L’enfant fit entendre un léger cri. La duchesse se mit à le bercer avec autant de douceur que s’il eût été son enfant. M meLopion s’était approchée et regardait le nourrisson qui, déjà calmé, s’était rendormi.
– C’est un garçon? demanda-t-elle.
– Oui, répondit Marie de Rohan.
En glissant un coup d’œil malicieux dans la direction de Gaëtan, M meLopion ne put s’empêcher d’ajouter:
– Il ressemble déjà à son papa…
Le jeune Gascon allait protester…, mais, d’un signe rapide, M mede Chevreuse le retint. Il lui convenait fort que Castel-Rajac endossât la paternité du rejeton d’Anne d’Autriche et de Mazarin, quitte à passer elle-même pour la maman…
Mais, pour se débarrasser de la présence de l’hôtelière, qu’elle commençait à trouver quelque peu encombrante, la duchesse reprit:
– Je meurs de faim. Aussi, je vous prie de bien vouloir donner les ordres nécessaires pour que l’on me prépare un repas que vous aurez l’obligeance de me faire servir dans cette chambre.
M meLopion, qui, décidément, ignorait l’art de la plus élémentaire discrétion, demanda:
– Faudra-t-il mettre aussi un couvert pour M. le chevalier?
– Certainement! répliqua Marie de Rohan, qui commençait à manifester une certaine nervosité.
– Allez, madame Lopion, allez…, ordonna Castel-Rajac.
Tandis que la tenancière s’éclipsait, la duchesse rendit l’enfant à sa nourrice qui l’emporta dans sa chambre.
M mede Chevreuse dit alors à Gaëtan:
– Maintenant, ami, je puis bien vous le dire: depuis huit jours et huit nuits que nous avons quitté Chevreuse, voilà la première fois que je respire librement.
– Est-ce possible? s’étonna le jeune Gascon. Sur l’honneur, je ne me suis pas aperçu un seul instant que vous fussiez inquiète…
– C’est parce qu’en même temps, murmura la duchesse, j’étais une femme divinement heureuse.
– Pour cette parole, laissez-moi vous prendre un baiser…
– Dix, si vous le voulez!
Longuement, ils s’étreignirent. Puis, se ressaisissant la première, Marie reprit:
– Écoutez, mon ami, nous avons à parler sérieusement, très sérieusement même.
Et, encore toute vibrante des caresses partagées, elle poursuivit:
– Que vous disais-je donc?
– Que, pendant huit grands jours et huit longues nuits, vous aviez été très inquiète…
– C’est vrai! Je craignais d’apercevoir derrière nous des cavaliers lancés à notre poursuite…
– Par qui donc?
– Mais… par… le mari…
– Puisqu’il est en voyage!
– Je tremblais à la pensée qu’il ne fût revenu.
– N’étais-je point là pour les recevoir, lui… et ses gens?
– C’est précisément ce qui me rassurait… Mais vous continuerez à veiller sur ce pauvre petit…
– Puisque je vous l’ai promis!
Et, avec un large sourire, Gaëtan s’écria:
– Il est donc si terrible, ce mari trompé?
– Oui, plutôt! déclara M mede Chevreuse.
Et détournant brusquement la conversation, elle ajouta:
– Il me vient une idée. Tout à l’heure, je me suis aperçue, et vous avez dû le constater aussi, que cette hôtelière était convaincue que cet enfant était le nôtre!…
– Elle a fait mieux que de nous le laisser entendre.
– Je crois qu’à cause de vous, et surtout de vos parents, il serait peut-être bon de couper court à cette légende, et voilà ce que j’ai imaginé… Ce n’est pas extraordinaire, c’est somme toute assez vraisemblable. La morale et la religion vont y trouver leur compte à la fois.
» Que diriez-vous, mon cher Gaëtan, si nous racontions que nous avons trouvé cet enfant, de quelques jours à peine, abandonné sur la route?
– Pour ma part, je n’y vois aucun inconvénient. Comme vous le dites si bien, cela est fort plausible.
– Nous l’aurions adopté en commun et, qui mieux est, nous prierions M. le curé du pays de bien vouloir, demain, par exemple, baptiser ce chérubin.
– De mieux en mieux, approuva Gaëtan. De cette façon, rien ne me sera plus facile que d’emmener ensuite le nourrisson et la nourrice jusque chez mes parents qui, certains de ne point abriter un bâtard de leur fils, ne lui en feront qu’un accueil plus favorable.
– Voulez-vous, aussitôt que nous aurons réparé nos forces, vous occuper de la cérémonie?
– Avec le plus grand plaisir. Je suis au mieux avec le curé de cette paroisse. C’est un très digne homme et je suis sûr qu’il se montrera plus tard, envers notre pupille, aussi bon qu’il l’a été envers moi.
M meLopion, poussée par la curiosité, apportait elle-même un couvert complet qu’elle dressait sur une table tout en s’efforçant de lier de nouveau conversation avec la duchesse.
– Comme il est beau, ce petit! Ah! on voit bien qu’il a du sang d’aristocrate dans les veines.
– À quoi voyez-vous cela? lança Castel-Rajac.
– À tout et à rien…
– Alors, si on vous disait que c’est le fils d’un charretier et d’une fille de cuisine?…
– Je répondrais que c’est impossible.
– Vous n’en savez rien, madame Lopion, pas plus que Madame et moi…
– Comment… comment?…
– Cet enfant, nous l’avons trouvé dans un fossé, près duquel nous étions assis pour permettre à nos chevaux de souffler.
– Que me racontez-vous là?
En fronçant les sourcils, le jeune Gascon martelait:
– Ah ça! madame Lopion, est-ce que vous ne savez pas que le chevalier de Castel-Rajac a pour principe de dire toujours la vérité?
Réellement effrayée, l’aubergiste protesta.
– Ne vous fâchez pas, monsieur le chevalier. Je vous crois. Cet enfant a été trouvé dans un fossé. Cependant, vous ne m’empêcherez pas de vous dire qu’il est beau comme un ange et qu’il a plutôt l’air d’avoir dans les veines du sang de grand seigneur que de manant.
– Vous avez tout à fait raison, intervint la duchesse, que cette querelle paraissait amuser.
Une servante apportait une gibelote de lapin et, un instant après, les deux amants faisaient honneur au talent de M. Lopion qui, rivé à ses fourneaux, avait pour principe de se cantonner dans ses fonctions gastronomiques et de ne jamais se préoccuper de ce qui se passait hors de sa cuisine.
Pendant ce temps, un cavalier s’arrêtait devant l’hostellerie du Faisan d’Or et, après avoir laissé son cheval aux soins du garçon d’écurie, pénétrait dans la grande salle.
Allant droit à M meLopion, le cavalier lui lançait sur le ton d’un homme irrité:
– Le chevalier Gaëtan de Castel-Rajac est bien ici?
– Pourquoi me demandez-vous cela?
– Parce que je veux le voir, répliqua le gentilhomme d’un ton d’autorité qui contrastait singulièrement avec son visage avenant.
– Je ne sais pas si M. le chevalier est visible. M. le chevalier vient d’arriver d’un très long voyage. Il est en train de se restaurer… Je n’aurai garde de le déranger.
De plus en plus impérieux, le cavalier rugit:
– Vous allez immédiatement le prévenir que le comte Capeloni l’attend ici et qu’il a besoin de lui parler, toute affaire cessante.
Au regard que lui lança son interlocuteur, M meLopion comprit que toute résistance de sa part risquait de lui causer de réels ennuis, et elle remonta vers ses hôtes, tout en grommelant, non sans inquiétude, ce qui tendait à prouver que les affirmations du jeune Gascon ne l’avaient nullement convaincue:
«Pourvu que ce ne soit pas le mari!»
– Excusez-moi de vous déranger, fit-elle en pénétrant dans la chambre, mais il y a en bas un gentilhomme qui désire parler à Monsieur le chevalier.
Читать дальше