Le premier, c’était Maugiron. L’autre, Quélus.
Le troisième qui ne disait rien, mais qui s’escrimait avec une rage froide, c’était Maurevert.
Ils étaient entrés à tout hasard dans l’auberge, sachant que la Devinière avait été longtemps le quartier général des Pardaillan. D’ailleurs, c’était surtout le chevalier qu’ils cherchaient, ayant chacun à venger une blessure d’épée et une blessure de parole.
À défaut du chevalier, ils trouvaient le père, et sans plus de réflexion, s’étant consultés d’un rapide regard, ils le chargèrent.
Pardaillan, affaibli par les blessures qu’il avait reçues rue Montmartre, se contenta d’établir un peu de défensive.
Il avait sur sa poitrine trois pointes menaçantes.
À chaque coup qui lui était porté, il parait s’il pouvait, ou reculait d’un bond.
La bataille était silencieuse cette fois. Les trois étaient résolus à tuer le père en attendant le fils, et ils gardaient toutes leurs forces, tout le sang-froid, jouant serré, cherchant le coup mortel.
Pardaillan reculait donc. Malheureusement ses trois adversaires étaient placés en bataille entre lui et la porte de la rue. Il était donc repoussé peu à peu vers le fond de la salle où la porte se trouvait ouverte. Il la franchit et se trouva alors dans cette salle où, au début de ce récit, nous avons montré le banquet des poètes de la Pléiade.
Cette salle franchie, il pénétra dans la suivante et parvint enfin dans la dernière pièce où avait eu lieu l’étrange cérémonie du sacrifice d’un bouc.
– Cette fois, nous le tenons, dit Maurevert, les dents serrées.
– Allons, pensa Pardaillan, le chevalier et moi nous ne mourrons pas ensemble!
Et il jeta autour de lui un regard désespéré.
À ce moment, il vit une porte s’ouvrir, et, sans hésitation, se précipita dans le réduit obscur qu’il entrevoyait: c’était ce sombre cabinet où se trouvait l’entrée de la cave, d’une part, et de l’autre, l’entrée du long corridor qui aboutissait à la rue.
Les trois assaillants voulurent se jeter à la suite de Pardaillan dans ce réduit. Mais la porte se ferma à leur nez et ils se mirent à hurler toutes les insultes qui avaient cours à l’époque en frappant du pommeau de leur épée.
Ce n’était pas le vieux routier qui avait fermé la porte: c’était Huguette!…
Quand elle avait vu la tournure que prenait la bagarre, elle avait rapidement fait le tour par la rue et le corridor, et avait ouvert, puis refermé à clef la porte du réduit.
– Vous! s’écria Pardaillan qui reconnut Huguette.
– Fuyez! fit la jolie hôtesse en montrant le corridor.
– Pas avant de vous avoir remerciée, dit le vieux routier qui, rengainant sa rapière, saisit Huguette par la taille et l’embrassa sur les deux joues, tandis que les mignons continuaient à vociférer.
– Un pour moi! Un pour le chevalier! dit Pardaillan.
Aussitôt, il s’élança dans le corridor et, l’instant d’après, il détalait le long de la rue Saint-Denis.
– Tu ne nous échapperas pas, cette fois! criait Maugiron et Quélus, tandis que Maurevert courait chercher un marteau pour défoncer la serrure.
Il se heurta à Huguette dans la salle des banquets.
– Un marteau! commanda Maurevert.
– Inutile, dit Huguette. Je vais ouvrir avec une clef.
– Vous serez récompensée, ma brave femme.
La porte ouverte, les trois spadassins virent le couloir et comprirent que le vieux renard avait fui.
– Le terrier avait double issue, dit Maurevert.
Et tous trois s’élancèrent. Mais trop tard! Pardaillan était déjà loin, courant vers la Truanderie, non pour y chercher refuge, mais pour y trouver les compagnons dont il avait besoin pour assurer le départ du maréchal.
Dans la rue, il fut rejoint par Pipeau, qui, fidèle à ses habitudes, tenait dans sa gueule un saucisson enlevé sur les tables de la Devinière .
Huguette, après le départ des mignons, revint à la cuisine, où elle trouva son mari cramoisi de fureur.
– Ah! vociférait Landry, j’espère bien que M. de Pardaillan n’aura plus la pensée de me payer!
– Pourquoi donc? fit Huguette en souriant. Il faudra pourtant qu’il paie, nous ne sommes pas assez riches pour abandonner une note pareille, ajouta-t-elle en désignant l’aune de papier que Landry tenait toujours à la main.
– Ouais! fit l’aubergiste. Toutes les fois qu’il me vient payer, il y a bataille et bris de vaisselle dans ma pauvre auberge!
– Bah! marquez toujours…
– Vous avez raison, ma femme!
Et maître Landry, ayant poussé un soupir, ayant murmuré: «Allons! ce ne sera pas encore pour cette fois!» s’assit à une table, commanda qu’on lui apportât de l’encre et une plume, et il fit à la fameuse note la rallonge suivante:
– Item , un déjeuner complet et bien conditionné. Ci: deux écus et cinq sols. Item , une bouteille de vieux Beaugency: trois écus. Item , deux flacons de Saumur: deux écus. Item , vaisselle brisée: vingt livres. Item , un saucisson volé par le chien de M. de Pardaillan; quinze sols et quatre deniers.
– Donnez, que j’enferme la note, dit Huguette qui avait lu par-dessus l’épaule de son mari.
Landry lui remit le papier et regagna ses cuisines en proie à la plus sombre mélancolie.
Au-dessous du total général, Huguette écrivit alors:
«Reçu de M. de Pardaillan deux baisers, un pour lui, un pour M. le chevalier son fils, de la valeur de quinze cents livres chacun.»
Et elle enferma la note dans l’armoire de sa chambre à coucher.
Vers six heures du soir, le vieux Pardaillan rentra à l’hôtel de Montmorency sans avoir fait d’autre mauvaise rencontre. Il avait fait une longue station dans la Truanderie et avait eu un entretien mystérieux avec un certain nombre de ces figures patibulaires qui pullulent en ce lieu. Pardaillan ne dédaignait aucune fréquentation… maréchaux ou truands.
Il souriait dans sa moustache et murmurait:
– Voyons ce qu’il sera advenu de la rencontre que j’ai si habilement préparée!
À quelle rencontre faisait-il allusion?
On se rappelle que le vieux routier avait d’abord quitté son fils en lui disant qu’il allait à la Truanderie, puis, qu’il était revenu sous le prétexte de lui emprunter Pipeau, et qu’il était alors parti pour la Devinière .
Or, du premier coup où il sortit de la chambre du chevalier, Pardaillan père se mit à errer par l’hôtel en maugréant toutes les imprécations connues dans le royaume, jusqu’au moment où il se rencontra avec Loïse.
– Je vous cherchais, dit le vieux routier avec cette brusquerie qui dénote une grave inquiétude. Je tenais à vous faire mes adieux.
– Vos adieux! s’écria la charmante enfant qui ne put s’empêcher de pâlir.
– Oui, nous partons, mon fils et moi.
En parlant ainsi, et tout en expliquant avec volubilité que son fils lui paraissait atteint d’un mal incurable, le vieux renard s’était mis à marcher dans la direction de la chambre du chevalier.
Loïse le suivait machinalement, toute émue par la nouvelle de ce brusque départ, le cœur serré par une angoisse inconnue.
Pardaillan ouvrit doucement la porte.
Loïse entendit le discours que le chevalier adressait à Pipeau.
Ce fut alors que le vieux routier appela le chien et partit, laissant la porte ouverte et, devant cette porte, Loïse tout interdite… Que se passa-t-il en elle à ce moment? À quelle impulsion obéit-elle? Toujours est-il qu’elle entra, et levant ses yeux candides sur le chevalier stupéfait et bouleversé, demanda:
– Vous voulez partir?… Pourquoi?
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