Michel Zévaco - Les Pardaillan – Livre VIII- Le Fils De Pardaillan – Volume II

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Nous sommes à Paris en 1609. Henri IV règne, sous la menace permanente des attentats. Le chevalier de Pardaillan, qui n'a pas retrouvé son fils, rencontre un jeune truand, Jehan-le-Brave, en qui il ne tarde pas à reconnaître l'enfant de Fausta. Or, Jehan-le-Brave, qui ignore tout de ses origines, est amoureux de Bertille de Saugis, fille naturelle d'Henri IV. Pour protéger sa bien-aimée et le père de celle-ci, c'est-à-dire le roi, il entre en conflit avec tous ceux qui complotent sa mort: Concini et son épouse, Léonora Galigaï, Aquaviva, le supérieur des jésuites qui a recruté un agent pour ses intentions criminelles, le pauvre Ravaillac. Le chevalier de Pardaillan s'engage dans la lutte aux côtés de son fils, aussi bien pour l'observer que pour protéger le roi. Or, Fausta jadis avait caché à Montmartre un fabuleux trésor que tout le monde convoite, les jésuites, les Concini, et même le ministre du roi Sully. Seule Bertille connaît par hasard le secret de cette cachette, ainsi que le chevalier de Pardaillan…
Suite du volume I…

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Bien entendu, toutes ces maisons étaient campées au petit bonheur, sans ordre ni symétrie, avec un dédain absolu de l’alignement. Les unes avançaient effrontément sur la route, les autres, honteuses ou craintives, se tenaient à l’écart. Tout cela formait coins et recoins, angles et renfoncements.

En face du château: un îlot chargé d’une demi-douzaine de maisons avec leurs vergers. Un chemin contournait cet îlot, passait au pied d’une éminence sur laquelle se dressait un moulin [4]et venait rejoindre la grande route. À l’intersection de ce chemin et de la route se trouvaient quelques masures.

Au pied de l’éminence et de son moulin, cachés par les maisons qui couvraient l’îlot, Concini et ses douze hommes se tenaient à l’affût. Jehan s’avançait d’un pas souple et léger. Depuis qu’il savait où trouver Bertille, sûr de la délivrer, la joie l’inondait. Jamais fin d’après-midi ne lui avait paru aussi belle, aussi rayonnante que celle-là. Il allait plein d’espoir, en fredonnant joyeusement une chanson.

Il avait dépassé le château des Porcherons et l’îlot qui lui faisait face. Il avait dépassé les masures qui bordaient la grande route et le petit chemin. Il n’avait rien vu, rien remarqué. Et d’ailleurs, il ne se méfiait pas. Il entendit derrière lui une galopade frénétique et des voix rauques crier:

– Sus! sus!…

Il se retourna, le sourcil froncé. Dans le même instant, il eut la rapière au poing, prêt à recevoir les douze estafiers qui grimpaient la côte en soufflant bruyamment. Et il reconnut Concini qui, derrière ses hommes, criait, ivre de joie:

– Vivant! sang du Christ! Il me le faut vivant!

– Eh! c’est l’illustre signor Concini! railla Jehan. Depuis que ma main s’est appesantie sur ta face de couard, il faut toujours que tu te caches derrière quelque chose ou quelqu’un.

– Sus! sus! hurlèrent les estafiers en couvrant sa voix de leurs clameurs!

– À vous! monsieur l’insolent qui bousculez les gens sans vous excuser! crièrent les gentilshommes.

– Doucement, mes agneaux, tonna Jehan, je vais vous bousculer avec ceci!… Et ceci pique et taille, je vous en avertis.

Et sa rapière se mit à décrire ce fulgurant moulinet qui lui était familier. Eynaus, Longval, Roquetaille et Saint-Julien attaquèrent de face.

Les huit autres s’éparpillèrent à droite et à gauche, cherchant à l’envelopper pour le saisir, excités par Concini qui ne cessait de crier:

– Prenez-le vivant! N’oubliez pas!…

Un cri sourd… une imprécation… un hurlement… une malédiction… C’étaient quatre hommes mis hors de combat par le terrible moulinet. Les coupe-jarrets, stupéfaits, s’arrêtèrent hésitants.

– À qui le tour? claironna Jehan. Je vous avais avertis: cela pique et taille.

– Tue! tue! crièrent les assassins exaspérés par cette résistance imprévue.

– Hardi! Foncez! Sus à la bête! rugit Concini pâle de rage. Les huit qui restaient revinrent à la charge. Mais ils ne pensaient plus à le prendre vivant. Concini lui-même oubliait de le leur rappeler.

Il y eut un choc effrayant. La rapière, l’infernale rapière qui barrait la route à elle seule, la rapière tournoya, siffla, piqua, voltigea, frappa de pointe et de taille. Trois hommes tombèrent. Parmi ceux-là, Saint-Julien, frappé d’un coup de taille en plein visage.

– Tu ne sais même pas choisir tes assassins, cria Jehan à Concini écumant qui s’arrachait les cheveux. Encore un!… À qui le tour?… À qui?…

C’était vrai. Cette chose prodigieuse avait été réalisée en un rien de temps: huit corps, morts ou grièvement atteints, gisaient sur la route blanche.

Les quatre survivants s’arrêtèrent effarés. Si ces quatre-là avaient été les coupe-jarrets qui mordaient la poussière au lieu des gentilshommes, nul doute qu’ils n’eussent pris la fuite à l’instant. Le seul qui restait encadré par Roquetaille, Eynaus et Longval, demeura ferme.

– Ça pique! ça taille! cria encore Jehan en éclatant de rire. Approchez mes agneaux! Non?… Alors, je vais vous charger.

Et il allait charger en effet.

À ce moment, derrière lui, retentirent des hurlements:

– Tue! tue! suivis d’une dégringolade furieuse.

– À nous! hurla Concini. Tue! tue! pas de quartier! Cernez la bête!

Et il se rua lui-même le fer au poing, à la rescousse de ses hommes qui, électrisés par le secours qui leur arrivait, chargèrent avec impétuosité.

Jehan avait arrêté son élan. Il tourna la tête au lieu de charger comme il avait dit. Une troupe d’une dizaine d’estafiers débouchait en hurlant du carrefour de la Croix. Dans un instant, elle serait sur lui. Il était pris entre deux feux.

«Je ne peux pourtant pas mourir avant de l’avoir sauvée!» criait-il dans son esprit.

Après avoir regardé derrière, il jeta un coup d’œil autour de lui. Il avait dépassé les masures. À sa droite, c’étaient des terrains vagues.

Fuir par là? La pensée ne l’effleura même pas. À sa gauche: un mur, haut, solide… un renfoncement… c’était une porte. Le salut était peut-être là. En tout cas, il aurait ses adversaires en face; on ne pourrait pas le frapper par derrière.

Mais il fallait y arriver avant que la bande hurlante, là, derrière, ne fût sur lui.

Il fit un bond prodigieux.

– Il en tient! il en tient! triompha une voix.

C’était encore vrai… L’instant inappréciablement court pendant lequel il avait regardé derrière et autour de lui, avait suffi. Il était touché à l’épaule. Il ne s’en aperçut d’ailleurs pas.

Il avait atteint le renfoncement. Il eut une seconde de répit.

C’est très court, une seconde. Voici tout ce qu’il fit pendant cet espace de temps si bref. Il souffla… Il reconnut la place. Il y avait une marche derrière lui: il la monta et tâta la porte de sa main gauche passée derrière le dos. Elle était fermée, hélas! Il redescendit… Il compta ses adversaires: ils étaient une quinzaine… Il songea:

«J’en découdrai bien encore quelques-uns… mais après?…» Il tapa du pied avec colère, et:

«Je ne peux pas mourir ici… C’est impossible… je ne le veux pas!»

Voilà tout ce qu’il fit et pensa en une seconde. Il nous en a fallu bien davantage pour l’écrire.

Les deux bandes réunies étaient maintenant devant lui. En tête, Longval, Roquetaille, Eynaus. Ils attaquèrent avec frénésie. Et maintenant qu’ils se sentaient sûrs de le tenir, Concini avait rengainé et, derrière ses hommes, il recommençait à recommander:

– Prenez-le vivant! la bête est acculée, coiffez-la, mes braves!

– Viens la chercher! gouailla Jehan. Mais tu n’oseras pas. Tu es trop lâche.

Encore un cri sourd… un cri de fureur:

– Démon!

C’est Eynaus qui tombe… Deux hommes de plus hors de combat… Cela fait dix.

Jehan est en lambeaux. Sa poitrine, ses bras sont couverts d’estafilades cuisantes. Le sang coule sur son visage et sur ses mains. Il tient bon cependant… Mais il est à bout de souffle, ses doigts s’engourdissent… Ce n’est plus l’attaque impétueuse de tout à l’heure… Il pare… Il a fort à faire à parer tous les coups qui pleuvent sur lui de toutes parts.

Concini le voit à bout. Il exulte, il trépigne, il clame:

– Sus! Hardi!… Il est à nous!

– Pas encore! halète Jehan.

Un regain de vigueur… Un suprême effort… Une reprise imprévue, foudroyante, du fantastique moulinet… Pif!… Un râle: un homme tombe pour ne plus se relever… Paf!… un sourd gémissement: c’est un autre homme à terre… Vlig!… une imprécation:

– Malédiction!

C’est Longval qui s’affaisse.

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