Charles IX trempa ses doigts dans l’aiguière, puis, comme s’il eût craint de faire affront à Notre-Dame en dédaignant son eau bénite, il recommença l’opération en trempant sa main dans le bénitier de l’église.
Et il se signa lentement, jetant un regard oblique sur Henri.
Le chef des huguenots comprit que tous les yeux étaient fixés sur lui, et qu’on attendait qu’il fît le signe de croix…
– Mon cousin, s’écria-t-il à demi-voix, que voilà donc une superbe assemblée d’évêques. Béni par un aussi grand nombre de saints, mon mariage ne peut manquer d’être heureux.
En parlant ainsi, le Gascon gesticulait gravement avec sa main, de façon qu’on pût à la rigueur admettre qu’il s’était signé. Charles IX sourit faiblement et se dirigea vers son trône.
Le cortège, peu à peu, s’entassa dans l’énorme nef qui, dans le scintillement des milliers de cierges, dans le cadre immense des tentures brodées qui tombaient du haut des voûtes, dans la clameur des cloches, des chants solennels et des trompettes, présenta alors un spectacle d’une magnificence inouïe.
Au dehors, les vociférations éclataient à ce moment plus menaçantes, et le bruit du peuple, semblable au bruit de l’Océan par les heures de tempête, faisait frissonner Charles IX qui, livide, écoutait:
– Vive Guise! Vive le capitaine général!…
Voici ce qui se passait:
Les huguenots, au nombre d’environ sept cents gentilshommes, venaient de mettre pied à terre devant le grand porche.
Mais au lieu d’entrer dans l’église, ils s’étaient arrêtés, silencieux, ou formant des groupes qui causaient entre eux à voix basse, sans paraître entendre les hurlements.
– À la messe! à la messe! vociféra Pezou.
– Les maudits ne veulent pas entrer! rugit Kervier.
– Ils y entreront bientôt malgré eux! tonna Crucé d’une voix éclatante.
Cette menace directe provoqua un délire d’enthousiasme dans le groupe qui occupait les marches, tandis qu’au loin la foule, ne sachant de quoi il s’agissait, riait en criant:
– Les damnés huguenots sont à la messe! Vive la messe!…
Seuls trois huguenots avaient pénétré dans l’église. Le premier, c’était l’amiral Coligny, qui avait dit tout haut:
– Ici, ce ne peut être un champ de bataille comme un autre…
Et le vieux politique était entré en redressant sa haute taille, et en se plaçant près du roi de Navarre, comme s’il eût vraiment marché à la bataille.
Le deuxième, c’était le jeune prince de Condé qui, se penchant vers l’oreille du Béarnais, avait murmuré:
– La pauvre défunte reine m’a enjoint de ne vous quitter jamais, ni au camp, ni à la ville, ni à la cour.
Le troisième, c’était Marillac.
Marillac ignorait s’il était dans une église et à quelle cérémonie il assistait. Marillac ne savait qu’une chose: c’est que depuis deux jours, en témoignage de son affection et pour avoir le droit de la protéger, la reine mère avait reçu Alice de Lux parmi ses filles d’honneur.
Alice devait donc être dans Notre-Dame; il y entra. Il fût entré en enfer. Il la vit en effet.
Elle était tout près de la reine, à poste tel que seule une grande faveur soudaine et inexpliquée pouvait faire concevoir qu’Alice eût cette place dans une pareille cérémonie. Elle était habillée de blanc. Elle était toute pâle. Ses yeux étaient baissés. Elle parut à Marillac mille fois plus adorable.
Dans la lueur des cierges, en cette attitude de modestie charmante qui la faisait trembler, elle était toute virginale…
«À quoi pense-t-elle?» songeait-il en la dévorant des yeux.
Alice, à ce moment, songeait ceci:
«Ce soir. Oh! ce soir, à minuit, j’aurai enfin la lettre! l’infernale lettre qui me faisait la serve de Catherine! Ce soir, je serai libre, ah! libre… ô mon amant, comme je vais t’aimer… nous partirons, demain, dès la première heure… et le bonheur, enfin, commencera pour moi.»
Ainsi, en cette matinée où elle croyait toucher à la liberté, c’est-à-dire à l’amour, au bonheur, Alice n’avait pas une pensée pour le pauvre petit être abandonné, pour son fils, pour Jacques Clément!
Jeanne de Piennes fut une admirable mère, elle ne fut que mère. Alice de Lux ne fut qu’amante…
La reine Catherine était assise à gauche du maître-autel, sur un trône un peu plus bas que celui du roi, placé à droite. Autour d’elle, ses filles d’honneur préférées sur des sièges en velours blanc, brochée d’or. Derrière elle, c’était une grande tenture de velours bleu parsemé de fleurs de lis.
Derrière cette tenture, nul ne pouvait voir un moine qui se tenait debout dans l’ombre: c’était l’envoyé du pape, Salviati. Il était à demi penché vers la reine qui semblait très attentive à lire dans son livre d’heures, magnifique missel enfermé dans une reliure d’or ciselé.
– Vous partirez aujourd’hui même, disait Catherine du bout des lèvres.
– Et que dois-je rapporter au Saint-Père? Que vous faites la paix avec les hérétiques? Que leur chef et roi naturel est entré à Notre-Dame sans se signer? Que le roi de France a mis dix mille hommes sur pied pour protéger les huguenots? Dites, madame, est-ce cela que je dois rapporter? Et que vous assistez impuissante, bienveillante peut-être, à la conquête lente et sûre du royaume de France par la Réforme?
Catherine, répondit:
– Vous rapporterez au Saint-Père que l’amiral Coligny est mort!
Salviati tressaillit.
– L’amiral! fit-il. Le voilà là, à trente pas de nous, plus hautain que jamais.
– Combien de jours vous faut-il pour atteindre Rome?
– Dix jours, madame, si j’ai des nouvelles intéressantes…
– Eh bien! L’amiral sera mort dans cinq jours.
– Et qui le prouvera? demanda rudement le moine.
– La tête de Coligny que je vous enverrai, répondit Catherine sans émotion.
Salviati, tout cuirassé qu’il fût contre la pitié, ne put s’empêcher de frissonner. Mais déjà Catherine ajoutait:
– Vous direz donc au Saint-Père que l’amiral n’est plus. Dites-lui aussi qu’il n’y a plus de huguenots à Paris.
– Madame!…
– Qu’il n’y a plus de huguenots en France! termina Catherine d’une voix funèbre.
En même temps, elle s’agenouillait sur son prie-Dieu et se prosternait. Salviati avait lentement reculé en passant une main sur son front. Il regagna sans être remarqué la place que le cérémonial officiel lui désignait. Mais alors, chacun put observer que l’envoyé de Sa Sainteté Grégoire XIII était pâle comme un mort.
Nul, disons-nous, n’avait remarqué son manège, excepté toutefois une personne qui paraissait plongée dans la plus évangélique méditation, mais qui, manœuvrant son spirituel regard à droite et à gauche, ne perdait pas un détail de ce qui se passait autour d’elle.
Et cette personne, c’était l’épousée elle-même – la sœur de Charles IX, la fille aînée de Catherine.
Savante, sceptique, supérieure à son époque, capable de soutenir une conversation suivie en latin et même en grec, éprise de littérature, de mœurs faciles, Marguerite était l’antithèse vivante de sa mère. Elle avait horreur des violences, horreur du sang versé, horreur de la guerre. On peut sans doute lui reprocher d’avoir considéré la vertu domestique comme un préjugé; on peut lui reprocher ses innombrables amants; Brantôme, qui fut la mauvaise langue de ce temps, nous laisse entrevoir que Margot poussa l’adultère jusqu’à l’inceste; on assure que le duc de Guise fut son amant; l’infortuné La Môle eut aussi sa part de ses faveurs, et enfin, on dit que son propre frère, le duc d’Alençon… Mais nous voulons seulement retenir que Margot, jusque dans ses débauches, conserva une élégance d’attitude et d’esprit qui lui font pardonner bien des choses.
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