Ses cheveux forment autour de son front de neige un nimbe nuageux, presque fluide tant ils sont fins et soyeux, un nimbe qui se dore sous les rayons du soleil, comme si un peintre génial s’était plu à dépenser pour eux tout l’or de sa palette.
Son attitude, son geste, sa parole forment un poème d’harmonie.
On ne sait quelle force de souplesse et de fierté se dégage de ce merveilleux ensemble.
Et pourtant…
Quelle mélancolie sur ce front si radieux, si noble de lignes, si expressif!…
Est-ce que celle-là aussi serait marquée par la fatalité!…
Est-ce que sur les pas de la fille, comme sur ceux de la mère, vont se lever et se déchaîner les passions orageuses créatrices de drames?
*******
Jeanne s’est approchée de son enfant.
Loïse lève la tête…
La mère et la fille se sourient… et quiconque les verrait en ce moment se demanderait laquelle des deux est la plus admirable, et jurerait que ce sont deux sœurs que quelques années séparent à peine!
Jeanne s’assied devant Loïse, prend l’autre extrémité de la tapisserie et se met à travailler activement.
– Mère, dit Loïse, reposez-vous. Voilà trois nuits que vous passez sur cet ouvrage… je puis maintenant le terminer seule en quelques heures…
– Chère Loïse!… Tu oublies que je dois porter cette tapisserie aujourd’hui même à cette jeune dame…
– Que vous m’avez dit de bonne bourgeoisie… dame Marie Touchet, je crois?…
– Oui, mon enfant…
– Ah! ma mère, pourquoi ne sommes-nous pas, nous aussi, de bourgeoisie?… Pourquoi sommes-nous de pauvres ouvrières?… Je dis cela pour vous, ajouta vivement Loïse, car, moi, je suis si heureuse!…
Jeanne jette un profond regard sur sa fille, et murmure en tressaillant:
– De bourgeoisie!…
Et elle se perd dans une morne et douloureuse rêverie…
«Pauvre enfant sans nom!… Que dirais-tu si tu savais que tu t’appelles Loïse de Montmorency?…»
– À quoi songez-vous, ma mère?
La mère tremble… ses yeux se voilent de larmes… son sein palpite. Lentement, comme si elle évoquait des choses mortes, les yeux fixés dans le vague, elle répond:
– Je songe, mon enfant, ma petite Loïse adorée, que peut-être tu n’étais pas née pour ce pénible labeur… et que c’est bien triste pour moi de voir des piqûres d’aiguilles au bout de tes jolis doigts…
Jeanne saisit la main de sa fille et couvre ses doigts de baisers.
Loïse éclate d’un joli rire sonore, clair, d’une charmante gaieté.
– Bon, ma mère! s’écrie-t-elle. Croyez-vous donc que j’aie des mains de jeune princesse?…
La mère tressaille profondément.
– Qui sait, reprend-elle. Qui sait si, sans ces deux hommes maudits…
Loïse laisse tomber son aiguille, et, très émue, cette fois:
– Ah! ma mère! quand me direz-vous ce terrible secret qui pèse sur votre vie?…
– Jamais! Jamais! murmure sourdement Jeanne.
– Quand me direz-vous, reprend Loïse qui n’a pas entendu, le nom des deux hommes, cause du malheur qui est dans votre existence, je le sens!… De ces deux noms, vous ne m’en avez jamais dit qu’un!…
– Oui, Loïse!… Le nom du chevalier de Pardaillan!…
– Je ne l’oublie pas, ma mère! Et je vous jure que, cet homme, je le déteste de toutes mes forces, pour ce mal inconnu qu’il vous a fait!… Mais l’autre! l’autre, plus criminel encore, m’avez-vous dit!…
«Jamais! Jamais! reprend Jeanne au fond de son cœur.»
Loïse respecte le silence de sa mère, et pousse un soupir. Les deux femmes se penchent sur la tapisserie, et on ne voit plus que leurs deux mains agiles qui vont et viennent, tandis que leurs cheveux se touchent, se frôlent…
Bientôt la tapisserie est terminée.
Jeanne, alors, s’enveloppe d’une mante, et après avoir serré Loïse sur son cœur, sort pour se rendre chez la dame qui a commandé cet ouvrage… dame Marie Touchet.
Loïse a accompagné sa mère jusque sur le palier. Elle rentre alors, et vivement, comme attirée par une force invincible, court à la fenêtre de l’autre pièce qui donne sur la rue Saint-Denis…
En face, se dresse une grande maison: l’hôtellerie de la Devinière .
Loïse lève sa tête charmante vers l’hôtellerie, craintivement, furtivement, tandis que son jeune sein se gonfle d’espoir et d’émoi.
Là-haut, à une fenêtre de grenier, apparaît un jeune cavalier…
Du bout des doigts, il envoie un baiser à Loïse…
Loïse hésite, rougit, pâlit… elle demeure un instant les yeux fixés sur l’inconnu… et ce regard est peut-être un aveu!
*******
Ce jeune cavalier porte un nom qu’ignore Loïse et qui, s’il était prononcé, retentirait comme une malédiction dans le cœur de jeune fille qui s’ouvre à l’amour le plus pur, le plus profond…
Car le jeune chevalier s’appelle le chevalier Jean de Pardaillan!…
XI PARDAILLAN, GALAOR. PIPEAU ET GIBOULÉE
Ce Jean de Pardaillan habitait depuis près de trois années une assez belle chambre située tout en haut de l’hôtellerie de la Devinière et donnant sur la rue Saint-Denis. Nous allons voir comment et pourquoi un pauvre hère comme lui pouvait se permettre le luxe de loger à la Devinière , la première rôtisserie du quartier, renommée dans tout Paris au point que Ronsard et sa bande de poètes y venaient faire ripaille; la Devinière , ainsi baptisée quarante ans auparavant par maître Rabelais en personne! la Devinière , tenue par l’illustre Landry-Grégoire, fils unique et successeur de Grégoire lui-même, fameux rôtisseur.
Jean de Pardaillan, disons-nous, était un pauvre hère, un sans-le-sou.
C’était un jeune homme d’une vingtaine d’années, grand, mince, flexible comme une épée vivante.
Été comme hiver, on le voyait vêtu du même costume de velours gris; il ne portait pas la toque, mais une sorte de chapeau rond, en feutre gris – ce genre de chapeau qu’Henri III devait plus tard mettre à la mode, et dont Pardaillan fut sans aucun doute l’inventeur. À ce chapeau s’accrochait une plume de coq rouge qui chatoyait au soleil et lui donnait crâne allure. Ses bottes en peau gris de souris, modelant la jambe fine et nerveuse, montaient aux cuisses presque jusqu’au haut-de-chausses. Le talon soutenait des éperons formidables; au ceinturon de cuir éraillé, éraflé, pendait une rapière démesurée, et lorsque, des éperons, l’œil montait à cette rapière, de cette rapière à la large poitrine serrée dans un pourpoint rapiécé, de la poitrine aux moustaches hérissées, des moustaches aux yeux flamboyants, et enfin des yeux au chapeau posé sur l’oreille, en bataille, les hommes gardaient de cet ensemble une impression de force qui leur inspirait instantanément un respect non dissimulé; les femmes, une impression d’élégance et de beauté du diable, que plus d’une avait de la peine à dissimuler.
En effet, l’amour des femmes, pour un cavalier, est généralement en raison directe du respect que ce cavalier inspire aux hommes. Une belle prestance, un visage juvénile dont les yeux lancent des flammes de colère ou de passion, une attitude de matamore qui a le droit de l’être, un geste souple, sobre, expressif, des lèvres fines, un sourire très doux et très tendre sous le hérissement provocateur de la moustache: voilà ce qu’on voyait de Pardaillan. Et l’habit avait beau être fripé, vieilli, mangé par le soleil, terni par les pluies, couturé de coups d’épée, celui qui le portait n’en demeurait pas moins un type merveilleux d’élégance aisée, gracieuse avec on ne sait quoi de terrible.
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