Ceci était admirable… Ceci confirmait si bien la bonne volonté de Maurevert, cela concordait si exactement avec tout ce que pouvait supposer Pardaillan de nouvelles tentatives que ferait Guise contre Henri III, qu’en effet la chose parut limpide au chevalier et au jeune duc.
– Que la jeune fille soit à Blois, continua Maurevert, ceci est de toute impossibilité. Le duc ne l’aurait pas envoyée si loin de lui, ni en un lieu où peuvent surgir… des dangers de toute nature. Mais à Blois, messieurs, je trouverai l’homme qui sait. Or cet homme, messieurs, n’a rien à me refuser, et quand je lui aurai dit que ma vie dépend du renseignement que je lui demande, à l’instant même j’aurai l’indication voulue… Et alors, messieurs, je vous le répète; je me fais fort de vous conduire auprès de celle que vous cherchez…
Charles regarda Pardaillan. Et ce regard voulait dire:
– Il n’y a pas à hésiter…
C’était aussi l’avis du chevalier.
– Vous dites dix jours? demanda-t-il à Maurevert.
– Jour pour jour… dans dix jours à partir d’aujourd’hui, à midi sonnant, vous me reverrez à Paris… tenez… je vous attendrai hors des murs, aux environs de la porte Montmartre.
– Nous sommes au douze d’octobre… le vingt et un, à midi, aux environs de la porte Montmartre, nous y serons, monsieur…
– Puis donc partir, messieurs? demanda Maurevert avec une sorte d’humilité.
– Partez, monsieur, répondit Pardaillan, de cette voix rude qu’il avait depuis quelques minutes.
Maurevert sauta en selle.
– À vous revoir, messieurs, le vingt et un d’octobre à midi, dit-il alors. J’entreprends une besogne difficile et périlleuse. Mais y eût-il mille difficultés, mille dangers, ce serait encore avec joie que je l’entreprendrai car le souvenir de la journée d’hier ne s’effacera jamais de mon cœur.
Aussitôt, il mit son cheval au petit galop et s’éloigna pour rejoindre directement la route de Blois. Pardaillan, pensif, le regarda tant qu’il put le voir.
– Que dites-vous de cela? lui demanda alors le jeune duc.
– Je dis, fit Pardaillan en passant une main sur son front, que cet homme est moins mauvais que je n’avais supposé…
– Il prend bien la route de Blois…
– La route du pardon! murmura Pardaillan.
Maurevert, en effet, avait bien pris la route de Blois… Il n’était nullement pressé d’arriver… Pour la première fois depuis de longues années, il respirait librement… Il s’en allait donc tantôt au pas, tantôt au petit galop de chasse, parfois tombant dans une méditation profonde, tantôt considérant avec une sorte d’étonnement joyeux la campagne inondée par le beau soleil d’automne, les frondaisons d’un vert sombre où déjà apparaissaient quelques feuilles cuivrées qui faisaient des taches de rouille sur les feuillages… Il découvrait la nature. Il se surprenait à arrêter son cheval pour contempler quelque site… Et tout cela, c’était la joie de se sentir vivant, de comprendre qu’il avait longtemps à vivre encore… vivre sans terreur!…
Le soir, à l’auberge où il s’arrêta pour passer la nuit, il se montra plein de gaieté, tapota les joues de la servante, paya généreusement, but des meilleurs vins, en sorte que les gens de l’auberge se dirent:
– Voilà, certes, un galant gentilhomme; c’est bénédiction de servir des gens aussi heureux de vivre et qui mettent du bonheur partout où ils passent…
À peine au lit, Maurevert s’endormit profondément. Il eut ce sommeil charmant où l’on se sent dormir sans crainte. Il ne mit ni pistolet ni poignard sur une table près de lui. Il laissa sa porte ouverte. Il ne se réveilla pas en sursaut le visage inondé de sueur en criant d’une voix rauque: «Qui va là!»… Il ne s’assura pas qu’on ne pouvait pas le surprendre tandis qu’il dormait. Enfin, il s’endormit sans soucis…
Lorsqu’il se réveilla, le soleil inondait sa chambre. Il s’habilla sans hâte, sifflotant entre ses dents. Et il repartit.
En route, il saluait le bûcheron qui passait, ou la paysanne traînant son âne par la bride, d’un mot joyeux et quelquefois d’une pièce de monnaie. Jamais il ne s’était vu ainsi… Ce furent les jours les plus charmants de sa vie. Seulement, parfois il frissonnait tout à coup; ses yeux s’ensanglantaient; un rire abominable crispait ses lèvres… Et alors il murmurait:
– Le vingt et un d’octobre, à midi! Ah! comme c’est encore loin!…
Le lendemain du jour où Maurevert s’était mis en route pour Blois, Fausta sortit de son palais en litière fermée, sans escorte. Elle portait un vêtement sombre où il y avait comme de la modestie.
La litière s’arrêta sur la place de Grève, près du fleuve. Fausta, sans prendre les précautions dont elle s’entourait toujours, marcha vers la maison où nous avons à diverses reprises introduit le lecteur. Elle allait, seule et lente, comme si elle eût espéré être aperçue des fenêtres de cette maison.
Elle heurta le marteau, patiemment, à plusieurs reprises, jusqu’à ce qu’un homme, enfin, vint ouvrir. Cet homme, ce n’était pas celui qu’elle avait placé là, naguère; dans la maison, il n’y avait plus une créature à elle…
– Je viens, dit-elle, pour consulter Son Éminence le cardinal Farnèse…
Le serviteur la regarda avec étonnement et répondit:
– Vous vous trompez, madame. Celui que vous dites n’est pas ici. Il n’y a d’ailleurs dans toute la maison que moi qui suis chargé de la garder.
Fausta sourit.
– Mon ami, dit-elle, allez dire à votre maître que la princesse Fausta veut lui parler…
– Madame, reprit l’homme en s’inclinant profondément, je vous jure que vous vous trompez…
– Mon ami, dit Fausta, allez dire à votre maître que je viens lui parler de Léonore de Montaigues…
Alors, au fond de l’ombre que formait la voûte du porche, quelqu’un se détacha, s’approcha lentement, écarta le serviteur, et d’une voix qui tremblait:
– Daignez entrer, madame, dit-il.
– Je vois, cardinal, que vous êtes très bien gardé, dit Fausta en souriant.
Et elle tendit au serviteur une bourse pleine d’or.
Cette ombre, qui venait de s’avancer, cet homme aux yeux pleins de feu et de passion, mais aux cheveux et à la barbe devenus entièrement blancs, ce cavalier vêtu de noir qui portait sur son visage la trace d’une incurable douleur, c’était, en effet, le prince Farnèse. Il offrit la main à sa visiteuse qui s’y appuya, et, ensemble, ils montèrent au premier étage, dans cette large salle spacieuse qui donnait sur la place de Grève.
Fausta, tout naturellement et comme s’il n’y eût pas d’autre place possible pour elle, alla s’asseoir dans le fauteuil d’ébène recouvert d’un dais qui avait des allures de trône. Quelques instants, elle contempla avec mélancolie le cardinal qui, debout devant elle, frémissant, attendant qu’elle parlât… qu’elle parlât de Léonore!…
– Cardinal, dit Fausta de cette voix d’une si enveloppante douceur, en vain vous essayez de me fuir. Oh! je sais que vous ne craignez pas la mort. Vous avez voulu vivre pour la revoir… elle!… Mais pourquoi vous écarter de moi?… Vous étiez en mon pouvoir. Notre tribunal vous avait condamné. Je n’avais qu’à vous laisser mourir… Et cependant, je vous ai rendu à la vie et à la liberté… C’est que je vous aimais encore malgré votre trahison, Farnèse!… C’est que je me souvenais que, le premier, vous avez cru à mes destinées, le premier, vous m’avez salué d’un titre qui m’écrase… C’est vous enfin qui m’avez conduite au sein du conclave secret!…
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