– Tenez-vous sur vos gardes, seigneur… Évitez les rondes… le palais est gardé militairement… on veut vous prendre… Surtout ne revenez jamais en arrière, la retraite vous est coupée…
Pardaillan, qui allait dépasser le soldat, se retourna vivement pour lui répondre, mais déjà l’homme s’était élancé et rejoignait ses camarades en courant.
«Oh oh! pensa le chevalier qui se hérissa, je me suis trop hâté de faire amende honorable… Qui est cet homme, et pourquoi me prévient-il?… A-t-il dit vrai?… Oui, morbleu! voici les hommes qui s’alignent et me barrent le chemin… Un, deux, trois, quatre, cinq rangs de profondeur, tous armés de mousquets… Malepeste! M. Espinosa fait bien les choses, et si je me tire de là, ce ne sera vraiment pas de sa faute. M meFausta qui, pourtant, s’entend admirablement à organiser un guet-apens, n’est qu’une pauvre écolière à côté de cet homme… En attendant, tirons au large, car s’il prend fantaisie à ces braves de décharger leurs mousquets sur moi, c’en est fait de M. l’ambassadeur.»
Ayant dit, il s’éloigna à grands pas en grommelant:
– Éviter les rondes!… C’est plus facile à dire qu’à faire… Si seulement je connaissais la structure de ces lieux!… Quant à revenir en arrière, je n’aurais garde de le faire… on vient de me signifier clairement ce qui m’attend… Mais, mordiable!… si je me tire de ce guêpier, je me méfierai de la parole de M. Espinosa.
Le couloir dans lequel il se trouvait était redevenu sombre et, comme cette demi-obscurité le favorisait, il avançait d’un pas souple et allongé, évitant de faire résonner les dalles, pas trop inquiet, en somme, bien que sa situation fût plutôt précaire.
Tout à coup un bruit de pas, devant lui, vint l’avertir de l’approche d’une nouvelle troupe.
– Une des rondes qu’il me faut éviter, murmura-t-il en cherchant instinctivement autour de lui.
Au même instant la ronde déboucha d’un couloir transversal et vint droit à lui.
«Me voici pris entre deux feux, songea Pardaillan.»
En regardant attentivement il aperçut, sur sa gauche, une embrasure et, comme la ronde approchait, d’un bond, il se jeta dans ce coin d’ombre plus épaisse et s’appuya à la porte qui se trouvait là.
Or, comme il tâtait de la main pour se rendre compte, il sentit que la porte cédait. Il poussa un peu plus et jeta un coup d’œil rapide par l’entrebâillement: il n’y avait personne. Il se glissa avec souplesse, repoussa vivement la porte sur lui et resta là, l’oreille tendue, retenant son souffle.
La ronde passa.
Pardaillan eut un soupir de soulagement. Et comme le bruit des pas s’était perdu au loin, il voulut sortir et tira la porte à lui: elle résista. Il insista, chercha: la porte qu’il avait à peine poussée, actionnée par quelque ressort caché, s’était fermée d’elle-même et il lui était impossible de l’ouvrir.
– Diable! murmura-t-il, voilà qui se complique.
Sans s’obstiner, il abandonna la porte et inspecta le réduit qui l’avait abrité momentanément.
C’était une espèce de cul-de-sac. Il y faisait très sombre, mais le chevalier qui, depuis sa sortie du cabinet d’Espinosa, marchait presque constamment dans une demi-obscurité, y voyait suffisamment pour se rendre compte de la disposition des lieux. En face de la porte, il distinguait un petit escalier tournant.
«Bon! songea-t-il, je passerai par là… je n’ai d’ailleurs pas le choix.»
Résolument il s’engagea dans l’escalier fort étroit et monta lentement prudemment.
L’escalier émergeait du sol sans rampe, sans garde-fou et aboutissait à une sorte de vestibule. Sur ce vestibule, trois portes, une de face, l’autre à droite, la troisième à gauche de l’escalier.
D’un coup d’œil, Pardaillan se rendit compte de cette disposition. Il eut une moue significative et murmura:
– Si ces portes sont fermées, me voilà pris comme un rat dans une souricière.
Comme en bas, comme dans les couloirs, il se trouvait plongé dans une demi-obscurité qui, jointe à un silence funèbre, commençait à peser lourdement sur lui. Des sensations étranges l’assaillaient, un frisson parfois passait sur sa nuque. Confusément il se sentait pris dans il ne savait quel inextricable filet. Il regrettait presque d’avoir écouté l’homme qui lui avait conseillé d’éviter les rondes.
– J’aurais dû foncer, se dit-il rageusement. Je sais bien qu’il y avait les mousquets; mais bah!… ils m’auraient manqué!
Il se secoua pour faire tomber cette impression de terreur qui s’appesantissait sur lui. Il allait se diriger au hasard vers l’une des trois portes, lorsqu’il crut entendre un murmure étouffé sur sa gauche. Il changea de direction, s’approcha et entendit distinctement une voix qui disait:
– Eh bien! que fait-il?
«Espinosa! songea Pardaillan qui reconnut la voix. Voyons ce qui se trame là derrière.»
Et l’oreille collée contre la porte, il concentra toute son attention. Une deuxième voix inconnue répondait:
– Il erre dans le dédale des couloirs où il est perdu.
– Cornes du diable! gronda Pardaillan, ceci me concerne à n’en pas douter.
Et avec un sourire terrible:
– Si je me tire de ce mauvais pas, vous payerez cher votre trahison, M. d’Espinosa.
De l’autre côté de la porte, la voix d’Espinosa reprenait sur ce ton bref et impérieux qui lui était habituel:
– Les troupes?
– Cinq cents hommes, tous armés de mousquets, occupent cette partie du palais. Des postes de cinquante hommes gardent toutes les issues. Des rondes de vingt à quarante hommes sillonnent les corridors dans tous les sens, fouillent toutes les pièces. Si l’homme se heurte à l’une de ces rondes ou à l’un de ces postes, une décharge générale le foudroie… Il est irrémissiblement perdu; c’est comme si vous le teniez dans votre main, monseigneur. Fermez la main, l’homme est broyé!
– Tête et ventre! rugit Pardaillan exaspéré, c’est ce qu’il faudra voir!
Et dans sa tête, avec l’instantanéité de l’éclair, le plan d’évasion se dessinait net et précis, d’une simplicité remarquable: entrer brusquement, saisir Espinosa, lui mettre la pointe de l’épée sur la gorge et lui dire:
– Vous allez me conduire à l’instant hors de ce coupe-gorge ou sinon, foi de Pardaillan, je vous étripe avant que d’être broyé moi-même.
Tout cela n’était qu’un jeu pour lui, mais pour l’accomplir il fallait que la porte ne fût pas fermée à clef.
Et comme, chez lui, l’exécution suivait de près la pensée, il chercha aussitôt à ouvrir sans bruit.
– Tripes du diable! clama Pardaillan en lui-même, la porte est fermée!… L’enfoncer?… Peut-être!… Mais cela n’ira pas sans quelque bruit et, pendant ce temps, le noble Espagnol ne restera pas là à m’attendre stupidement.
Cependant Espinosa donnait ses ordres:
– Il faut l’acculer à la salle des tortures et l’obliger à y pénétrer.
– La torture! frissonna Pardaillan.
– C’est facile, monseigneur, fit la voix inconnue; l’homme est bien obligé de passer par les voies que nous laissons libres devant lui. Sans qu’il s’en doute, on l’y conduira comme avec la main et il ira se livrer de son chef.
– La torture! répéta Pardaillan flamboyant de colère, la pensée est digne de ce prêtre doucereux et félon. Mais, par Pilate! il ne me tient pas encore!
Et en disant ces mots, il appuya l’épaule contre la porte, s’arc-bouta solidement et, comme il allait pousser de toutes ses forces, il étouffa une clameur de joie et de triomphe.
La porte qu’il avait crue fermée ne l’était pas. Il n’eut qu’à la pousser et se rua dans la pièce.
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