– Chère et douce compagne de captivité, murmura-t-elle. Nous sommes donc libres!… Au prix de quelles horreurs, hélas!… Mais comment avez-vous échappé à l’abominable supplice?…
Violetta levant son visage baigné de larmes reconnut Jeanne Fourcaud, se leva et se jeta dans ses bras en sanglotant:
– Mon père est mort!…
C’était en effet la fille de Belgodère [8].
Au moment où se produisait la collision entre Fausta et Sixte-Quint, elle s’était relevée, épouvantée du rôle inconscient qu’elle avait joué dans cette tragédie. Le cri du cardinal Farnèse, les plaintes déchirantes de Léonore prosternée au pied de la croix, lui avaient appris que Fausta avait menti, qu’elle n’était nullement la fille de la bohémienne Saïzuma… Alors, affolée par le spectacle qu’elle avait sous les yeux, elle avait traversé le jardin en courant, était arrivée à l’abbaye, avait trouvé une porte ouverte et, sans savoir, poussée par l’épouvante, se retrouva sous la voûte, vit le grand portail ouvert et s’élança au dehors. Elle passa près du cadavre de Belgodère – son père! – sans le voir.
Le duc d’Angoulême vit un secours dans l’arrivée de cette belle enfant qu’il ne connaissait pas, mais qui semblait aimer tendrement sa fiancée. Il glissa quelques mots à l’oreille de Jeanne Fourcaud, qui entraîna Violetta loin du pauvre corps du bourreau enfin rendu à la paix qu’il avait en vain cherchée toute sa vie.
Quelques paysans du hameau s’étaient approchés… Charles leur fit signe, et moyennant une pièce d’or, obtint qu’ils enlevassent le cadavre, qui fut déposé dans une chambre. Quant à celui de Belgodère, il fut enterré à l’endroit même où il était tombé.
Tandis que Jeanne Fourcaud, dans la chaumière où reposait le corps de maître Claude, essayait de consoler Violetta, Charles d’Angoulême s’était rapproché de l’entrée de l’abbaye. Inquiet de Pardaillan, il allait pénétrer dans l’intérieur du couvent lorsqu’il le vit apparaître.
Le chevalier semblait fort calme. Mais Charles connaissait bien cette physionomie. Et à certains signes, il vit que Pardaillan devait être bouleversé par quelque violente émotion, qu’il attribua à la scène de l’esplanade. Il se contenta donc de le mettre au courant de ce qui venait de se passer près de la source.
– Bien, dit Pardaillan, qui hocha la tête, vous n’avez plus, monseigneur, qu’à conduire votre fiancée à Orléans. Votre figure radieuse sous le mince bistre de tristesse qui la couvre, me dit assez que vous êtes au seuil du bonheur. Le bonheur, mon cher, est un fantastique palais où il faut se hâter d’entrer dès qu’on le peut. Si on hésite un instant, le palais s’effondre comme les nuages qu’on voit quelquefois, château maintenant, désert tout à l’heure… Rendez donc les derniers devoirs à ce malheureux, et partez avec Violetta…
– Et vous, cher ami?… Je vous préviens que je ne pars pas sans vous…
– Il le faut, dit Pardaillan. Vous partez, moi je reste. D’ailleurs, notre séparation ne sera pas longue. Dès que j’aurai terminé à Paris certaine affaire qui m’y retient, je viendrai vous chercher à Orléans. Mais, au nom du diable, n’hésitez pas…
Après une brève discussion, Charles dut se rendre à l’évidence. Il lui fallait, de toute nécessité, mettre Violetta en sûreté parfaite; et sur la promesse que le chevalier viendrait le chercher bientôt à Orléans, il se jeta dans ses bras pour lui faire ses adieux. Puis, non sans se retourner plusieurs fois vers le chevalier demeuré près du portail, il s’éloigna le cœur serré, des larmes aux yeux et, malgré toutes les promesses de Pardaillan, avec le triste pressentiment qu’il ne le reverrait plus…
Il regagna la chaumière où Violetta pleurait près du corps de Claude, tandis que Jeanne Fourcaud essayait en vain de la consoler.
Le duc d’Angoulême passa cette journée à se procurer une litière pour sa fiancée et un cheval pour lui. Le lendemain matin, au lever du soleil, maître Claude fut enterré. Sur le tumulus qui recouvrait son corps, Violetta agenouillée pleura longtemps. Enfin, Charles parvint à l’arracher à ce coin de terre et la fit monter dans la litière où Jeanne Fourcaud prit également place. Lui-même sauta en selle. Et la petite troupe se mit en route pour contourner Paris et rejoindre la route d’Orléans.
Comme la litière s’ébranlait, le duc d’Angoulême vit surgir près de son cheval deux grands diables qu’il reconnut aussitôt, surtout Picouic, grâce auquel il avait pu arriver à temps pour sauver Violetta.
Picouic, en effet, avait eu la pensée de se rendre à tout hasard à l’auberge de la Devinière , et étant entré dans Paris à l’ouverture des portes, il avait trouvé dans l’auberge Pardaillan et Charles qui s’apprêtaient déjà en vue du rendez-vous que Maurevert leur avait assigné pour ce jour-là même… Nos lecteurs devinent le reste.
Picouic et Croasse, donc, après la scène terrible qui s’était déroulée près du pavillon de l’abbaye, s’étaient rejoints, avaient vu le duc d’Angoulême dans ses allées et venues et avaient fait leur plan en conséquence. Ils assistèrent à l’enterrement de Claude, et lorsqu’ils virent le jeune duc prêt à partir, s’approchèrent de lui.
– Monseigneur, cria Picouic, ne nous abandonnez pas!…
Charles fut ému de pitié… et après tout, c’était à Picouic qu’il devait en partie son bonheur présent.
– Vous voulez donc venir avec moi?
– Au bout du monde! dit Picouic.
– Eh bien, dit Charles, qui avec un sourire leur jeta quelque argent, voici pour faire la route d’ici à Orléans. Une fois à Orléans, venez me trouver, et si mon service vous plaît, eh bien, vous resterez avec moi…
Les deux compagnons se confondirent en bénédictions et prirent d’un pas allègre le chemin que Charles suivait à cheval… La litière qui contenait Violetta et Jeanne Fourcaud arriva sans incident à Orléans, escortée par Charles, le soir du cinquième jour. Trois jours plus tard, les deux compagnons de misère y faisaient également leur entrée, et Picouic disait à Croasse:
– Je crois que cette fois, nous entrons vraiment dans la vie de cocagne…
XVII LA RECONNAISSANCE DE FAUSTA
Force nous est maintenant de revenir de quelques heures en arrière, c’est-à-dire au moment même où Pardaillan voyait Charles envelopper Violetta dans le manteau de la bohémienne Saïzuma, la soulever dans ses bras et l’emporter.
Le premier mouvement du chevalier fut de suivre le jeune duc. En effet, Violetta sauvée, le reste ne le regardait plus. Une pensée, à cet instant, fulgura dans son cerveau:
«Maurevert!…»
Maurevert, sans aucun doute, savait ce qui devait se passer dans l’abbaye!… Maurevert lui avait donné rendez-vous pour ce jour-là, à midi, près de la porte Montmartre, et lui avait dit:
– Non seulement je vous dirai où se trouve la petite chanteuse, mais vous conduirai à elle… vous la verrez!…
Dans un éclair, Pardaillan vit la pensée de Maurevert avec cette livide clarté qui peut, dans la nuit, montrer les bords du précipice où l’on s’acheminait.
Si Maurevert lui avait donné rendez-vous près de la porte Montmartre, c’était pour le conduire à l’abbaye! Si le rendez-vous était à midi, c’était pour qu’il arrivât plus tard!…
Oui, dans le plan de Maurevert, lui et le jeune duc devaient voir la petite chanteuse… mais ils ne devaient la voir que vers une heure de l’après-midi, alors qu’elle avait été crucifiée à neuf heures du matin!… Ils ne devaient la voir que sur la croix… expirante, ou même déjà morte!…
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