Elle était vide.
D’un coup d’œil rapide, il en fit le tour: il n’y avait pas de porte, pas de fenêtre, aucune issue visible autre que celle par où il venait de pénétrer. Elle était sans meubles, nue, froide, obscure. Et de cette nudité, de ce froid, de cette ombre et de ce silence subit, il se dégageait on ne sait quoi de sinistre et de menaçant.
Dès qu’il vit la pièce absolument vide, Pardaillan se rappela avec quelle facilité la porte du bas s’était si énigmatiquement et si mal à propos fermée sur lui.
«Si celle-ci se ferme toute seule sur moi je suis perdu! songea-t-il.»
Et en même temps, d’un bond, il sortit plus vite qu’il n’était entré Et dès qu’il fut revenu dans le vestibule, la porte, mue par un mécanisme invisible, se referma d’elle-même.
– Il était temps! murmura Pardaillan en passant la main sur son front où pointait la sueur de l’angoisse.
Il appuya contre la porte pour se rendre compte. Elle était bien close et paraissait assez solide pour résister à un assaut.
Machinalement, il jeta les yeux autour de lui et demeura stupéfait: il ne se reconnaissait plus.
L’escalier tournant avait disparu. Le trou béant par où il était entré était comblé. L’instant d’avant il y avait trois portes, maintenant il n’y en avait plus que deux: celle sur laquelle il s’appuyait encore et celle qui aurait dû se trouver en face de l’escalier.
Si solide que fût le cerveau de Pardaillan, il commençait à sentir l’affolement le gagner. Il avait beau se raidir, il sentait peu à peu l’horreur le pénétrer.
Ajoutez qu’il était à jeun, et que depuis des heures, peut-être, il errait ainsi, pourchassé et traqué de couloir en couloir.
S’il y avait danger de mort, il n’y avait pas à en douter, et ce n’est pas cela qui était fait pour l’effrayer. Mais où était ce danger? En quoi consistait-il? Il se voyait sur un terrain machiné, en tout pareil à la mouche se débattant au milieu de la toile tissée par l’araignée, invisible, tapie dans quelque trou obscur, d’où elle guette sournoisement, prête à fondre sur sa proie quand elle la verra déprimée.
Tout était mystérieux et tortueux autour de lui. Il ne savait pas si le couloir qui semblait s’allonger à l’infini devant lui n’allait pas s’obstruer tout à coup, si le plancher sur lequel posaient ses pieds n’allait pas s’effondrer sous lui, si le plafond n’allait pas s’abattre et l’ensevelir sous ses décombres. Comment serait-il frappé? Par où? Par quel moyen? Il ne savait rien. Il éprouvait le vertige de l’inconnu.
– On savait donc que j’étais là, aux écoutes? grommelait furieusement le chevalier. Et que me veut-on, décidément? M’obliger à me réfugier dans la chambre de torture? Le scélérat qui parlait ici tout à l’heure a justement observé: l’homme sera bien obligé de passer par les voies que nous laisserons libres devant lui!
Et avec cette froide raillerie qui ne l’abandonnait jamais, même dans les passes les plus périlleuses:
– L’homme, c’est moi! Que tous les chiens d’enfer déchirent la charogne de carcasse du malotru! L’homme!… Il ne lui suffit pas d’assassiner les gens, il faut encore qu’il les injurie!…
Il demeura un moment rêveur et murmura:
– La chambre des tortures!… Eh bien soit, par la mordieu! allons voir ce qui nous attend dans cette salle!
Et d’un pas rude il se dirigea vers la porte, bien certain de la trouver ouverte.
– Pardieu! ricana-t-il en voyant qu’elle cédait sous sa pression, puisque je dois passer par là…
Il franchit le seuil, et une fois de plus il se trouva dans un couloir. Et toujours la même demi-obscurité, le même silence, la même impression de tristesse pesante qui semblait descendre des murs nus, la même atmosphère lourde qui lui paraissait chargée de mystère et d’horreur.
Pardaillan était habitué à se dompter, et d’ailleurs il s’était trouvé déjà à plus d’une aventure périlleuse. Il avait mis l’épée à la main et il allait d’un pas ferme et tranquille, mettant une sorte d’orgueil à conserver une allure de sang-froid. Mais de l’effort qu’il faisait, il sentait la sueur couler de son front à grosses gouttes, et son cœur battait la chamade pendant qu’il se disait: «Voici ma dernière aventure! Pour cette fois, le diable lui-même ne saurait, je crois, me tirer de ce mauvais pas!»
Il avait déjà parcouru un assez long chemin, tournant et retournant sans cesse, et sans s’en douter, dans les mêmes couloirs, qui s’enchevêtraient comme à plaisir, sondant les coins d’ombre plus épaisse, tâtant le sol avant de poser le pied, cherchant toujours, sans la trouver, une sortie à ce fantastique labyrinthe où il errait éperdument.
Tout à coup, sans qu’il pût discerner d’où elle venait, devant lui, dans l’ombre, il devina plutôt qu’il ne la vit une nouvelle troupe qui, silencieusement, venait à sa rencontre.
Il s’arrêta et écouta attentivement. «Ils sont au moins une trentaine, pensa-t-il, et il me semble voir briller les fameux mousquets dont la décharge doit me foudroyer.»
D’un geste rapide il assujettit son ceinturon, s’assura que la dague était bien à sa portée et se ramassa, étincelant, prêt à bondir, retrouvant instantanément tout son sang-froid, puisqu’il n’avait plus devant lui que des êtres de chair et d’os comme lui.
– Il faut en finir, gronda-t-il, je charge!… Que diable! je trouverai bien moyen de passer!
Il allait bondir et charger ainsi qu’il avait dit; il s’arrêta net: derrière lui, il ne savait d’où, une autre troupe s’avançait à pas de loup. Une fois encore il était pris entre deux feux.
«Eh bien non! réfléchit Pardaillan, ce serait folie pure! Mordiable! il ne s’agit pas de se faire tuer stupidement… Il faut sortir vivant d’ici!… Par les tripes du pape! j’ai un compte à régler avec le très noble sire Espinosa.»
Il chercha autour de lui et vit, sur sa gauche, toujours, une embrasure.
– Parbleu! grogna-t-il, puisque je dois aboutir à la chambre de torture, je pensais bien qu’on m’aurait ménagé une de ces voies par lesquelles je dois passer.
Et avec un sourire railleur il poussa la porte qui céda, ainsi qu’il l’avait prévu. Il pensait que les gens d’armes allaient passer sans s’arrêter, ainsi qu’ils l’avaient fait à l’autre étage. Il repoussa rageusement la porte en maugréant:
– En voilà encore une que je ne pourrai plus ouvrir!
La porte poussée violemment claqua, mais ne se ferma pas.
– Tiens! s’étonna Pardaillan, elle reste ouverte, celle-là! Qu’est-ce que cela veut dire?
Comme pour le renseigner, une voix cria soudain:
– Nous le tenons! Il est entré là!
Au même instant, il entendit une galopade désordonnée.
«Ah! ah! pensa Pardaillan, cette fois-ci ces braves vont m’attaquer Bataille! soit… aussi bien j’aime mieux cela que de me sentir constamment poussé vers je ne sais quel but mystérieux.»
Tout en monologuant de la sorte, Pardaillan ne perdait pas son temps et inspectait les lieux.
– Encore un cul-de-sac! s’exclama-t-il. Au fait, c’est peut-être toujours le même qui change d’aspect et où je suis ramené sans m’en douter.
Dans ce cul-de-sac, il ne vit rien qu’un énorme bahut placé justement à côté de la porte.
Sans perdre un instant, Pardaillan le poussa, le traîna devant la porte. Il était temps; la même voix qui s’était déjà fait entendre disait en frappant la porte:
– Il est là! Je l’ai vu se glisser.
– Enfoncez la porte, commanda une autre voix impérieuse, nous le tenons.
– Pas encore! railla Pardaillan, campé devant le bahut.
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