Michel Zévaco - Les Pardaillan – Livre VIII- Le Fils De Pardaillan – Volume II

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Nous sommes à Paris en 1609. Henri IV règne, sous la menace permanente des attentats. Le chevalier de Pardaillan, qui n'a pas retrouvé son fils, rencontre un jeune truand, Jehan-le-Brave, en qui il ne tarde pas à reconnaître l'enfant de Fausta. Or, Jehan-le-Brave, qui ignore tout de ses origines, est amoureux de Bertille de Saugis, fille naturelle d'Henri IV. Pour protéger sa bien-aimée et le père de celle-ci, c'est-à-dire le roi, il entre en conflit avec tous ceux qui complotent sa mort: Concini et son épouse, Léonora Galigaï, Aquaviva, le supérieur des jésuites qui a recruté un agent pour ses intentions criminelles, le pauvre Ravaillac. Le chevalier de Pardaillan s'engage dans la lutte aux côtés de son fils, aussi bien pour l'observer que pour protéger le roi. Or, Fausta jadis avait caché à Montmartre un fabuleux trésor que tout le monde convoite, les jésuites, les Concini, et même le ministre du roi Sully. Seule Bertille connaît par hasard le secret de cette cachette, ainsi que le chevalier de Pardaillan…
Suite du volume I…

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Et s’adressant directement à Parfait Goulard, immobile et muet:

– Il faut que ce jeune homme ait cessé de vivre avant une heure, faites le nécessaire, à l’instant même.

– Vous me faites penser, monseigneur, que Concini a dû donner ses ordres, et moi… j’ai totalement oublié de les révoquer.

– Est-ce à dire qu’on a déjà rendu la liberté au prisonnier? s’inquiéta Acquaviva.

– Non, monseigneur, mais je crains qu’il ne soit déjà dans la chambre tournante.

– Cruauté bien inutile, mon fils, fit doucement Acquaviva. Allez, faites arrêter ce supplice, s’il en est temps encore.

– J’y cours, monseigneur, s’écria Parfait Goulard.

Il courut, en effet, à la porte, l’ouvrit toute grande et demeura pétrifié. Pardaillan se dressait devant lui, lui barrant le passage, et l’obligeait à rentrer dans la chambre.

*
* *

Pardaillan était sorti du cachot de Perrette la Jolie, emmenant la jeune fille qu’il tenait par le bras. Il dit au gardien:

– Conduisez-nous à l’étage au-dessous.

Et le gardien obéit sans faire d’objection. L’ordre de l’abbesse était formel, en bonne et due forme, il n’avait pas à discuter.

À l’étage au-dessous, Pardaillan l’arrêta lui-même devant une porte. Il convient de dire que Perrette venait de lui serrer le bras. Ce qui, probablement, était un signal convenu entre eux.

Pardaillan ordonna:

– Ouvrez.

La porte ouverte, il entra avec Perrette. Il demanda à voix basse:

– Lequel de ces deux lits, mon enfant?

– Celui-ci, monsieur. À la tête, pas très haut.

Tous deux se penchèrent sur le mur et le palpèrent pouce à pouce, du bout des doigts.

– J’y suis, dit tout à coup Pardaillan.

Il revint à la porte, l’ouvrit, fit entrer Carcagne, Escargasse et Gringaille et dit au geôlier:

– Vous pouvez fermer la porte et vous retirer, mon brave. Je n’ai plus besoin de vous.

– Et la prisonnière, monseigneur?

– Elle reste ici, avec moi, dit froidement Pardaillan.

– Compris! murmura le gardien avec un sourire entendu.

La porte fermée, le geôlier éloigné, Pardaillan revint au lit et appuya sur un minuscule bouton: une petite porte se démasqua. Ils passèrent.

Ils étaient sur ce petit palier sur lequel donnait la porte de la mansarde occupée par Acquaviva. Pardaillan, de ce coup d’œil rapide et sûr qui était le sien, inspectait les lieux. Il vit la porte cadenassée du débarras, il vit celle derrière laquelle Acquaviva s’entretenait avec son lieutenant, il vit enfin l’escalier.

Silencieusement, il s’approcha de la porte. Les autres demeurèrent immobiles, ne le quittant pas des yeux, prêts à obéir au moindre geste, Pardaillan approcha de la porte sur la pointe du pied et il reconnut la voix de Parfait Goulard qui disait: «Il hait Jehan le Brave au-dessus de tout!»

Il fit signe aux autres de ne pas bouger; il se pencha, écouta et entendit toute la fin de cette conversation qui le renseignait sur la situation mortellement critique de son fils.

Lorsque Parfait Goulard ouvrit la porte, il le trouva devant lui. Pardaillan avait cette physionomie terrible à force de froideur, qu’il prenait dans les passes critiques ou dans ses moments d’émotion violente. Il avança et le moine dut reculer.

Acquaviva se promenait lentement. Il aperçut cet inconnu. Il vit les traits décomposés de son lieutenant. Et il comprit qu’un incident se produisait qui pouvait faire crouler ses combinaisons, qui pouvait être mortel. Il ne perdit pas son sang-froid. Il fit deux pas rapides vers la fenêtre.

Pardaillan avait déjà vu cette fenêtre ouverte. Son œil perçant avait déjà plongé au-delà et avait découvert un religieux qui, à une fenêtre de la maison d’angle de la rue de la Vieille-Monnaie, semblait méditer dévotement. Plus vif qu’Acquaviva, il alla à cette fenêtre et tira le rideau.

Parfait Goulard voyant la porte démasquée, s’y rua. Il se heurta à Gringaille, Escargasse et Carcagne qui lui barrèrent la route.

– Tiens! C’est frère Parfait Goulard! railla Gringaille, cet ivrogne de Parfait Goulard!

– Et autrement, dit Escargasse aimable, comment va?

– Toujours aussi goinfre? s’informa Carcagne. Parfait Goulard paya d’audace.

– Laissez-moi passer, mes enfants, je suis pressé! dit-il.

– Bon, répondit Gringaille sans bouger d’une semelle, ce n’est pas comme nous. Nous avons le temps.

Le moine comprit qu’il était pris. Il coula sur eux un regard fielleux et recula lentement.

Pendant ce temps, Acquaviva, très calme, en apparence, disait avec hauteur:

– Çà, monsieur, que signifie cette violence envers un inoffensif religieux? Depuis quand pénètre-t-on ainsi chez les gens?

– Monsieur, dit Pardaillan, avec une froideur terrible, je suis le chevalier de Pardaillan. Ah! vous comprenez!… Vous allez me conduire à l’instant même auprès de ce jeune homme à qui, d’après ce que je vous ai entendu dire, on inflige je ne sais quel monstrueux supplice. Marchez, monsieur, les instants sont précieux.

Acquaviva redressa sa tête pâle et fixa un œil scrutateur sur le chevalier. Il le jaugea, le soupesa, pour ainsi dire, d’un coup d’œil foudroyant. Il croisa ses mains dans les manches de son froc, avec une lenteur sinistre, en homme qui a le temps, lui, et, avec un accent intraduisible:

– Ah! vous êtes monsieur de Pardaillan! Eh bien, je refuse d’obéir à votre brutale injonction. Je suis curieux de savoir si le preux, le paladin qu’on prétend que vous êtes, osera frapper mortellement un faible vieillard comme moi.

Pardaillan comprit que le moine rusé cherchait à gagner du temps. Il se garda bien de donner dans le piège. Il fit un signe aux trois braves. Gringaille et Carcagne saisirent aussitôt frère Parfait Goulard, chacun par un bras. Le faux ivrogne était doué d’une force herculéenne. Il essaya de se dégager. Gringaille lui mit la pointe de son poignard sur la gorge et l’avertit charitablement.

– Si tu résistes, ta dernière heure est venue! Sois raisonnable, frocard, crois-moi.

Et Parfait Goulard se le tint pour dit.

Pardaillan, lui, avait saisi Acquaviva par le bras et, d’une seule main, en une poussée irrésistible, il le traînait jusqu’à l’escalier qu’il se mit à descendre. En marchant, il s’expliquait de cette voix blanche qui dénotait chez lui une colère froide poussée à l’extrême limite.

– Le preux que je suis ne s’abaissera pas à frapper le faible vieillard que vous êtes, non, monsieur. Seulement, faites bien attention à ceci: nous descendons; si vous ne vous décidez pas, si, par votre faute, mon fils meurt dans je ne sais quels effroyables tourments, je jure Dieu que je vous traîne au Louvre, vous et votre complice, et je dis au roi: «Sire, voici Claude Acquaviva, général des jésuites, qui complote votre mort. Voici son lieutenant, Parfait Goulard, qui s’évertue, dans l’ombre, à armer le bras du fanatique Ravaillac!…» Alors, vos deux têtes tombent. Ce n’est rien, car vous êtes homme de courage, je le vois. Mais c’est aussi l’anéantissement complet de l’ordre dont vous êtes le chef. Et ceci, à vos yeux, c’est tout! Nous approchons, monsieur.

En effet, ils étaient parvenus au rez-de-chaussée. Pardaillan, avec cette prodigieuse intuition qui le favorisait, se dirigeait dans la maison comme s’il l’avait connue.

Après avoir averti Acquaviva, il n’ajouta plus un mot. Et ce qu’il avait prévu arriva. Voyant qu’il allait à la porte de sortie, Acquaviva se décida.

– Frère Goulard, dit-il de sa voix qui ne trahissait aucune émotion, conduisez-nous auprès du fils de M. de Pardaillan.

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