Vitry loucha du côté d’Henri IV. Celui-ci, sans s’arrêter, tourna la tête et cria avec un sourire:
– Et je ne l’oublierai pas, soyez tranquille, Vitry. Et il disparut sans attendre la réponse.
Vitry s’approcha de Pardaillan et, lui serrant la main d’une manière significative:
– Pardieu, monsieur de Pardaillan, vous êtes le plus galant homme que je connaisse!… Je vous prie de faire état de moi comme d’un ami très dévoué.
– Monsieur, dit sérieusement Pardaillan, croyez que je me trouve très honoré de l’amitié que vous voulez bien m’offrir.
Et avec une imperceptible pointe de raillerie:
– Il m’a paru très légitime de faire connaître au roi la part que vous avez eue dans cette affaire.
– Au fait, s’écria étourdiment Jehan le Brave, ceci me fait penser que moi aussi j’ai dû emprunter cette monture!… un peu contre le gré de son propriétaire, par exemple.
– Je m’étonnais aussi de vous voir si riche, fit Pardaillan avec un bon sourire.
Vitry avait fort bien remarqué que Jehan chevauchait à la portière du carrosse royal. C’était un honneur que les plus grands enviaient. Ce jeune inconnu ne devait pas être le premier venu assurément. Et il regardait tour à tour Jehan et Pardaillan d’une manière expressive. Celui-ci comprit et se hâta de faire les présentations en règle.
– Quoi! s’écria Vitry tout éberlué, Jehan le Brave!… Monsieur serait-il, par hasard, le héros de cette prodigieuse aventure du gibet de Montmartre?
– Lui-même, en personne, confirma Pardaillan goguenard. Et d’un air détaché, il ajouta:
– Ce jeune homme, qu’on a quelque peu calomnié, a eu la bonne fortune de rendre quelques signalés services à Sa Majesté, qui veut bien l’honorer d’une estime et d’une bienveillance toutes particulières, ainsi que vous avez pu le remarquer.
Pardieu, oui! Vitry l’avait remarqué. Et il n’en fallut pas davantage pour qu’il se montrât très aimable avec ce jeune homme honoré de la faveur royale.
– Monsieur de Pardaillan, dit-il de son air le plus engageant, puisque ce cheval ne vous paraît pas trop mauvais, faites-moi la grâce de l’accepter comme un faible témoignage de ma profonde estime et de ma vive gratitude.
Pardaillan allait refuser. Il lui sembla que son fils contemplait la bête offerte avec une certaine convoitise. Il eut un sourire malicieux, et sans façon:
– Ma foi, monsieur, il m’est impossible de refuser ce que vous m’offrez de si bonne grâce.
Et de son air le plus ingénu, il ajouta aussitôt:
– Seulement, comme je possède déjà un cheval et ne suis pas assez riche pour m’offrir le luxe d’en avoir plusieurs, souffrez que je repasse celui-ci à mon jeune ami, qui n’en a pas et qui doit être monté comme tout bon gentilhomme.
Et, son sourire malicieux aux lèvres, il se tourna vers son fils. Celui-ci avait eu un geste de protestation. Mais son regard brillant trahissait la joie qu’il aurait à se voir le maître d’une aussi magnifique bête.
De son fils, il passa à Vitry. Celui-ci trouvait peut-être le sans-gêne du chevalier un peu excessif. Il se garda bien pourtant de le laisser voir. Et il dit, de bonne grâce:
– Ce cheval vous appartient, chevalier. Vous êtes donc libre d’en faire ce que bon vous semblera.
– Mais, monsieur, s’écria Jehan, partagé entre son désir et la crainte de paraître indiscret, je ne sais vraiment si je dois accepter un aussi riche cadeau!
– Morbleu! se courrouça Pardaillan, me feriez-vous l’injure de refuser?
Jehan regarda Vitry d’un air perplexe. Le capitaine fit contre mauvaise fortune bon cœur:
– Acceptez, monsieur, fit-il rondement. Après M. de Pardaillan, vous êtes l’homme entre les mains duquel je serai le plus honoré de voir passer cette noble bête.
Cette fois, Jehan s’inclina et, les yeux brillants d’une joie puérile qu’il ne cherchait pas à dissimuler, il s’en fut aussitôt étudier de près la superbe monture qu’il devait à la malice de Pardaillan.
Celui-ci profita de ce qu’il était ainsi éloigné. Il se pencha vers Vitry et lui glissa à l’oreille:
– Voulez-vous que je vous dise, monsieur? Eh bien, arrangez-vous de manière à faire savoir au roi que vous avez donné ce cheval à ce jeune homme… Vous verrez que ce sera là une manière de faire votre cour dont vous n’aurez pas à vous plaindre.
– Décidément, vous êtes un charmant compagnon! murmura Vitry, qui ne regretta plus de voir passer son cheval aux mains de ce jeune inconnu.
Ils revinrent à Jehan, qui s’extasiait toujours devant son cheval.
– Qu’allez-vous faire de cette autre bête empruntée contre le gré de son propriétaire? demanda Pardaillan.
– J’avais l’intention de la lui renvoyer. Mais, monsieur, vous me voyez assez embarrassé… Elle appartient à Concini.
– Tiens! tiens! s’exclama Pardaillan qui répondait par un sourire entendu au sourire malicieux de son fils.
– Je ne veux pas lui laisser croire que je me suis approprié son bien… D’autre part, il m’est pénible, je l’avoue, de le lui rapporter moi-même.
– Eh bien, envoyez quelqu’un, insinua Pardaillan, qui l’étudiait du coin de l’œil.
– Jamais de la vie! protesta vivement Jehan. Il croirait que j’ai peur!
– Alors, dit Pardaillan en souriant, allons-y nous-mêmes.
Là-dessus, avec force compliments et congratulations, ils prirent congé de Vitry, qui se chargea de faire conduire Zéphir par un de ses hommes à l’hôtellerie du Grand-Passe-Partout, adresse donnée par Pardaillan. Zéphir, c’était le nom du cheval dont Jehan le Brave devenait l’heureux possesseur.
Jehan, conduisant par la bride le cheval de Roquetaille, s’en fut avec Pardaillan au logis de Concini. Ils y arrivèrent au moment précis où le Florentin et les hommes de son escorte mettaient pied à terre.
– Ma foi, glissa Jehan à l’oreille de son père, nous ne pouvions pas arriver plus à propos.
Et, tandis que Pardaillan demeurait à l’écart, prêt à intervenir si besoin était, il s’avança seul, avec une souveraine aisance, au-devant de Concini et de ses gentilshommes.
Ceux-ci, en l’apercevant, étaient restés pétrifiés. En voyant qu’il avait l’audace de les aborder, un frémissement de colère les agita. Et ils commencèrent à mâchonner des injures et des menaces, en roulant des yeux féroces et dans des attitudes provocatrices. Roquetaille surtout était enragé par la vue de son cheval. Il était persuadé que Jehan ne lui rendrait jamais.
Concini se tourna vers ses hommes et les foudroyant du regard, il commanda impérieusement, à voix basse:
– Que nul ne bouge, sang du Christ!… Et qu’on se taise!
Et ils obéirent tous, figés dans des poses d’attente, les yeux rivés sur les yeux du maître pour y lire les ordres muets.
Jehan, bien qu’il parût impassible, était au fond assez étonné. Il s’attendait sincèrement à être reçu la rapière au poing et il se tenait prêt à dégainer lui-même. Certes, l’accueil qu’on lui faisait était glacial et sourdement menaçant, mais ce n’était tout de même pas la lutte immédiate. Et comme il n’avait – et pour cause – qu’une confiance très limitée en la loyauté de Concini, il se tenait plus que jamais sur le qui-vive.
Parvenu à deux pas du groupe, il se découvrit en un geste large que Pardaillan reconnut avec un sourire.
Comédien génial, souverainement maître de lui, quoique un peu pâle, Concini se découvrit en un geste identique et attendit dans une attitude digne.
Se modelant sur le maître, les quatre spadassins mirent chapeau bas et attendirent comme lui, raides comme à la parade. De plus en plus étonné, Jehan dit de sa voix chaude, très calme, s’adressant à Roquetaille:
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