– Et voilà ce qu’il ne faut pas faire, Henri! dit vivement la vieille reine. Si je vous prouve que Guise est parjure, qu’il veut vous tuer, que vous devez tuer pour ne pas mourir, si je prouve cela, sire, il faut plus que jamais le caresser! Il faut ruser, patienter, attendre le moment favorable et préparer nos filets de sorte que ni lui ni aucun des siens ne nous échappe. Sire, c’est ici une nouvelle Saint-Barthélémy qu’il nous faut! Les trois Lorrains doivent mourir, si vous voulez vivre! Les chefs de la Ligue doivent mourir! Tous ces insolents ligueurs qui vous rient au nez doivent mourir!… Laissez-moi faire… Laissez-moi tout préparer, tout combiner!… Il suffira qu’au dernier moment vous donniez l’ordre et le signal… Adieu, mon fils. Méditez mes paroles… et puisqu’il s’agit de semer la mort autour de nous, laissez agir celle qui sent la mort!…
En même temps qu’elle parlait, Catherine s’était lentement reculée vers la porte… en sorte qu’aux derniers mots elle parut s’effacer, s’évanouir dans l’ombre… Et à ce moment, dans le grand silence qui pesait sur le château de Blois, la grande horloge se mit à sonner.
Henri haletant, les cheveux collés au front par la sueur, compta les coups…
– Minuit! murmura-t-il quand le bronze à son tour eut fait silence. L’heure où les morts sortent de leurs tombes… Est-ce bien ma mère… est-ce un spectre qui était là, à l’instant, et qui vient de me dire ces terribles paroles: tuer!… Toujours tuer!…
Dans cette seconde, une clameur étouffée parvint jusqu’à Henri III, une plainte au loin traversa l’espace… quelque chose comme le cri d’agonie d’un homme qu’on tue… Les cheveux d’Henri se dressèrent sur sa tête.
Il demeura immobile à la même place, à demi penché, haletant.
Il écouta… Mais la plainte ne se renouvela pas. Le triste silence de novembre enveloppait toutes choses, comme si les brouillards de la Loire eussent ouaté la ville et la campagne. Dans le château, ce silence était plus lourd encore, et nul ne semblait s’être inquiété de ce cri d’homme qu’on égorge…
Alors une sorte de terreur superstitieuse s’empara du roi… Il lui sembla que c’était lui-même qui, dans la nuit, avait poussé cette plainte… Et que c’était lui qu’on égorgeait… Un faible soupir gonfla sa poitrine, et il s’évanouit dans son fauteuil…
XXVIII LES FOSSÉS DU CHÂTEAU
Or, en ce même dimanche dont nous venons d’esquisser la soirée, tandis que se passaient les événements que nous venons de raconter, une autre scène bien différente se déroulait dans une autre partie de la ville.
Vers quatre heures et demie, en effet, c’est-à-dire à l’heure où la nuit commençait à tomber et où déjà le crépuscule s’étendait sur la campagne de Blois, un moine monté sur une mule s’approchait au petit trot de la porte de la ville. Ce moine n’était autre que le frère portier du couvent des jacobins, celui-là même que le prieur Bourgoing avait chargé d’une mission de confiance pour la duchesse de Montpensier.
Frère Timothée avait plus d’une fois déjà servi de messager au prieur Bourgoing, et il avait mainte expédition sur ses états de service. C’était un ancien reître qui avait fait les guerres de religion et n’avait pas encore tout à fait dépouillé le vieil homme. C’est-à-dire qu’il avait conservé des habitudes de pillard qui lui avaient été fort chères dans sa jeunesse.
Frère Timothée, donc, monté sur sa mule, avait fait le voyage de Blois en sept jours, c’est-à-dire sans trop se presser; d’abord parce qu’il lui était recommandé de ne pas dépasser Jacques Clément, ensuite parce qu’il avait fait des stations innombrables dans les auberges du chemin, surtout dans celles où les servantes se montraient disposées à répondre à ses grosses plaisanteries.
Lorsqu’il arriva enfin en vue de Blois, par une brumeuse soirée de novembre, le soleil venait de se coucher, et la nuit venait rapidement, en sorte qu’il entra dans la ville comme on allait fermer les portes. À l’intérieur des murs, frère Timothée mit pied à terre, et traînant sa mule par la bride, s’en alla par les rues, au hasard, à la recherche d’une auberge qui fût à sa convenance.
Notre homme avisa une auberge qui se trouvait placée, par son enseigne, sous la protection du grand saint Matthieu, protection qui devait être des plus efficaces à en juger par le nombre de gentilshommes qui montaient le perron, par l’activité qui régnait dans la grande salle, par le bruit joyeux des pots, et par les fumets qui s’échappaient de la cuisine. Le moine s’approcha en reniflant ces odeurs qui sont si chères au voyageur affamé.
Mais ayant jeté par la fenêtre grillée du rez-de-chaussée un coup d’œil dans la grande salle, il poussa un soupir en constatant que cette auberge n’était point le fait d’un pauvre moine.
Autour des tables chargées de venaisons fumantes, de pâtés, de volailles dorées, de cruches de vin, une quarantaine de gentilshommes avaient pris place et jurant, sacrant, pinçant les servantes, riant à gorge déployée, s’interpellant les uns les autres, faisaient joyeuse ripaille. Ces gentilshommes étaient tous de la suite de Guise, et leur conversation qui roulait sur les états généraux, tantôt sur le roi lui-même, était pleine de sous-entendus menaçants à l’adresse d’Henri III.
Le moine n’entendait rien. Mais il voyait les visages illuminés par le vin, les pourpoints qui se dégrafaient, les mâchoires qui fonctionnaient avec frénésie, et il se disait:
– Ce doit être bien bon!…
À ce moment, comme il poussait un deuxième soupir et qu’il allait se remettre en quête d’une auberge plus modeste, il tressaillit, et ses yeux se fixèrent sur un gentilhomme qui, assis à l’écart à une table où cinq ou six couverts étaient dressés, attendait sans doute des convives pour commencer à dîner.
– Que vois-je? murmura le moine dont le cœur – c’est-à-dire l’estomac – se mit à battre d’espoir. Ne serait-ce pas ce bon M. de Maurevert? Ce fidèle ami de notre grand Henri?… C’est bien lui, de par saint Matthieu, patron de cette auberge!… Aussi, comme je ne connais personne en cette ville et comme je puis très bien me confier à M. de Maurevert qui est un de nos fidèles, un intime du révérend Bourgoing, je vais lui demander où je pourrai bien trouver la duchesse de Montpensier… Et comme il m’estime, peut-être m’invitera-t-il à partager avec lui les choses succulentes dont, selon toute vraisemblance, il va se nourrir ce soir… Allons!…
Cela dit, frère Timothée, qui en sa double qualité d’ancien reître et de moine était doublement impudent, attacha sa mule à l’un des anneaux du perron, entra majestueusement dans la salle, et le visage épanoui par l’accent circonflexe immense d’un sourire qui allait d’une oreille à l’autre, il se dirigea droit vers Maurevert.
Maurevert qui, en effet, était en relations suivies avec le prieur Bourgoing, de même que les gentilshommes du service de Guise, reconnut parfaitement le frère portier des jacobins. L’entrée de frère Timothée était d’ailleurs demeurée inaperçue dans le nombre de gens qui allaient, entraient, sortaient.
– Ah! monsieur le marquis de Maurevert, commença le moine, la bouche en cœur et les yeux luisants.
– Je ne suis pas marquis, fit Maurevert.
– Monsieur le baron, alors, je suis bien heureux…
– Je ne suis pas baron, interrompit Maurevert.
Le moine qui avait mis dans sa tête que Maurevert payerait l’écot de son dîner, ne se laissa pas intimider par cet accueil sévère. Tirant donc à lui un escabeau, il s’assit sans y être invité.
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