Catherine sourit. Et qui l’eût vue sourire à ce moment eût vraiment cru qu’elle convenait d’une partie de plaisir avec un des mignons de son fils d’Anjou.
Maurevert se retira la tête en feu, la gorge sèche, avec une joie effroyable dans le cœur.
– Voilà qui se dessine, murmura Catherine de Médicis… Monsieur l’amiral, dites un pater et un ave , si toutefois vous savez vos prières… Quant à ces deux spadassins, je saurai quel secret Damville voulait leur arracher… il y a justement dans la chambre des tortures du Temple un cabinet noir où je serai à merveille pour tout voir et tout entendre.
À ce moment, Paola, la suivante florentine, entra et dit:
– Madame, M. le comte de Marillac est dans vos antichambres qui s’entretient vivement avec M. de Nancey.
Le sourire de la reine demeura figé sur ses lèvres.
– Et que veut-il, ce cher comte?
– Je crois qu’il prie le capitaine de demander pour lui une audience immédiate à Votre Majesté.
– Eh bien, va dire qu’on peut l’introduire.
Et son sourire se fit plus doux encore, plus paisible, d’une expression plus sereine, tandis qu’elle grondait:
– Que ne puis-je te faire arrêter, toi aussi. Ce serait si simple!… Oui… mais s’il parlait!… Non, non… Patience, patience… encore un jour!… Si je le tuais maintenant, d’ailleurs, cette pécore d’Alice serait capable… Allons donc! je les tiens tous les deux! ne gâtons rien!… Bonjour, mon cher comte… on me dit que vous désirez m’entretenir, et vous le voyez, je remets à plus tard les affaires de l’État pour vous recevoir sur le champ.
En effet, Marillac venait d’entrer.
La reine écarta de la main les lettres qui étaient devant elle.
Le comte, pâle, agité, violemment ému, s’approcha sur un signe qu’elle lui adressa.
– Voyons, reprit celle-ci, qu’êtes-vous venu me demander?…Si tout est prêt pour la cérémonie de demain soir? Ne craignez rien, ami, j’ai trop de souci de votre bonheur…
Marillac fléchit le genou.
– Votre Majesté, dit-il d’une voix tremblante, me comble d’une telle bienveillance que je serais ingrat de douter… Non, madame, ce n’est pas de moi qu’il s’agit. Je suis venu demander grâce.
– Grâce? fit la reine avec étonnement.
– Ou plutôt justice. Un de mes amis vient d’être saisi. Un ami madame! Un frère! Le plus dévoué, le plus charmant gentilhomme: esprit étincelant, cœur tendre, courage indomptable, voilà l’homme…
– Il suffit, comte, dit la reine avec émotion. Il suffit que vous aimiez cet homme pour que je lui veuille tout le bien que je vous veux à vous-même. Son nom?
– Hélas, madame! Il a eu le malheur de vous déplaire à deux reprises différentes; une première fois, dans une entrevue qu’il eut avec vous au Pont-de-Bois, dans cette même salle où j’eus, moi, le bonheur de vous connaître! Une deuxième fois, au Louvre, dans le cabinet de Sa Majesté le roi…
– Comte, dit Catherine de sa voix mélancolique, tant de gens m’ont déplu… je tâche à les oublier… quand on me connaîtra mieux, on ne cherchera plus à me déplaire.
Marillac jeta un regard ardent sur la reine.
– C’est le chevalier de Pardaillan, dit-il.
La reine parut chercher un instant dans sa mémoire, puis frappant ses deux mains l’une contre l’autre:
– Ah! oui!… Eh bien, j’avais complètement oublié ce jeune homme à qui je me souviens maintenant d’avoir offert d’entrer à mon service. Et vous dites qu’il est arrêté?
– Oui, madame. Et je viens vous prier de lui rendre la liberté. Je me porte garant que le chevalier n’a rien pu entreprendre ni contre le roi ni contre Votre Majesté. Si une prière était insuffisante, je crois que le roi de Navarre en personne n’hésiterait pas à intervenir en faveur de mon noble ami… mais j’ose espérer, madame, que ma supplique…
– Vous avez raison, mon cher comte. Un mot de vous peut faire autant, sinon plus, qu’une parole du roi de Navarre.
Ces mots prononcés avec un accent de rude franchise produisirent dans l’esprit de Marillac la plus bienfaisante impression.
– Nancey! appela la reine en frappant de son marteau.
Le capitaine des gardes apparut bientôt.
– Nancey, demanda la reine, êtes-vous au courant de l’arrestation d’un jeune gentilhomme, le chevalier de Pardaillan?
– Oui, madame. C’est ce cavalier qui, arrêté une première fois, s’est évadé de la Bastille.
– Qui a donné l’ordre? dit Catherine en fronçant le sourcil.
– Sa Majesté le roi. Je crois que ce jeune homme est accusé rébellion. En tout cas, on sait qu’il a résisté par deux fois aux soldats du roi.
– Ah! madame, s’écria Marillac, je vais vous dire en quelles circonstances…
– Chut! fit la reine. C’est bien, Nancey.
Le capitaine se retira.
– Mon cher enfant, reprit alors Catherine, je vais vous donner une preuve de… ma bienveillance… telle que mes fils Henri et François pourraient seuls en attendre de moi… Demeurez ici jusqu’à mon retour.
Marillac s’inclina profondément. Il tremblait. Un bouleversement se faisait dans son esprit. La conviction, entrait en lui profonde, indéracinable, que la reine avait pour lui une affection profonde, affection de mère. Il se reprochait ses soupçons comme un crime.
Coupable? criminelle? hypocrite? cette femme qui le regardait avec une pareille douceur, qui lui parlait avec cette agitation que lui seul pouvait comprendre! Cette reine puissante, altière, jalouse de son autorité, qui, sur la simple demande d’un pauvre gentilhomme comme lui, entreprenait sans hésiter, sans réfléchir, de sauver un rebelle!
Et il n’était pas jusqu’à cette confiance illimitée de la reine qui ne lui inspirât une gratitude dont se gonflait son cœur, confiance que la soupçonneuse, Catherine n’eût peut-être pas témoignée au roi lui-même.
En effet, la reine le laissait seul! Et là, devant lui, se trouvaient les lettres qu’elle écrivait, secrets d’État, sans aucun doute!
Ah! plutôt que d’essayer de lire, plutôt que de jeter un regard sur ces secrets augustes, il se fût aveuglé sur l’heure!
Catherine demeura absente une demi-heure pendant laquelle elle ne perdit pas de vue un instant le comte de Marillac.
Un seul point demeurait obscur dans l’esprit du comte.
Maurevert lui avait déclaré que Pardaillan était arrêté par ordre de la reine-mère.
Or la reine paraissait avoir oublié jusqu’au nom du chevalier!
Nancey affirmait que l’ordre venait du roi.
Simples contradictions, après tout! Et puis, qu’était-ce que cette obscurité imperceptible dans la grande clarté radieuse qui jaillissait des paroles, du regard, de toute l’attitude de Catherine!
Soudain, celle-ci rentra: elle rayonnait.
– Nous avons cause gagnée! fit-elle gaiement.
– Ah! madame, murmura Marillac d’une voix que l’émotion rendait sourde, quand donc Votre Majesté me demandera-t-elle ma vie!… Ainsi, mon ami… le chevalier… de Pardaillan… il est libre?
– J’ai la parole du roi. J’avoue que je ne lui ai pas arrachée sans peine. Il paraît que votre ami conspire avec M. le maréchal de Montmorency…
– Lui!… Ah! madame, tenez, puisque l’occasion s’en présente, laissez-moi vous dire ce que le maréchal…
– Silence, comte… Ce ne sont pas là mes affaires, et puis si M. de Pardaillan a quelque chose à me dire au sujet du maréchal, il me le dira lui-même.
– Comme vous êtes une grande reine! fit Marillac avec une expression de tendresse qui eût désarmé Catherine si un sentiment humain eût encore eu prise sur elle.
– Hélas! dit-elle en haussant les épaules, je suis simplement une femme qui a souffert, et la douleur, mon cher comte, est la bonne école de l’indulgence… Je ne veux pas savoir si votre ami conspire ou non. Je veux savoir seulement qu’il est votre ami. Dites-lui que vos amis sont les miens. Dites-lui que s’il a quoi que ce soit à me demander pour lui-même ou pour le maréchal, je le recevrai après-demain matin, à dix heures, lorsque le roi aura achevé de l’interroger…
Читать дальше