Michel Zévaco - Les Pardaillan – Livre V – Pardaillan Et Fausta

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1590. À Rome, Fausta, après avoir mis au monde le fils de Pardaillan, bénéficie de la grâce du pape Sixte Quint, qui se prépare à intervenir auprès du roi d'Espagne Philippe II dans le conflit qui l'oppose à Henri IV roi de France. Fausta est investie d'une mission auprès de Philippe II: lui faire part d'un document secret par lequel le roi de France Henri III reconnaissait formellement Philippe II comme son successeur légitime sur le trône de France. En France, le chevalier de Pardaillan est investi par Henri IV, absorbé par le siège de Paris, d'une double mission: déjouer les manoeuvres de Fausta et obtenir de Philippe II la reconnaissance de la légitimité d'Henri de Navarre comme roi de France. Pardaillan et Fausta s'affrontent à Séville. Pardaillan est aidé dans sa lutte par Cervantès, qui reconnaît en lui le vrai Don Quichotte. Sortira-il vivant des traquenard tendus par le Grand Inquisiteur Don Espinoza et Fausta?

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Fausta pénétra dans la pièce, et alors seulement elle s’aperçut que Montalte ne l’accompagnait plus.

Elle eut un imperceptible froncement de sourcils, et regardant le dominicain en face:

– Où est le cardinal Montalte? fit-elle sans trouble comme sans surprise.

– Au moment de pénétrer dans le couloir Son Éminence a été arrêtée par un seigneur qui avait sans doute une communication urgente à lui faire, répondit le dominicain avec un calme parfait.

– Ah! fit simplement Fausta.

Et son œil profond scruta avec une attention soutenue le visage impassible du religieux et fit le tour de la pièce qu’il étudia rapidement.

C’était un cabinet de dimensions moyennes, meublé de quelques sièges et d’une table de travail placée devant l’unique fenêtre qui l’éclairait. Tout un côté de la pièce était occupé par une vaste bibliothèque sur les rayons de laquelle de gros volumes et des manuscrits étaient rangés avec un ordre parfait. L’autre côté était orné d’une grande composition enchâssée dans un cadre d’ébène massif, sans aucun ornement, d’une largeur démesurée, et représentait une descente de croix signée Coello [16].

Presque en face la porte d’entrée, il y avait une autre petite porte.

Fausta, sans hâte, alla l’ouvrir et vit une sorte d’oratoire exigu, très simple, sans issue apparente, éclairé par une fenêtre ogivale aux vitraux multicolores.

Elle ferma la porte et vint à la fenêtre du cabinet. Elle donnait sur une petite cour intérieure.

Le dominicain, qui avait assisté impassible à cette inspection minutieuse, quoique rapide, dit alors:

– Si l’illustre princesse le désire, je puis aller à la recherche de Son Éminence le cardinal Montalte et le ramener auprès d’elle.

– Je vous en prie, mon révérend, dit Fausta, qui remercia d’un sourire.

Le dominicain sortit aussitôt, pour la rassurer, laissa la porte grande ouverte.

Fausta vint se placer dans l’encadrement et constata que le dominicain reprenait paisiblement le chemin par où ils étaient venus. Elle fit un pas dans le couloir et vit que la porte par où ils étaient entrés était encore ouverte. Des ombres passaient et repassaient devant l’ouverture.

Rassurée sans doute, elle rentra dans le cabinet, s’assit dans un fauteuil, et attendit, très calme en apparence, mais l’œil aux aguets, prête à tout.

Au bout de quelques minutes, le dominicain reparut. Il poussa la porte derrière lui, d’un geste très naturel, et sans faire un pas de plus, très respectueux:

– Madame, dit-il, il m’a été impossible de rejoindre Son Éminence. Le cardinal Montalte a, paraît-il, quitté le palais en compagnie du seigneur qui l’avait abordé.

– S’il en est ainsi, dit Fausta en se levant, je me retire.

– Que dirai-je à monseigneur le grand inquisiteur?

– Vous lui direz que, seule ici, je ne me suis pas sentie en sûreté que j’ai préféré renvoyer à plus tard l’entretien que je devais avoir avec lui, dit froidement Fausta.

Et avec un accent de souveraine autorité:

– Reconduisez-moi, mon révérend.

Le dominicain ne bougea pas de devant la porte. Il se courba profondément et, toujours respectueux:

– Oserai-je, madame, solliciter une faveur de votre bienveillance? fit-il.

– Vous? dit Fausta étonnée. Qu’avez-vous à me demander?

– Peu de chose, madame… Jeter un coup d’œil sur certain parchemin que vous cachez dans votre sein, dit le dominicain en se redressant.

– Je suis prise! pensa Fausta, et c’est à Pardaillan que je dois ce nouveau coup, puisque c’est lui qui leur a révélé que j’avais le parchemin sur moi.

Et, tout haut, avec un calme dédaigneux:

– Et si je refuse, que ferez-vous?

– En ce cas, dit paisiblement le dominicain, je me verrai contraint de porter la main sur vous, madame.

– Eh bien, venez le chercher, dit Fausta en mettant la main dans son sein.

Toujours impassible, le religieux s’inclina, comme s’il prenait acte de l’autorisation qu’elle lui donnait, et fit deux pas en avant.

Fausta leva le bras, soudain armé d’un petit poignard qu’elle venait de prendre dans son sein, et d’une voix calme:

– Un pas de plus et je frappe, dit-elle. Je vous avertis, mon révérend, que la lame de ce poignard est empoisonnée et que la moindre piqûre suffit pour amener une mort foudroyante.

Le dominicain s’arrêta net, et quelque chose comme un sourire énigmatique passa sur ses lèvres.

Fausta devina plutôt qu’elle ne vit ce sourire. Elle eut un rapide regard circulaire et se vit seule avec le religieux, la petite porte, qu’elle avait fermée elle-même, toujours close derrière elle.

Elle fit un pas en avant, le bras levé, et:

– Place! dit-elle impérieusement, ou, par le Ciel, tu es mort!

– Vierge sainte! clama le dominicain, oseriez-vous frapper un inoffensif serviteur de Dieu?

– Ouvre la porte alors, dit froidement Fausta.

– J’obéis, madame, j’obéis, fit le religieux d’une voix tremblante, tandis qu’avec une maladresse visible il s’efforçait vainement d’ouvrir la porte.

– Traître? gronda Fausta, qu’espères-tu donc?

Et elle leva le bras dans un geste foudroyant.

Au même instant, par derrière, deux poignes vigoureuses saisirent le poing levé tandis que deux autres tenailles vivantes paralysaient son bras gauche.

Sans opposer une résistance qu’elle comprenait inutile, elle tourna la tête et se vit aux mains de deux moines taillés en athlètes.

Ses yeux firent le tour du cabinet. Rien ne paraissait dérangé. La petite porte était toujours fermée. Par où étaient-ils entrés? Évidemment le cabinet possédait une, peut-être plusieurs issues secrètes. Peu importait d’ailleurs; ce qui importait pour elle, c’est qu’elle était en leur pouvoir, et que, cependant, il lui fallait se tirer de là coûte que coûte.

Spontanément, elle laissa tomber le poignard, inutile maintenant. L’arme disparut, subtilisée, escamotée avec une promptitude et une adresse rares, et dès qu’elle fut désarmée, les deux moines, avec un ensemble d’automates, la lâchèrent, reculèrent de deux pas, passèrent leurs mains noueuses dans leurs larges manches et s’immobilisèrent dans une attitude méditative.

Le dominicain se courba devant elle avec un respect où elle crut démêler elle ne savait quoi d’ironique et de menaçant, et de sa voix calme et paisible:

– L’illustre princesse voudra bien excuser la violence que j’ai été contraint de lui faire, dit-il. Sa haute intelligence comprendra, je l’espère, que je n’y suis pour rien… Que suis-je, moi, humble et chétif? Un instrument aux mains de mes supérieurs… Ils ordonnent, j’obéis sans discuter.

Sans manifester ni colère ni dépit, avec un dédain qu’elle ne chercha pas à cacher, Fausta approuva de la tête.

– Cet homme a dit le mot exact, réfléchit-elle. Lui et ses acolytes ne sont que des instruments. Ils n’existent pas pour moi. Dès lors, à quoi bon discuter ou récriminer? C’est au-dessus d’eux qu’il me faut chercher qui je dois rendre responsable. Ce n’est pas le roi: le roi m’eût fait arrêter tout uniment. Le coup vient donc du grand inquisiteur. C’est avec lui qu’il me faudra compter.

Et s’adressant au dominicain, très calme:

– Que voulez-vous de moi?

– J’ai eu l’honneur de vous le dire, madame: le parchemin que vous avez là…

Et, du doigt, le dominicain montrait le sein de Fausta.

– Vous avez ordre de le prendre de force, n’est-ce pas?

– J’espère que l’illustre princesse m’épargnera cette dure nécessité, fit le religieux en s’inclinant.

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