulez-vous! s’écria La Mole; quand un homme est chez Votre Majesté, quand il s’y introduit en prenant mon costume, et peut-être mon nom, qui sait?…
– Un homme! dit Marguerite en serrant doucement le bras du pauvre amoureux; un homme!… Vous êtes modeste, monsieur de la Mole. Approchez votre tête de l’ouverture de la tapisserie, et vous verrez deux hommes.
Et Marguerite entrouvrit en effet la portière de velours brodé d’or, et La Mole reconnut Henri causant avec l’homme au manteau rouge; Coconnas, curieux comme s’il se fût agi de lui-même, regarda aussi, vit et reconnut de Mouy; tous deux demeurèrent stupéfaits.
– Maintenant que vous voilà rassuré, à ce que j’espère du moins, dit Marguerite, placez-vous à la porte de mon appartement, et, sur votre vie, mon cher La Mole, ne laissez entrer personne. S’il approche quelqu’un du palier même, avertissez.
La Mole, faible et obéissant comme un enfant, sortit en regardant Coconnas, qui le regardait aussi, et tous deux se trouvèrent dehors sans être bien revenus de leur ébahissement.
– de Mouy! s’écria Coconnas.
– Henri! murmura La Mole.
– de Mouy avec ton manteau cerise, ta plume blanche et ton bras en balancier.
– Ah çà, mais… reprit La Mole, du moment qu’il ne s’agit pas d’amour il s’agit certainement de complot.
– Ah! mordi! nous voilà dans la politique, dit Coconnas en grommelant. Heureusement que je ne vois point dans tout cela madame de Nevers.
Marguerite revint s’asseoir près des deux interlocuteurs; sa disparition n’avait duré qu’une minute, et elle avait bien utilisé son temps. Gillonne, en vedette au passage secret, les deux gentilshommes en faction à l’entrée principale, lui donnaient toute sécurité.
– Madame, dit Henri, croyez-vous qu’il soit possible, par un moyen quelconque, de nous écouter et de nous entendre?
– Monsieur, dit Marguerite, cette chambre est matelassée, et un double lambris me répond de son assourdissement.
– Je m’en rapporte à vous, répondit Henri en souriant. Puis se retournant vers de Mouy:
– Voyons, dit le roi à voix basse et comme si, malgré l’assurance de Marguerite, ses craintes ne s’étaient pas entièrement dissipées, que venez-vous faire ici?
– Ici? dit de Mouy.
– Oui, ici, dans cette chambre, répéta Henri.
– Il n’y venait rien faire, dit Marguerite; c’est moi qui l’y ai attiré.
– Vous saviez donc?…
– J’ai deviné tout.
– Vous voyez bien, de Mouy, qu’on peut deviner.
– Monsieur de Mouy, continua Marguerite, était ce matin avec le duc François dans la chambre de deux de ses gentilshommes.
– Vous voyez bien, de Mouy, répéta Henri, qu’on sait tout.
– C’est vrai, dit de Mouy.
– J’en étais sûr, dit Henri, que M. d’Alençon s’était emparé de vous.
– C’est votre faute, Sire. Pourquoi avez-vous refusé si obstinément ce que je venais vous offrir?
– Vous avez refusé! s’écria Marguerite. Ce refus que je pressentais était donc réel?
– Madame, dit Henri secouant la tête, et toi, mon brave de Mouy, en vérité vous me faites rire avec vos exclamations. Quoi! un homme entre chez moi, me parle de trône, de révolte, de bouleversement, à moi, à moi Henri, prince toléré pourvu que je porte le front humble, huguenot épargné à la condition que je jouerai le catholique, et j’irais accepter quand ces propositions me sont faites dans une chambre non matelassée et sans double lambris! Ventre-saint-gris! vous êtes des enfants ou des fous!
– Mais, Sire, Votre Majesté ne pouvait-elle me laisser quelque espérance, sinon par ses paroles, du moins par un geste, par un signe?
– Que vous a dit mon beau-frère, de Mouy? demanda Henri.
– Oh! Sire, ceci n’est point mon secret.
– Eh! mon Dieu, reprit Henri avec une certaine impatience d’avoir affaire à un homme qui comprenait si mal ses paroles, je ne vous demande pas quelles sont les propositions qu’il vous a faites, je vous demande seulement s’il écoutait, s’il a entendu.
– Il écoutait, Sire, et il a entendu.
– Il écoutait, et il a entendu! Vous le dites vous-même, de Mouy. Pauvre conspirateur que vous êtes! si j’avais dit un mot, vous étiez perdu. Car je ne savais point, je me doutais, du moins, qu’il était là, et, sinon lui, quelque autre, le duc d’Anjou, Charles IX, la reine mère; vous ne connaissez pas les murs du Louvre, de Mouy; c’est pour eux qu’a été fait le proverbe que les murs ont des oreilles; et connaissant ces murs-là j’eusse parlé! Allons, allons, de Mouy, vous faites peu d’honneur au bon sens du roi de Navarre, et je m’étonne que, ne le mettant pas plus haut dans votre esprit, vous soyez venu lui offrir une couronne.
– Mais, Sire, reprit encore de Mouy, ne pouviez-vous, tout en refusant cette couronne, me faire un signe? Je n’aurais pas cru tout désespéré, tout perdu.
– Eh ventre-saint-gris! s’écria Henri, s’il écoutait, ne pouvait-il pas aussi bien voir, et n’est-on pas perdu par un signe comme par une parole? Tenez, de Mouy, continua le roi en regardant autour de lui, à cette heure, si près de vous que mes paroles ne franchissent pas le cercle de nos trois chaises, je crains encore d’être entendu quand je dis: de Mouy, répète-moi tes propositions.
– Mais, Sire, s’écria de Mouy au désespoir, maintenant je suis engagé avec M. d’Alençon.
Marguerite frappa l’une contre l’autre et avec dépit ses deux belles mains.
– Alors, il est donc trop tard? dit-elle.
– Au contraire, murmura Henri, comprenez donc qu’en cela même la protection de Dieu est visible. Reste engagé, de Mouy, car ce duc François c’est notre salut à tous. Crois-tu donc que le roi de Navarre garantirait vos têtes? Au contraire, malheureux! Je vous fais tuer tous jusqu’au dernier, et cela sur le moindre soupçon. Mais un fils de France, c’est autre chose; aie des preuves, de Mouy, demande des garanties; mais, niais que tu es, tu te seras engagé de cœur, et une parole t’aura suffi.
– Oh! Sire! c’est le désespoir de votre abandon, croyez-le bien, qui m’a jeté dans les bras du duc; c’est aussi la crainte d’être trahi, car il tenait notre secret.
– Tiens donc le sien à ton tour, de Mouy, cela dépend de toi. Que désire-t-il? Être roi de Navarre? promets-lui la couronne. Que veut-il? Quitter la cour? fournis-lui les moyens de fuir, travaille pour lui, de Mouy, comme si tu travaillais pour moi, dirige le bouclier pour qu’il pare tous les coups qu’on nous portera. Quand il faudra fuir, nous fuirons à deux; quand il faudra combattre et régner, je régnerai seul.
– Défiez-vous du duc, dit Marguerite, c’est un esprit sombre et pénétrant, sans haine comme sans amitié, toujours prêt à traiter ses amis en ennemis et ses ennemis en amis.
– Et, dit Henri, il vous attend, de Mouy?
– Oui, Sire.
– Où cela?
– Dans la chambre de ses deux gentilshommes.
– À quelle heure?
– Jusqu’à minuit.
– Pas encore onze heures, dit Henri; il n’y a point de temps perdu, allez, de Mouy.
– Nous avons votre parole, monsieur? dit Marguerite.
– Allons donc! madame, dit Henri avec cette confiance qu’il savait si bien montrer avec certaines personnes et dans certaines occasions, avec M. de Mouy ces choses-là ne se demandent même point.
– Vous avez raison, Sire, répondit le jeune homme; mais moi j’ai besoin de la vôtre, car il faut que je dise aux chefs que je l’ai reçue. Vous n’êtes point catholique, n’est-ce pas?
Henri haussa les épaules.
– Vous ne renoncez pas à la royauté de Navarre?
– Je ne renonce à aucune royauté, de Mouy; seulement, je me réserve de choisir la meilleure, c’est-à-dire celle qui sera le plus à ma convenance et à la vôtre.
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